Elliptique, hyperbolique, pourquoi ?
Le 24 janvier 2010 Voir les commentaires (13)Lire l'article en


Les adjectifs elliptique, hyperbolique, parabolique évoquent bien sûr l’ellipse, l’hyperbole, la parabole,
courbes connues au moins depuis les Anciens Grecs. En mathématiques, le lien entre l’adjectif et la courbe correspondante
ne va pas toujours de soi.
Les coniques
Ellipse, hyperbole, parabole : ce sont des coniques, ainsi nommées parce que ces
courbes peuvent être réalisées
comme des sections planes d’un cône.
Le lecteur non mathématicien (j’espère qu’il y en a, ce billet est fait pour eux)
pourra facilement réaliser des ellipses et des hyperboles sur un mur de sa chambre,
en l’éclairant avec
une lampe de poche et en variant l’inclinaison des rayons lumineux..
Il (et même elle) n’arrivera pas à réaliser une parabole,
car c’est un cas exceptionnel,
Cette petite expérience est une vérification du fait que, « en général », une conique est une ellipse ou une hyperbole.
[1]
Le mot ellipse vient du grec elleipsis, qui veut dire manque, du fait que l’on
considérait l’ellipse
comme un cercle auquel il manquait quelque chose. Le mot hyperbole vient du grec hyperbolê,
action de jeter par dessus, exagération.
Une ellipse est aussi une omission syntactique ou stylistique. En littérature, l’hyperbole est
une figure de style qui consiste à créer une exagération et permet d’exprimer
un sentiment extrême (voir le Petit Robert).
Si l’on compare la signification des deux mots en mathématiques et en analyse de textes,
on peut observer une
certaine analogie : une ellipse reste dans une région limitée du plan, une hyperbole
s’en va à l’infini.
Notons aussi que « parabole » est la transcription du grec
parabolê, qui ne veut pas seulement dire « discours allégorique » comme le mot parabole en français,
mais aussi « rencontre ». C’était sans doute pour les mathématiciens grecs une façon de souligner le caractère transitoire de la parabole.
Passons aux adjectifs
Les choses commencent à se compliquer.
En français courant, elliptique signifie
bien sûr relatif à l’ellipse, hyperbolique relatif à l’hyperbole,
que les deux mots soient pris dans leur sens mathématique ou non.
Le vocabulaire mathématique
se veut précis. Précision ne veut pas forcément dire cohérence.
Par exemple, les fonctions hyperboliques sont des fonctions qui permettent une représentation paramètrique des
hyperboles, à l’instar des fonctions circulaires sinus et cosinus, qui permettent une
représentation paramètrique des cercles.
Autrement dit, au couple antagonique « ellipse hyperbole »
correspond ici le couple
« fonctions circulaires fonctions hyperboliques » [2]
Cette incohérence n’est que partielle : on voit au lycée que par rapport à des axes perpendiculaires l’équation
$x^2+y^2=1$ représente un cercle et l’équation $xy=1$ une hyperbole dite équilatère.
Si on remplace ces axes perpendiculaires par des axes obliques,
on obtient l’ellipse et l’hyperbole les plus générales. On peut voir les choses de façon plus géométrique en
introduisant les affinités. Ce sont les transformations du plan qui conservent le parallélisme. Elles transforment
ellipses, hyperboles et parabole en coniques du même type, et inversement deux coniques du même type peuvent se déduire l’une de
l’autre par une affinité convenable.
Notons au passage que le mot affinité n’est pas sans rapport avec son sens courant : les affinités ne changent pas trop les courbes
auxquelles on les applique !
Points elliptiques et hyperboliques d’une surface
L’alternative elliptique hyperbolique se rencontre aussi quand on étudie la position d’une surface
par rapport à un plan tangent en un point $P$. En éliminant les situations « exceptionnelles », il y a deux cas possibles :
a) Près de $P$, la surface est d’un seul coté du plan tangent en $P$.
L’intersection avec un plan parallèle à ce plan et suffisamment proche est soit vide soit formée d’une courbe fermée. [3]
b) La surface traverse son plan tangent.
