Géométrie Anamorphique II

Quelques éléments de « nomographie avancée »

Hors piste Le 16 avril 2011  - Ecrit par  Lucien Pirio Voir les commentaires (1)

Dans cette seconde note, nous introduisons plusieurs notions “élaborées” de nomographie et discutons des mathématiques associées.
Nous commençons par revenir sur l’anamorphose dont il a déjà été question dans la Note I. Cela nous conduira à présenter la notion de « nomogramme à points alignés », qui repose sur la dualité projective.
Nous parlons ensuite de certaines généralisations des nomogrammes classiques qui ont été introduites pour représenter graphiquement des relations mathématiques entre plus de trois variables. Ce sera l’occasion d’expliquer une des origines de l’un des célèbres vingt-trois problèmes de Hilbert.

Sur l’anamorphose

Nous voulons revenir sur le problème, déjà évoqué dans la Note I, de trouver le « meilleur modèle possible » d’un nomogramme donné. Très clairement, les nomogrammes dont toutes les isoplèthes (i.e. les lignes cotées) sont rectilignes sont parmi les plus faciles à utiliser dans la pratique, en utilisant une règle par exemple. Selon la terminologie classique, un tel nomogramme est dit « à droites concourantes ». Nous dirons aussi qu’il est « rectiligne » ou « rectifié ».
Voici un exemple d’un tel nomogramme :

La question qui nous occupe ici est celle de savoir si un nomogramme donné peut-être rectifié (c’est-à-dire rendu rectiligne) via une « anamorphose », c’est-à-dire via un changement de coordonnées. Nous dirons donc dans cette section qu’un
« meilleur modèle possible » d’un nomogramme donné ${ \mathcal N}$ est un abaque à droites concourantes équivalent à ${ \mathcal N}$. Bien sûr, il n’est pas certain qu’un tel modèle existe et, d’ailleurs, ce n’est en général pas le cas. La caractérisation des abaques qui sont « rectifiables », c’est-à-dire susceptibles d’être rectifiés, est un problème qui s’énonce simplement mais qui se révèle compliqué à résoudre. Nous ne rentrerons pas dans les détails mais dirons seulement que pour aborder cette question, il est nécessaire d’adopter un point de vue conceptuel, en considérant non pas l’abaque lui-même, mais plutôt l’objet mathématique abstrait qui lui correspond. Le lecteur curieux d’en savoir
sur le cadre conceptuel adapté à l’étude des abaques peut cliquer ci-dessous.

Quand un peu d’abstraction a du bon

La « géométrie différentielle » est un très vaste domaine des mathématiques dont les objets d’étude sont appelés « variétés différentielles » : très grossièrement,
ce sont les formes géométriques continues, quelles qu’elles soient. En géométrie différentielle, on cherche donc à comprendre mathématiquement les courbes, les surfaces, les volumes, etc [1]. Les mathématiciens ont dégagé progressivement des concepts et des méthodes pour étudier ces objets mathématiques, pour finalement arriver à mettre sur pied le « calcul différentiel » ou « infinitésimal ». C’est un outil très puissant pour étudier les variétés différentielles, mais dont la nature même fait qu’il ne porte que sur les « structures géométriques continues » (par opposition aux « structures géométriques discrètes »).

Considérons alors un abaque $\mathcal N$. Il est formé de trois familles $\mathcal F_1,\mathcal F_2, \mathcal F_3$ de courbes. Chacune des courbes de $\mathcal N$ est un objet géométrique qui s’étudie très bien au moyen de la géométrie différentielle : elle a été faite pour ça ! Par contre, cette dernière ne permet pas d’étudier l’abaque $\mathcal N$ en tant que tel. En effet, les familles $\mathcal F_1,\mathcal F_2$ et $\mathcal F_3$ étant finies, $\mathcal N$ n’est pas un
« objet mathématique continu » mais plutôt la donnée d’un ensemble discret (puisque fini) d’ « objets mathématiques continus » (les isoplèthes de $\mathcal N$). C’est ce mélange entre le discret et le continu qui fait que l’étude de $\mathcal N$ ne peut pas se faire au moyen des techniques habituelles de la géométrie différentielle.

