Bonne année anomalistique !
Piste verte Le 24 janvier 2010 Voir les commentaires (10)
Qu’est-ce qu’une année ?
Trois cent soixante-cinq jours sauf pour les années bissextiles qui comptent un jour de plus ? En général, on explique cela en disant que la Terre tourne autour du Soleil en trois cent soixante-cinq jours un quart.
Si on consulte un dictionnaire, on trouve beaucoup de mots savants : connaissez-vous l’année anomalistique, l’année sidérale, ou l’année tropique ?
Quelques explications ne sont peut-être pas inutiles.
La Terre tourne autour du Soleil
Il aura fallu bien des siècles avant de le comprendre : il était si « évident » que la Terre est fixe et que le Soleil tourne autour de nous.
Eppur si muove, et pourtant elle tourne...
Il a fallu des visionnaires, comme Copernic, Kepler et Galilée, d’abord pour comprendre, mais aussi pour convaincre les autres qu’ils avaient raison.
Grâce à eux, nous savons que le système solaire est constitué d’un certain nombre de planètes — dont la Terre — qui gravitent autour du Soleil.
(Pour plus de détails, cliquer sur l’image).
La Terre tourne sur une ellipse dont le Soleil est un foyer
Si on observe une planète toutes les nuits et qu’on note sa position par rapport aux étoiles, on constate un mouvement étonnant.
En général, elles se déplacent de l’ouest vers l’est mais parfois, elles régressent et partent à reculons.
Voici par exemple la position de Mars, entre le 15 juillet 1879 et le 15 mai 1880, d’après une figure du merveilleux livre de Camille Flammarion « Astronomie Populaire »
[1].
(Pour plus de détails, cliquer sur l’image).
On voit que vers le 15 octobre 1879, Mars semble s’arrêter et repartir dans l’autre sens jusqu’aux environs du 15 décembre où elle se décide à repartir « dans le bon sens ». Vous pouvez aussi observer ce phénomène sur votre écran d’ordinateur, grâce par exemple au superbe logiciel Stellarium.
Il n’a pas été facile de comprendre que ces mouvements compliqués ne sont en fait que des « illusions » dues au fait que notre point d’observation — la Terre — est aussi en mouvement.
Imaginez que vous êtes assis sur un manège en rotation et que vous observez quelqu’un qui est assis sur un autre manège, lui aussi en rotation.
Faire la part des choses entre le mouvement de la Terre et celui des autres planètes a demandé un travail considérable, aussi bien au niveau de l’observation que de la théorie :
en quel sens peut-on dire d’ailleurs que chaque planète a un mouvement qui lui est propre ?
C’est Kepler, au début du dix-septième siècle, qui a compris que les planètes décrivent des ellipses autour du Soleil.
L’ellipse est une courbe connue des mathématiciens depuis bien longtemps.
Pour dessiner une ellipse, on plante deux punaises sur une feuille de papier et on y attache les deux extrémités d’une ficelle.
Ensuite, on maintient la corde tendue et on tourne autour des punaises, comme ceci :
En termes mathématiques, une ellipse est l’ensemble des points dont la somme des distances à deux points donnés — qu’on appelle les foyers — est constante
[2].
Pour constater que les planètes suivent des trajectoires elliptiques dont le Soleil est un foyer, Kepler a dû franchir bien des obstacles.
Il s’est consacré principalement à l’orbite de la planète Mars et il lui a fallu plus de dix ans pour parvenir à cette conclusion, après un grand nombre de tentatives.
Lisez ce billet récent pour un hommage à Kepler.
Notez en passant qu’une ellipse est par définition une courbe dessinée dans un plan. Les planètes se déplacent pourtant dans l’espace ; il n’était pas du tout évident a priori qu’elles restent dans un même plan dans leur course autour du Soleil et elles auraient pu suivre des trajectoires comme celle-ci :
Grâce à Kepler, je peux maintenant expliquer ce qu’est une année :
Un an, c’est le temps mis par la Terre pour faire le tour de son orbite elliptique autour du Soleil.
Malheureusement les choses ne sont pas si simples.
