Lors d’un séjour à la prison Sainte-Pélagie, où l’ont conduit ses activités de militant républicain, le mathématicien Évariste Galois connaît quelques jours de cachot. L’épisode n’a certes pas échappé à ses biographes. Un rapport conservé dans les archives de la police éclaire cependant les circonstances de l’incident.
L’histoire est à l’origine connue par Raspail, alors emprisonné avec Galois, qui la raconte au moins deux fois : dans une contribution à un ouvrage collectif, Paris révolutionnaire, parue en 1833, deux ans après les faits, puis dans ses Lettres sur les prisons de Paris, publiées en 1839.
Les deux relations diffèrent sur certains points de détail, ne serait-ce que sur la date de l’incident : 28 juillet, pour la première, 29 juillet pour la seconde. La tierce pièce a déjà ce mérite de trancher en faveur du 28.
Le 28 juillet 1831 au soir, donc, au quatrième étage du pavillon de gauche, un militant républicain, non nommé par Raspail mais qui n’est pas Galois, se prépare à aller au lit. Il se déshabille en chantant la Marseillaise, quand, « Paff ! », un coup de feu tiré d’un bâtiment situé de l’autre côté d’une rue voisine lui « couvre la joue de plomb ». Affolement chez le blessé et ses camarades de cellule, dont Galois ; branle-bas des gardiens ; volonté bruyamment exprimée du blessé de porter plainte avec le soutien de deux témoins, dont Galois ; lassitude des gardiens qui jettent les trois hommes au cachot.
Grande tension le lendemain et les jours qui suivent chez les autres détenus : ils croient savoir que le tireur est un employé de la prison, le soupçonnent d’avoir agi à la demande du directeur… L’émeute se déclare… Les trois hommes à l’isolement réintègrent le régime normal… La tension retombe.
On ne s’en souvient plus guère aujourd’hui, mais le 28 juillet marque l’anniversaire de l’une des Trois glorieuses, les trois journées de la deuxième révolution française, les 27, 28 et 29 juillet 1830. L’évènement, qui en installant Louis-Philippe sur le trône avait déçu les républicains, fêtait alors sa première année. Les militants détenus à Sainte-Pélagie l’avaient célébré à leur façon, ces 27 et 28 juillet, par un certain nombre de « messes », dont Raspail témoigne également, au cours desquelles les fidèles entonnaient force chants patriotiques et révolutionnaires. Dans ces conditions, et sans vouloir commettre un crime de lèse-république, il ne paraît pas inimaginable qu’un riverain, excédé par une énième Marseillaise, élevée contre le silence de la nuit qui s’installe, tire une cartouche type gros sel en direction de la source sonore.
Voici en tout cas le rapport de police auquel je faisais allusion :
L’exaspération dans laquelle ont été les détenus politiques depuis quelque temps et principalement pendant ces trois jours de fête leur a fait faire plusieurs actes et proférer des cris de la nature la plus coupable.
Pendant une partie de la journée du 28, 3 à 4 d’entre eux ne se mettaient à leurs croisées donnant sur la rue que pour insulter les paysans et pousser les cris de À bas la garde nationale, À bas Louis-Philippe, Vive la république, etc. Ils insultaient les paysans en leur jetant tous les projectiles qui leur tombaient sous la main : une femme qui habite le quartier, se promenant, le soir, vers dix heures, dans la rue Puits-L’Hermite avec une de ses amies, a été atteinte à la tête par un gros morceau de pain dur qui lui causa une contusion assez forte et fit jaillir le sang. Ce morceau de pain était parti de l’une des croisées de Ste Pélagie, mais on ne pouvait préciser laquelle. Cependant, une demi-heure après, le Sr Lambon, l’un des détenus politiques les plus exaltés, ayant paru à la croisée de sa chambre, a essuyé un coup de pistolet chargé avec de la cendrée, qui lui a été tiré de l’une des maisons faisant face au bâtiment de Ste Pélagie, et qui lui a fait une légère blessure à la figure. On ignore quel est positivement l’auteur de cet acte coupable, mais tout porte à croire qu’il doit être attribué au Sr Joly qui, s’étant trouvé près de la personne atteinte par le morceau de pain, au moment où elle reçut le coup, n’a fait que céder à l’indignation qu’une pareille conduite envers une femme lui aurait causée ; du reste il ne paraît pas avoir eu la pensée de commettre un crime, mais seulement d’effrayer ceux qui, depuis plus de huit jours, troublent le repos des habitants de ce quartier par leurs chansons et leurs cris de furieux 3Archives nationales, F7 3885, 30 juillet 1831..
Les paysans, j’imagine, ne passaient pas pour les meilleurs amis des républicains depuis la Guerre de Vendée.
Si la main de Raspail guidait ma plume, elle ne manquerait pas de pointer le degré de fraîcheur du pain.
Le Sieur Lambon, compagnon de cellule blessé de Galois, se prénommait Achille et portait la moustache, ou du moins la porterait quelques mois plus tard, comme nous le verrons sans doute en son temps.
Pour en rester à l’affaire qui nous préoccupe, elle se conclut le 31 juillet, date de cet autre rapport de police :
On a fait sortir ce matin, des chambres de correction, les trois détenus politiques de Ste Pélagie qui y avaient été enfermés à la suite des désordres qui ont éclaté, dans cette prison il y a trois jours. Cette circonstance a fourni aux autres détenus, parmi lesquels ils sont rentrés, l’occasion de faire éclater une joie dont la manifestation n’a peut-être pas toujours été exempte de blâme ; mais qui n’a point eu d’autres suites jusqu’à ce moment.
Il règne cependant toujours assez de fermentation dans les esprits 4Archives nationales, F7 3885, 31 juillet 1831..
Post-scriptum
Merci à Philippe Chaplain et Norbert Verdier qui ont très aimablement relu ce billet.