Mais il se trouve qu’en adoptant un point de vue un peu plus conceptuel, on va pouvoir s’en sortir... Il faut pour cela réaliser que ce qui nous intéresse n’est pas vraiment l’abaque $\mathcal N$ lui-même, mais plutôt la loi mathématique en trois variables de la forme
\[\begin{equation}\label{E:loi} \mathcal L(x_1,x_2,x_3)=0\end{equation}\]
que représente $\mathcal N$. Et ce n’est pas la même chose : $\mathcal N$ est un objet bien concret à savoir quelques courbes tracées dans un domaine du plan, tandis que $\ref{E:loi}$ est un objet mathématique, un pur concept.
Il faut alors bien voir que $\mathcal N$ ne rend pas compte de toute l’information renfermée dans la relation $\ref{E:loi}$, mais seulement d’une toute petite partie de cette information. En effet, dans $\ref{E:loi}$, chacune des variables est susceptible (d’un point de vue mathématique) de prendre toutes les valeurs possibles d’un certain intervalle $I_i\subset \mathbb R$. Et donc, ce ne sont pas seulement trois familles finies (discrètes) de courbes qui correspondent vraiment à $\ref{E:loi}$ du point de vue mathématique, mais plutôt trois familles infinies (et même continues) de courbes...
En mathématiques, une telle famille dans un domaine du plan est appelée un « feuilletage ». C’est encore un objet purement abstrait, qu’on ne peut pas représenter graphiquement [2]. Ainsi, l’objet géométrique conceptuel qui correspond à un abaque est une famille de trois feuilletages dont les feuilles se coupent de façon transverse : le terme mathématique pour désigner un tel objet est celui de « tissu ». Nous y reviendrons dans la Note IV.

Pour finir cette digression, remarquons que, déjà du point de vue “concret” de la nomographie, il est naturel d’avoir à l’esprit que derrière tout abaque $\mathcal A$, se cache un tissu. En effet, il peut très bien arriver que deux isoplèthes de deux familles différentes s’intersectent en un point qui n’est sur aucune des isoplèthes de la troisième famille de courbes de $\mathcal A$. En fait, si cette courbe n’est pas tracée sur la feuille où est dessiné $\mathcal A$, elle existe cependant d’un point de vue mathématique. Au besoin, on peut donc la tracer, voire en tracer d’autres. Cela rendra peut-être l’abaque un peu moins lisible, mais il sera plus précis, un tout petit peu plus proche du tissu qui se cache derrière...

$\Large{A}$namorphose de Lalanne

La question, étudiée en premier par Léon-Louis Lalanne, est celle de savoir si un nomogramme normalisé est susceptible d’être rectifié « par anamorphose ». Comme deux des familles d’isoplèthes d’un abaque normalisé sont formées de segments rectilignes verticaux ou horizontaux, il est naturel de ne considérer que les anamorphoses qui conservent les droites verticales et les droites horizontales afin de conserver le caractère normalisé du nomogramme considéré.
Plus mathématiquement, Lalanne s’intéresse à la rectifiabilité des abaques au moyen d’anamorphoses de la forme
\[\begin{equation} \label{E:anaLalanne} (x,y)\longmapsto \Big(H(x),V(y)\Big)\, , \end{equation}\]
où $H$ et $V$ sont des fonctions d’une seule variable.

Convenons de dire qu’un abaque est « parallèle » s’il est formé de trois familles de segments de droites parallèles, et qu’il est « parallélisable » (ou « susceptible d’anamorphose » selon la terminologie classique) s’il est équivalent, via un changement de coordonnées, à un nomogramme parallèle. Les abaques parallèles représentent les lois mathématiques pouvant s’écrire sous la forme \[A(x)+B(y)+C(z)=0\] pour certaines fonctions $A,B$ et $C$ d’une variable.