La vérité est que la Terre ne décrit pas exactement une ellipse, et l’observation de Kepler n’est valable qu’en première approximation.
Mais alors, si la Terre ne revient pas exactement au même point, quel sens peut-on donner au mot « année » ?
Pourquoi les planètes tournent-elles sur des ellipses ?
Kepler a observé que les planètes tournent sur des ellipses et c’est Newton qui l’a expliqué, environ 80 ans plus tard.
Parmi les nombreuses contributions de Newton à la Science, trois d’entre elles sont fondamentales :
En physicien de génie, il comprend qu’une force qui s’exerce sur une masse accélère cette masse.
C’est l’une des formules les plus importantes de la physique $F=ma$, reliant la force $F$, la masse $m$ et l’accélération $a$.
Toujours en physicien, il postule que dans l’univers deux masses quelconques s’attirent entre elles, même si elles sont très distantes.
Cette force de « gravitation » est proportionnelle au produit des masses et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare.
Des masses identiques dix fois plus éloignées s’attirent cent fois moins.
En mathématicien de génie, il invente (indépendamment de Leibniz) une machine mathématique qui permet, à partir de la connaissance des accélérations, de calculer les vitesses, puis les trajectoires des objets en mouvement.
C’est le calcul différentiel et intégral.
Par exemple, Newton peut résoudre le problème appelé « des deux corps ».
« On » place un Soleil très massif et immobile quelque part dans l’espace et « on » lance une petite planète.
À chaque instant, on connaît la force d’attraction du Soleil sur la planète, inversement proportionnelle au carré de la distance, et on connaît donc l’accélération.
Le calcul intégral permet alors de calculer la trajectoire et on trouve... une ellipse. CQFD
[3].
C’est un résultat remarquable : la forme de l’orbite est une conséquence purement mathématique de la force inversement proportionnelle au carré de la distance.
Une circonstance remarquable mais mal comprise
Bien sûr, Newton ne s’en tient pas là...
L’une des questions qu’il se pose est celle de savoir quelles seraient les orbites des planètes dans un monde dans lequel la force ne serait pas inversement proportionnelle au carré de la distance, mais dépendrait d’une autre manière de la distance, par exemple inversement proportionnelle au cube.
Il montre que dans un tel monde, les planètes suivraient des rosaces du genre suivant :
Que se passe-t-il pour un habitant de cette planète ?
La distance au Soleil oscille de manière périodique entre un maximum et un minimum.
Lorsque la distance est maximale, on dit que la planète est à l’apogée et lorsqu’elle est minimale on parle de périgée.
Entre deux passages à l’apogée (ou au périgée), il se passe toujours le même temps $T$.
Après ce temps $T$, la planète ne revient nécessairement pas au même point de l’espace : la droite joignant le Soleil à la planète à tourné d’un certain angle $A$ qui n’est pas nécessairement 360 degrés.
Les habitants de la planète hésiteront pour définir une année. Leurs astronomes diront que c’est le temps nécessaire pour tourner de 360 degrés autour du Soleil puisque c’est après une telle durée que le Soleil revient à la même place par rapport aux étoiles
[4]
.
Mais d’autres prétendront qu’ils ne sont pas intéressés par leur position par rapport aux étoiles mais que c’est par contre leur distance au Soleil qui les intéresse. Pour eux l’année sera la durée $T$ qui sépare deux passages à l’apogée ; la périodicité de la distance Soleil-Planète.
La circonstance remarquable et mal comprise encore aujourd’hui est que la loi de la gravitation de Newton, inversement proportionnelle au carré de la distance, est telle que l’angle $A$ est de 360 degrés si bien que les rosaces sont en fait des courbes qui se referment ; les deux définitions de l’année coïncident !
Le retour au périgée se fait exactement après une rotation 360 degrés de l’orbite.
Pourquoi cela ?
Le calcul intégral le montre et il s’agit aujourd’hui d’un exercice bien connu pour les étudiants des premières années d’université en maths ou en physique.
Mais pourquoi ?
Pourquoi la Nature a-t-elle « choisi » cette loi plus qu’une autre ?
