[Rediffusion d’un article publié en 2010]
«Espaces de questionnement et de méditation»
El 26 octubre 2022 Ver los comentarios (2)
Mes sentiments face aux peintures de Soulages m’ont surpris par leur parenté avec des sentiments provoqués par mes activités de recherche et d’enseignement en mathématiques.
[Rediffusion d’un article publié en 2010]
Il y a quelques mois j’ai visité la retrospective consacrée
à Pierre Soulages
au Centre Pompidou de Paris. J’ai hésité
avant d’y aller, car j’avais des idées préconçues réductrices
sur sa peinture, que je croyais pauvrement consacrée au noir.
J’y fus ébloui par la richesse des sortes de noir, par les
mouvements et les formes,
par les jeux du noir avec la lumière et les autres couleurs,
surgissant parfois avec impétuosité d’un
interstice dans un océan noir ! Soudain, le pouvoir
simplificateur du langage, certes indispensable, se révélait
terriblement
traître. J’avais failli passer à côté de cette expérience incroyable
car ma compréhension de la notion de noir était aussi réduite
que le mot était court !
Soulages s’exprima de la manière suivante à ce sujet [1] :
D’abord on peut essayer de comprendre à travers des mots
ce qu’est l’absence de mots. Et montrer les limites des mots.
Je prends l’exemple le plus élémentaire qui soit : quand vous
dites noir, ou n’importe quel nom de couleur, vous ne dites
pas si c’est grand ou si c’est petit. [...] Or, lorsqu’on se trouve
devant une immense étendue de couleur, on n’est pas du tout
touché de la même manière que devant un confetti de la même
couleur. [...] Ensuite, quand on dit noir, on ne dit pas non
plus si c’est rond ou carré, anguleux ou doux. La forme modifie
la couleur. [...] Mais il y a encore la densité et la texture. Un noir,
ça peut être transparent ou opaque : c’est pas pareil du tout.
Ça peut être brillant ou mat, lisse ou grenu, et ça change tout.
Quand vous regardez une couleur, toutes ces composantes y
sont présentes, et pourtant vous ne la désignez que par une
pauvre abstraction, le mot noir, ou jaune ou bleu, ce qui est
terriblement réducteur par rapport à la perception que vous en
avez. Sans compter qu’une couleur ne vous arrive jamais seule.
Elle est forcément placée à côté d’une autre et en relation avec
ce qui l’entoure. La couleur n’existe jamais dans l’absolu.
De la même manière, la compréhension intime, intuitive,
d’une notion mathématique ne s’obtient pas à partir de la
définition logique de cette notion, qui peut donner
l’impression d’une grande pauvreté. L’univers des manifestations
de cette notion, de ses métamorphoses, de ses relations avec
d’autres notions, ne se dévoile qu’à
l’explorateur patient et curieux. La définition n’est à l’univers
qu’elle résume que ce qu’un oiseau empaillé est à ses congénères
bien vivants : on n’en pourra point déduire leurs habitudes de vie
et les caractéristiques des écosystèmes qui leur sont adaptés.
Voilà pourquoi la recherche prend du temps. Et voilà aussi ce
que l’on doit s’efforcer de communiquer en enseignant, sous
peine de faire croire que les oiseaux naissent empaillés.
Ce furent là certaines des pensées qui me vinrent devant
les peintures de Soulages. Quel pouvoir avaient-elles, de
me renvoyer ainsi à mes propres expériences de travail ?
Une partie de la réponse est donnée par Soulages lui-même
[2]:
Mes tableaux sont des objets poétiques capables de recevoir ce que
chacun est prêt à y investir à partir de l’ensemble de formes et de
couleurs qui lui est proposé. Quant à moi, je ne comprends ce que
je cherche qu’en peignant. [...] Ma peinture est un espace
de questionnement et de méditation où les sens qu’on lui prête peuvent
venir se faire et se défaire. Parce qu’au bout du compte, l’œuvre vit
du regard qu’on lui porte. Elle ne se limite ni à ce qu’elle est, ni à celui
qui l’a produite, elle est faite aussi de celui qui la regarde.
Je trouve qu’il y a là un bel idéal pour un chercheur : faire que ses articles
offrent des «espaces de questionnement et de méditation» propices
à de nouvelles découvertes !
Notas
[1] Dans un
livre d’entretiens avec Françoise Jaunin, intitulé
«Pierre Soulages. Noir lumière» et publié en 2002
dans la collection «Paroles Vives» de l’édition suisse
«La Bibliothèque des Arts». L’extrait suivant provient des pages
13 et 14.
[2] À la page 15 du livre cité précédemment.
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Para citar este artículo:
Patrick Popescu-Pampu — ««Espaces de questionnement et de méditation» » — Images des Mathématiques, CNRS, 2022
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«Espaces de questionnement et de méditation»
le 24 de noviembre de 2011 à 21:59, par Clara