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Figure 1 : un nomogramme parallèle

De tous les nomogrammes, il est clair que les abaques parallèles sont ceux dont l’utilisation est la plus simple. C’est sans doute cette raison qui a poussé
Lalanne à chercher à « paralléliser » un abaque normalisé donné $\mathcal N$ au moyen d’anamorphoses de la forme $\ref{E:anaLalanne}$.

Cette question présente plusieurs aspects :

  1. le premier est celui d’établir un critère explicite permettant de savoir si l’abaque $\mathcal N$ est ou non parallélisable via une anamorphose $\ref{E:anaLalanne}$ ;
  2. ensuite, quand l’anamorphose « à la Lalanne » est possible, on peut se
    poser la question de son unicité : existe-t-il un ou plusieurs changements de coordonnées du type $\ref{E:anaLalanne}$ qui parallélisent $\mathcal N$ ?
  3. enfin, et plus concrètement, encore dans le cas où l’anamorphose « à la Lalanne » est possible, il faudrait avoir une méthode pour construire une (ou les) anamorphose(s) $\ref{E:anaLalanne}$ qui rend(ent) $\mathcal N$ parallèle ;

Nous ne parlerons pas du dernier aspect de cette question. Le second est discuté (dans un cadre plus général) dans le paragraphe « La conjecture de Gronwall », ci dessous. Quant au premier aspect évoqué, une réponse tout à fait satisfaisante et jolie lui est donnée par le résultat suivant :

Théorème :   si $\mathcal N$ est un abaque normalisé associé à la relation $f(x,y)=z$, alors les points suivants sont équivalents :
  1. le nomogramme $\mathcal N$ est parallélisable au moyen d’une anamorphose de la forme $\ref{E:anaLalanne}$ ;
  2. la fonction $f$ vérifie l’équation différentielle $\frac{\partial^2 }{\partial x \partial y}\big( \log ({ \frac{\partial f}{\partial x}}/{ \frac{\partial f}{\partial y}})\big)=0$ ;
  3. le nomogramme $\mathcal N$ est hexagonal.

Ce que signifie l’assertion i. a été expliqué plus haut. L’assertion ii. est simplement un critère différentiel portant sur la fonction $f$. Par contre, il n’a pas encore été question d’hexagonalité et cette notion demande à être
expliquée. Notons $\mathcal F,\mathcal F'$ et $\mathcal F''$ les trois familles d’isoplèthes de l’abaque $\mathcal N$ considéré. L’hexagonalité de $\mathcal N$ se définit en termes de « fermeture de certaines configurations qui s’obtiennent en se promenant le long des isoplèthes de $\mathcal N$ »... Mais encore ? Eh bien, considérons trois isoplèthes ${\rm L},{\rm L}'$ et ${\rm L}''$ de $\mathcal N$ qui passent toutes par un même point ${\rm O}$. Donnons-nous un point ${\rm p}$ sur l’une d’entre elles, par exemple sur ${\rm L}"$. On va alors se déplacer le long des isoplèthes de $\mathcal N$ de la façon suivante : on commence la promenade en allant vers ${\rm L}'$ en se déplaçant le long de la courbe ${\rm L}({\rm p})$ de la famille $\mathcal F$ qui passe par ${\rm p}$.
Le début de la balade est illustré ci-dessous ($\mathcal F$ est formée des segments horizontaux bleus, $\mathcal F'$ des segments verticaux verts et $\mathcal F''$ des courbes orangées) :

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On change de direction lorsqu’on rencontre ${\rm L}'$ : dès qu’on arrive au point d’intersection ${\rm p}_1$ de ${\rm L}({\rm p})$ avec ${\rm L}'$, on quitte ${\rm L}({\rm p})$ pour continuer vers ${\rm L}$ en folâtrant le long de l’isoplèthe ${\rm L}"({\rm p}_1)$ de la famille $\mathcal F''$ qui passe par ${\rm p}_1$ :