Au dix-neuvième siècle, Bertrand a même montré que cette propriété caractérise la loi de Newton : c’est la seule loi « raisonnable » qui est telle que toutes les orbites se referment
[5].
Pour un mathématicien, il s’agit là d’une symétrie qu’il s’agirait de comprendre, autrement qu’en déployant des pages de calculs aveugles...
Comprendre et calculer, ce n’est pas tout à fait la même chose !
Plus de trois siècles après Newton, le problème des deux corps garde peut-être encore des secrets.
Les perturbations
Bien sûr, Newton n’avait pas oublié que la Terre n’est pas seulement attirée par le Soleil ; elle est aussi attirée par toutes les autres planètes.
Les planètes sont très petites par rapport au Soleil et la force d’attraction qu’elles exercent sur la Terre est faible.
On peut donc les négliger en première approximation.
Mais ça n’est que sous cette approximation que la Terre décrit une ellipse.
Par moments, il peut arriver que toutes les planètes se retrouvent « par hasard » derrière la Terre par rapport au Soleil, et leurs attractions viennent donc en quelque sorte contrarier l’attraction du Soleil.
D’autres fois, les planètes peuvent être en majorité du même côté que le Soleil et au contraire la force d’attraction vers le Soleil est renforcée.
Calculer les trajectoires des planètes soumises à toutes ces forces est un défi majeur du calcul différentiel depuis plus de trois siècles ; c’est le problème des $N$-corps. Les plus grands mathématiciens se sont frottés à ce problème et s’y frottent encore.
Initialement, ils cherchaient à faire aussi bien que Newton l’avait fait pour deux corps : trouver l’« l’équation » des trajectoires.
Mais parfois les mathématiciens peuvent démontrer que ce que leurs prédécesseurs cherchaient à faire est impossible et qu’il faut reformuler les questions d’une autre manière, souvent moins ambitieuse, ou moins naïve ; c’est le cas de ce problème des $N$ corps qui n’a pas fini de stimuler la recherche.
C’est une question importante. Grosso modo, les forces d’attractions exercées sur la Terre par les autres planètes représentent un millième de la force d’attraction en provenance du Soleil.
Cela semble faible mais ces petites forces pourraient accumuler leurs effets peu à peu ?
Peut-être qu’au bout de mille ans ces petits effets accumulés pourraient devenir considérables et bouleverser complètement la trajectoire de la Terre.
Tout cela aurait des conséquences immenses pour notre civilisation.
On peut se rassurer en pensant qu’on n’a pas constaté de telles catastrophes dans les quelques dizaines de milliers d’années précédentes et qu’on voit mal pourquoi ça arriverait demain...
Depuis plus de trois siècles, les mathématiciens ont cherché des solutions approximatives à ce problème et ils ont développé une théorie des perturbations.
Il n’est pas question ici d’en expliquer les méthodes, qui mènent à des calculs... astronomiques, mais l’idée générale est assez simple.
Puisque les planètes qui perturbent le mouvement de la Terre sont tantôt devant, tantôt derrière le Soleil, on les remplace par une valeur moyenne
[6].
Le résultat de ces calculs est que tout se passe comme si la force d’attraction de Newton n’était plus exactement inversement proportionnelle au carré de la distance mais prenait une forme légèrement différente.
On voit donc apparaître des rosaces.
En première approximation, lorsqu’on néglige les perturbations des autres planètes, la Terre tourne sur une ellipse.
En seconde approximation, si on « moyenne » les perturbations des autres planètes, la Terre tourne sur une rosace.
On peut dire la même chose autrement.
En seconde approximation, si on « moyenne » les perturbations des autres planètes, la Terre tourne sur une ellipse qui se déforme lentement.
Deux définitions de l’année
Une ellipse possède un grand axe (en bleu sur le dessin) et un petit axe (en vert).
Par ailleurs, elle est plus ou moins aplatie.
On mesure cela par un nombre compris entre 0 et 1 qu’on appelle l’excentricité.
Lorsque l’excentricité est nulle, l’ellipse est parfaitement ronde.
Plus elle s’approche de 1 et plus elle est aplatie.