L’intersection de la surface avec le plan tangent à $P$ sera formée de deux courbes transverses
(qui seront deux droites dans la cas d’une « quadrique », c’est-à-dire d’une surface de degré 2)
et sinon de deux courbes évoquant quelque peu les deux arcs d’une hyperbole.
Le premier cas est celui qui vient à l’esprit dans une approche naïve des surfaces. Le second, moins intuitif mais tout aussi
important, se voit par exemple dans les selles de cheval (d’où le nom de point selle pour les points hyperboliques), certains
châteaux d’eau
ou les cheminées des centrales nucléaires.
D’une façon plus technique, c’est la « seconde forme quadratique fondamentale » qui rend compte de la position de la
surface par rapport à son plan tangent. Cette seconde forme permet de définir une conique, l’indicatrice de Dupin,
qui est une ellipse dans le cas a), une hyperbole dans le cas b).
Géométrie hyperbolique, plan hyperbolique, pourquoi ?
Janos Bolyai et Nicolai Lobatchevski ont développé la géométrie non-euclidienne de façon axiomatique,
à partir d’un axiome stipulant que par tout point du plan il passe une infinité de parallèles à une droite donnée
(ne contenant pas ce point).
Puis il a été remarqué par Eugenio Beltrami
que cette géométrie peut se réaliser localement sur une
surface, baptisée par la suite pseudo-sphère de Beltrami, dont tous les points sont hyperboliques.
(Hélas, il n’est pas possible de réaliser le plan de Lobatchevski tout entier comme une surface de
l’espace euclidien, mais c’est
La trigonométrie plane exprime des relations entre les longueurs des côtés et les angles d’un triangle
du plan euclidien. Si l’on veut faire la même chose pour les triangles tracés sur une sphère, on a des formules analogues
qui font intervenir les sinus ou les cosinus des longueurs des côtés.
Si dans ces formules, on remplace les sinus et les cosinus des longueurs des côtés
par les fonctions hyperboliques correspondantes, on obtient une formule concernant
les triangles du
Ces deux raisons cumulées peuvent expliquer le nom de plan
pour le plan de la géométrie de Lobatchevski (J’avoue ignorer quand et comment cette terminologie s’est imposée).
Equations elliptiques et hyperboliques
Certaines équations aux dérivées partielles, notamment celles qui interviennent en Physique Mathématique,
sont aussi qualifiées d’
- le potentiel Newtonien, le potentiel électrostatique sont régis par une équation elliptique
- le mouvement d’une corde ou d’une membrane vibrante, le champ électromagnétique sont régis par une équation elliptique.
- l’équation de la chaleur, qui régit l’évolution de la température en fonction du temps, est parabolique.
En fait, les propriétés très différentes de ces différents types d’équation se voient mieux avec la physique qu’avec la géométrie.
En guise de conclusion
L’adjectif parabolique est moins fréquent que les deux autres. Rien d’étonnant à cela, la parabole
étant un cas exceptionnel de conique comme nous l’avons dit à plusieurs reprises.
Nous avons présenté des exemples où les adjectifs elliptique et hyperbolique étaient en couple.
Chacun d’eux a de surcroît connu sa fortune propre, l’un en Théorie des Nombres
(fonctions elliptiques, courbes elliptiques, qui ont joué un rôle clé dans la preuve du théorème de Fermat-Wiles),
l’autre dans les Systèmes Dynamiques et en Théorie Géométrique des Groupes (dynamique hyperbolique, groupes
hyperboliques de Gromov). C’est une autre histoire, qui pourrait faire l’objet d’un autre billet.
Notes
[1] il est facile de donner un sens mathématique précis à cette assertion
[2] les fonctions elliptiques, c’est tout à fait autre chose !
[3] Il y
a ici comme dans le cas b) une tricherie : il s’agit dans les deux cas
de la partie voisine du point $P$.
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Pour citer cet article :
Jacques Lafontaine — «Elliptique, hyperbolique, pourquoi ?» — Images des Mathématiques, CNRS, 2010
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