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Comme pour l’étape de ${\rm p}$ à ${\rm p}_1$, on s’arrête au point ${\rm p}_2$ d’intersection entre ${\rm L}$ et ${\rm L}"({\rm p}_1)$. On quitte alors
${\rm p}_2$ pour aller vers ${\rm L}''$ en se déplaçant le long de l’isoplèthe ${\rm L}'({\rm p}_2)$... et on continue l’excursion selon la même procédure pour faire un « grand tour » qui va nous faire revenir sur ${\rm L}''$, en un point que l’on note ${\rm q}$ et qui est proche de ${\rm p}$. L’animation suivante (réalisée par Jos Leys) donne un aperçu de la promenade dans son ensemble :

En général, on ne revient pas exactement au point de départ à la fin de l’excursion. Cela est bien illustré par l’animation ci-dessus puisqu’on voit bien à la fin que les points ${\rm p}$ et ${\rm q}$ sont distincts. Mais il aurait pu se trouver que l’on retombe exactement sur ${\rm p}$ après un tour. Notre trajet formerait alors une figure à six côtés, une sorte d’hexagone. C’est de là que provient la terminologie de la définition suivante : un abaque est dit être « hexagonal » si l’on retombe toujours sur le point de départ lorsqu’on fait une balade comme expliqué ci-dessus, et cela quels que soient ${\rm O}$ et le point ${\rm p}$ choisis sur une isoplèthe du nomogramme passant par ${\rm O}$.

L’abaque $\mathcal A$ utilisé dans l’animation vidéo est associé à la relation $u(x,y)=z$ où $u$ désigne la fonction
$u(x,y)=x^2y-x+y$. On a vu géométriquement sur cette vidéo que $\mathcal A$ n’est pas hexagonal (puisqu’au moins un “hexagone” ne se referme pas). On aurait aussi pu le vérifier en utilisant le point ii. du théorème, puisqu’on établit assez facilement que l’expression $\frac{\partial^2 }{\partial x \partial y}( \log ({ \frac{\partial u}{\partial x}}/{ \frac{\partial u}{\partial y}}))$ n’est pas identiquement nulle. À l’inverse, le lecteur curieux peut vérifier graphiquement qu’un abaque parallèle est hexagonal.

La beauté et l’intérêt du théorème ci-dessus découlent du fait que les points i., ii. et iii. qui y sont mis en équivalence sont de nature différente. Le point i. concerne l’existence d’une forme équivalente particulièrement simple de l’abaque qu’on considère. Le point ii. est un critère consistant en la vérification d’une équation aux dérivées partielles : c’est un critère différentiel. Le point iii. est un critère de fermeture de certaines configurations et est de nature plus géométrique.

L’équivalence des points i. et ii. du théorème a été démontrée en 1871 par le comte Paul de Saint-Robert dans [St.-Robert] et a été redécouverte de nombreuses fois par la suite. On peut dire que ce théorème a eu beaucoup de succès.
Il a, par exemple, suffisamment intéressé un groupe de mathématiciens allemands vers la fin des années 1920 pour qu’ils le généralisent, ce qui les amenèrent a fonder une branche assez spécialisée de la géométrie, maintenant connue sous le nom de « géométrie des tissus ». Bien plus tard, deux récipiendaires du prix Nobel d’économie (G. Debreu et P. Samuelson) ont à leur tour (de façon indépendante) en partie retrouvé et utilisé ce théorème dans leur travaux en économie.

$\Large{A}$namorphose généralisée

C’est l’ingénieur Belge Junius Massau qui a réalisé qu’il était intéressant en nomographie de permettre des anamorphoses (i.e. des changements de coordonnées) plus générales que celles considérées par Lalanne. En effet, si les abaques les plus simples d’utilisation sont bien sûr les abaques normalisés à droites concourantes (i.e. les abaque rectifiés dont deux des trois familles de lignes cotées sont formées de segments horizontaux et verticaux), il est clair que les nomogrammes à droites concourantes les plus généraux ne sont pas vraiment plus compliqués à utiliser dans la pratique.
Pour que la différence entre ces deux types d’abaques soit bien claire, on a représenté ci-dessous un abaque normalisé rectiligne (à gauche) et un abaque rectiligne quelconque (à droite).