Pour « notre » ellipse, celle suivie (en première approximation) par la Terre,
le grand axe mesure 299 195 775 km,
l’excentricité est égale à 0,016710219 ;
la distance entre la Terre et le Soleil varie entre 147 098 074 km et 152 097 701 km. En 2010, nous passerons au périgée le 3 janvier et à l’apogée le 6 juillet. Notez en passant que c’est pendant l’hiver (dans l’hémisphère nord !) que nous sommes au plus proche du Soleil.
En moyenne, la vitesse de la Terre sur son orbite est de près de 30 kilomètres par seconde.
Voici les résultats principaux de la théorie des perturbations.
Le premier est que même si l’ellipse que nous parcourons autour du Soleil se déforme lentement, son grand axe ne change pas de longueur.
Par contre sa direction tourne lentement autour du Soleil.
Le grand axe de notre ellipse fait un tour autour du Soleil en 112 000 ans.
Peut-être penserez-vous que c’est très une période très longue ?
Certainement à l’échelle d’une vie humaine, mais par rapport à l’âge de la Terre (quelques milliards d’années) c’est bien peu.
L’excentricité également évolue au cours du temps. Elle oscille très lentement entre 0,0034 et 0,058 si bien que la valeur actuelle est plutôt dans la moyenne.
Même le plan de l’orbite de la Terre change lentement, sur une période de l’ordre de 100 000 ans.
Alors, nous pouvons donner deux définitions de l’année :
Une troisième définition de l’année
Les deux définitions que nous venons de donner intéressent les astronomes. Après une année sidérale, la droite joignant la Terre et le Soleil a repris la même direction : le Soleil a fait le tour du zodiaque.
Pour l’homme de la rue, ou pour l’agriculteur, l’année représente autre chose : le retour des saisons.
La Terre tourne sur elle-même autour d’un axe joignant les deux pôles. Le plan perpendiculaire à cet axe est le plan équatorial. Imaginons un instant que ce plan équatorial coïncide avec le plan de l’orbite de la Terre (qu’on appelle l’écliptique), c’est-à-dire que l’axe de la Terre soit perpendiculaire à l’écliptique. Maintenant considérons un Terrien qui habite par 45 degrés de latitude nord. Tous les jours, il verrait le Soleil se lever à l’est, monter dans le ciel pour culminer à 45 degrés de hauteur, plein sud, puis descendre et se coucher à l’ouest. Pour lui, il n’y aurait pas de saisons : le Soleil se comporterait de la même manière tous les jours
[7]
.
Mais le plan équatorial et le plan de l’écliptique ne coïncident pas ; ils font un angle de 23 degrés et 26 minutes. La conséquence est que parfois l’hémisphère nord est « penché vers le Soleil » et que six mois plus tard, c’est l’hémisphère sud qui est penché vers le Soleil. C’est l’origine des saisons. Encore une figure extraite du livre de Flammarion déjà cité pour expliquer tout ça :
(Pour plus de détails, cliquer sur l’image).
Deux fois par an, la droite Soleil-Terre est dans le plan équatorial. Ces jours-là, les jours et les nuits sont de même durée : ce sont les équinoxes de printemps et d’automne.
A priori, on ne voit pas trop la différence entre l’année tropique et l’année sidérale. Ce serait le cas si l’axe de la Terre était fixe, mais il ne l’est pas...
La Terre tourne comme une toupie en rotation rapide ; son axe de rotation tourne et décrit un cône perpendiculaire au plan de l’écliptique.
(Pour plus de détails, cliquer sur l’image).
Ce mouvement lent de l’axe de la Terre engendre le phénomène de la précession des équinoxes. Le plan équatorial rencontre le plan de l’écliptique sur une droite dont la direction fait un tour complet en 25 770 ans. Une année sidérale après un équinoxe, la Terre est revenue dans la même direction par rapport au Soleil, mais son axe de rotation a un peu changé si bien qu’elle a déjà dépassé l’équinoxe depuis 20 minutes et 25 secondes (c’est-à-dire 1/25 770 d’année).
Quelle est la durée des années ?
Pour l’année 2000 :
L’année tropique a duré 365 jours 5 heures 48 minutes et 45 secondes.
L’année sidérale a duré 365 jours 6 heures 9 minutes et 10 secondes.
L’année anomalistique a duré 365 jours 6 heures 13 minutes et 52 secondes.
En troisième approximation ?
La théorie des perturbations est elle aussi une approximation... et les planètes ne suivent pas exactement les trajectoires prédites par cette théorie.
Grosso modo, on peut dire que cette théorie donne des résultats satisfaisants pour quelques millions d’années, ce qui, vous en conviendrez, est suffisant pour la plupart de nos besoins pratiques.
Mais on peut avoir envie d’aller plus loin, aussi bien dans le futur que dans le passé d’ailleurs.
Où était la Terre il y a un milliard d’années ?
A quelle distance du Soleil ?
La question est intéressante par exemple si on veut étudier le climat terrestre à ces époques, qui est évidemment une donnée fondamentale pour comprendre l’évolution de la Vie sur Terre.
Nous aurons probablement l’occasion dans Images des Maths de parler des travaux récents sur ces questions mais voici en quelques mots l’état actuel des connaissances.
Tout d’abord, on peut faire calculer les trajectoires des planètes par des ordinateurs, en prenant en compte toutes les forces d’attractions de toutes les planètes.
Ce genre de calculs est extrêmement intéressant mais il présente une difficulté.
L’ordinateur ne pourra faire que des calculs approchés, et même s’ils sont très précis, les petites erreurs vont s’accumuler et le résultat d’un calcul sur une très longue période ne sera plus fiable. Même si le calcul était exact, il faudrait connaître les masses des planètes au milligramme près et prendre en compte le moindre caillou qui gravite dans le système solaire
[8].
C’est le chaos dans le système solaire, mis en évidence numériquement par J. Laskar dans les années 1980.
Aujourd’hui, on considère qu’il n’est pas raisonnable d’espérer calculer les trajectoires par ordinateur pour un futur (ou un passé) plus lointain qu’une centaine de millions d’années.
Mais on n’y est pas encore tout à fait ; il faudra de gros ordinateurs, de bons programmeurs, et de bons théoriciens qui mettent au point de bonnes méthodes de calculs.
Pour aller plus loin et faire des prévisions à plus long terme, il faut être moins ambitieux et prendre acte du caractère chaotique du mouvement planétaire.
Au lieu de poser la question : où était la Terre il y a un milliard d’années ?
Il faut poser des questions comme celle-ci : dans la période de 10 millions d’années entre moins un milliard et moins un milliard et dix millions d’années, à quelle distance du Soleil se trouvait la Terre en moyenne ?
Des résultats numériques récents semblent montrer qu’on peut espérer pouvoir répondre à ce genre de questions.
Mais là encore, il faudra beaucoup de travail, en particulier par des mathématiciens théoriciens qui réfléchissent actuellement au problème des $N$-corps...
Et s’il y avait deux Soleils ?
Les étoiles doubles abondent dans l’Univers.
Imaginez deux Soleils tournant l’un autour de l’autre et une petite planète — la Terre — qui est attirée par ces deux Soleils...
Quelle serait la vie des Terriens ?
Que serait un jour pour eux ?
Que serait une année ?
Pour la journée, c’est assez facile à imaginer. La planète tourne sur elle-même et le Terrien assiste à des levers et des couchers de ces deux Soleils.
Tantôt, il n’y a qu’un Soleil dans le ciel, tantôt il y en a deux, et la « nuit » il n’y en a aucun.
Je ne peux pas m’empêcher de citer un passage enthousiaste de Flammarion
[9] :
Imaginez-vous qu’à midi, au moment où notre soleil bleu étend sur la nature cette lumière pénombrale, l’incendie d’un foyer resplendissant allume à l’orient ses flammes. Des silhouettes verdâtres se dressent soudain à travers la lumière diffuse, et, à l’opposite de chaque objet une traînée sombre vient couper la clarté bleue étendue sur le monde. Plus tard, le soleil rouge monte tandis que l’autre descend, et les objets sont colorés, à l’orient des rayons du rouge, à l’occident des rayons du bleu. Plus tard encore un nouveau midi luit sur la Terre, tandis qu’au couchant s’évanouit le premier soleil, et dès lors la nature s’embrase d’un feu rouge écarlate. Si nous passons à la nuit, à peine l’occident voit-il pâlir comme de lointains feus de Bengale les derniers rayonnements de la pourpre solaire, qu’une aurore nouvelle fait apparaître les lueurs azurées du cyclope à l’œil bleu. Etc.
Pour l’année, ce serait bien plus compliqué...
Imaginez même le cas le plus simple.
Les deux Soleils ont la même masse et chacun tourne autour de l’autre à vitesse constante en décrivant un cercle centré sur leur milieu.
Alors l’attraction à laquelle la Terre est soumise est la somme de deux forces et la trajectoire qui en résulte est extrêmement compliquée...
En particulier, si la position initiale de la Terre n’est pas dans le plan de l’orbite des Soleils, l’orbite de la Terre ne sera pas située dans un plan.
La phrase la « Terre a fait un tour » n’aura plus le moindre sens.
Le mot « année » n’aura plus de sens.
Les pauvres habitants n’auront pas le plaisir de voir le cycle des saisons.
Une civilisation serait-elle possible sur une telle planète ?
Certainement pas analogue à la nôtre !
Voici un exemple d’une trajectoire d’une telle Terre...
Comprendre cela est un fameux défi pour les mathématiciens...
Pour en savoir plus
Régalez-vous en lisant le livre de Flammarion ! Bien sûr, il contient quelques inexactitudes et quelques élucubrations sur la Vie sur les autres planètes, mais les explications sont si claires et le style est si fleuri que c’est un vrai plaisir. Vous y trouverez en particulier une description détaillée « des dix mouvements de la Terre ». Mais vous n’y trouverez pas bien entendu les derniers développements sur le comportement chaotique des planètes...
Le site de l’IMCCE, Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides, est une source d’information accessible à tous.
Un article d’Alain Chenciner, membre de l’IMCCE, dans les archives de Images des Mathématiques est bien plus difficile d’accès mais il peut donner une idée des problèmes qui intéressent les mathématiciens d’aujourd’hui autour du problème de $N$-corps.
Le site de Jacques Laskar, un autre membre de l’IMCCE, contient une mine d’informations et des articles (dont beaucoup seront peut-être inaccessibles à nos lecteurs).
Mais il faut absolument voir son petit film catastrophe qui résume cet article en deux minutes (et en anglais). On apprend qu’il y a une possibilité de collision entre la Terre et Mars ! Mais, rassurez-vous ; cet événement ne se produira pas avant quelques milliards d’années !
Bonne année tropique à tous !
1/ Un peu d’étymologie pour nos trois années :
Année « Sidérale » : c’est facile ! dérive de sidus, sideris « étoile ; les astres, le ciel ».
Année « Tropique » : dérive de τροπή « tour ; révolution du soleil (amenant de l’été à l’hiver) ».
Année « Anomalistique » : c’est plus subtil. Quel rapport entre une anomalie
et l’astronomie ? Le Trésor de la Langue Française nous apprend que « Ce mot [anomalie], qui est purement grec, signifie proprement irrégularité ; aussi sert-il à désigner le mouvement des planetes, qui comme l’on sait, n’est pas uniforme. L’anomalie est, pour ainsi dire, la loi des irrégularités de ce mouvement ... Dans l’Astronomie nouvelle, c’est le tems employé par une planete pour passer de son aphélie A, au point ou lieu I de son orbite) ; le mot ne possède que ces deux accept. jusqu’au xixe s. où il s’étend à d’autres domaines techn. » Pour un astronome, une anomalie est un angle.
2/ Un grand merci à Jos Leys pour son aide pour les images.
Notes
[1] "Ce livre est écrit pour tous ceux qui aiment à se rendre compte des choses qui les entourent, et qui seraient heureux d’acquérir sans fatigue une notion élémentaire et exacte de l’univers.
N’est-il pas agréable d’exercer notre esprit dans la contemplation des grands spectacles de la nature ? N’est-il pas utile de savoir au moins sur quoi nous marchons, quelle place nous occupons dans l’infini, quel est ce soleil dont les rayons bienfaisants entretiennent la vie terrestre, quel est ce ciel qui nous environne, quelles sont ces nombreuses étoiles qui pendant la nuit obscure répandent dans l’espace leur silencieuse lumière ? Cette connaissance élémentaire de l’univers, sans laquelle nous végéterions comme les plantes, dans l’ignorance et l’indifférence des causes dont nous subissons perpétuellement les effets, nous pouvons l’acquérir, non seulement sans peine, mais encore avec un plaisir toujours grandissant."
Publié pour la première fois en 1879, ce livre merveilleux a été ré-édité récemment ; ce serait dommage de s’en priver pour 25 euros... On peut aussi télécharger le fichier sur Gallica.
[2] Remarquez que lorsque les deux foyers coïncident, on retrouve la définition d’un cercle.
[3] ou une hyperbole ; une conique en général.
[4] Il faut prendre garde au fait que cette définition de l’année poserait problème puisque le temps nécessaire pour que la droite Soleil-Planète fasse un tour complet dépend du choix de la position initiale de cette droite.
[5] Il faut être plus précis.
D’abord, ce n’est pas la seule loi puisqu’il y en une autre : lorsque la force d’attraction est proportionnelle à la distance (c’est le cas d’une force de rappel de type « ressort »).
Mais bien sûr on peut éliminer cela dans notre monde physique ; il est « bien clair » que la force d’attraction doit décroître avec la distance.
Ensuite, certaines trajectoires « kepleriennes » ne sont des ellipses mais des hyperboles
Le « vrai théorème » est le suivant. Si on considère une force $F(r)$ qui ne dépend que de la distance $r$ au Soleil et si toutes les trajectoires qui restent bornées sont des courbes fermées, alors $F(r)$ est de la forme $kr$ ou $k/r^2$. Notez également que les trajectoires se refermeraient toutes si l’angle $A$ était toujours un nombre rationnel de degrés. Par exemple, si $A$ était toujours égal à $240$ degrés, cela signifierait que lorsque la planète a fait trois tours autour du Soleil, elle est revenue au même endroit dans l’espace. Le théorème de Bertrand montre en particulier qu’il n’existe pas de force $F(r)$ tel que $A$ soit toujours rationnel sans être en fait égal à 360 degrés, comme dans le système de Kepler.
[6] .
En pratique, cela revient à faire comme si les planètes qui perturbent le mouvement de la Terre s’étalaient en une espèce de tube tout au long de leurs orbites.
Il « suffit » alors de calculer l’attraction simultanée du Soleil et de ces tubes, qui sont peut-être compliqués mais qui sont au moins immobiles, ce qui simplifie les calculs.
[7] Pas tout à fait car l’orbite elliptique pourrait avoir une forte excentricité si bien que la Terre pourrait se rapprocher du Soleil une fois par an et recevoir plus d’énergie solaire. Pour notre Terre, la distance au Soleil ne varie que de quelques centièmes, si bien que cet effet est très faible.
[8] Sans parler du fait que la masse du Soleil n’est pas tout à fait constante ou encore qu’il faudrait prendre en compte la théorie de la relativité etc.
[9] Camille Flammarion : Les Merveilles Célestes, lectures du soir, Hachette 1902, page 120.
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Pour citer cet article :
Étienne Ghys — «Bonne année anomalistique !» — Images des Mathématiques, CNRS, 2010
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Commentaire sur l'article
Bonne année anomalistique !
le 24 janvier 2010 à 11:59, par Rémi Peyre
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le 27 janvier 2010 à 10:35, par Étienne Ghys
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le 26 janvier 2010 à 16:57, par Serma
Bonne année anomalistique !
le 27 janvier 2010 à 10:33, par Étienne Ghys
Bonne année anomalistique !
le 27 janvier 2010 à 14:30, par Serma
Bonne année anomalistique !
le 27 janvier 2010 à 18:41, par Étienne Ghys
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le 28 janvier 2010 à 09:38, par Michelle Schatzman