Disons quelques mots de l’approche de Massau. Soit $\mathcal N$ un nomogramme dont on note $\mathcal F_i$ (avec $i=1,2,3$) les trois familles d’ispolèthes. L’idée de Massau est d’essayer de trouver un modèle rectiligne de $\mathcal N$ non pas au moyen d’une anamorphose de la forme $\ref{E:anaLalanne}$, mais via un changement de coordonnées de la forme la plus générale possible, c’est-à-dire du type
\[\begin{equation} \label{E:anaMassau} (x,y)\longmapsto \Big(M(x,y),N(x,y)\Big), \end{equation}\]
où $M$ et $N$ sont des fonctions de deux variables.

On doit à Massau le critère suivant :
la relation $\mathcal L(x,y,z)=0$ est susceptible d’être représentée au moyen d’un nomogramme rectiligne si et seulement si il existe des fonctions d’une variable $f_i,g_i,h_i$ pour $i=1,2,3$ telles que $\mathcal L(x,y,z)=0$ soit équivalent à
\[\begin{equation} \label{E:FormDet} \begin{vmatrix} f_1(x) & f_2(x) & f_3(x) \\ g_1(y) & g_2(y) & g_3(y) \\ h_1(z) & h_2(z) & h_3(z) \\ \end{vmatrix}=0 \end{equation}\]
(où les barres verticales indiquent qu’on considère le déterminant de la matrice carrée de taille $3\times 3$ délimitée par ces barres).

Une question fondamentale et naturelle en théorie des abaques
est celle de savoir si un nomogramme donné est rectifiable ou non, au moyen d’un changement de coordonnées quelconque $\ref{E:anaMassau}$. Cette question est essentiellement équivalente à celle de savoir quand une équation $\ref{E:loi}$ est équivalente à une autre de la forme très particulière $\ref{E:FormDet}$ ci-dessus. Bien que simple à formuler, cette question est ardue, comme le reconnaît d’Ocagne :

La question, d’un intérêt purement théorique, qui consiste à reconnaître si une équation $F(x,y,z)=0$ quelconque est réductible à la forme $\ref{E:FormDet}$, constitue un difficile problème d’Analyse résolu de la façon la plus remarquable, en 1912, par M. Gronwall dans [Gronwall].’’

Les résultats de Gronwall sont trop techniques pour qu’on en dise un mot ici. En revanche, il est possible de présenter une jolie question soulevée dans [Gronwall] et qui concerne les abaques rectifiables. Le lecteur intéressé peut cliquer ci-dessous pour davantage de précisions.

La conjecture de Gronwall

Pour profiter pleinement de ce paragraphe, il est nécessaire d’être familier avec la notion de « transformation projective » du plan. Par définition (et en oubliant d’être rigoureux), une telle transformation $F$ transforme les (segments de) droites en (segments de) droites. Par conséquent, dans ce cas, si $\mathcal N$ est un nomogramme rectiligne, son image $F_*(\mathcal N)$ par $F$ est encore un abaque dont les isoplèthes sont des segments de droites. Ainsi, un abaque rectiligne admet beaucoup de modèles équivalents également rectilignes.

Étant donné un abaque $\mathcal N$ rectifiable (mais pas forcément rectiligne), l’une des premières questions qui se posent est celle de savoir si $\mathcal N$ est ou non rectifiable « d’une seule façon possible ». Bien sûr, il faut s’entendre sur ce que l’on signifie par là. En effet, si $A$ est une transformation du plan qui rectifie $\mathcal N$ (i.e. telle que $A_*(\mathcal N)$ soit rectiligne), alors $F\circ A$ rectifie également $\mathcal N$ si $F$ est une transformation projective. Puisque l’image d’un nomogramme rectiligne par une transformation projective est encore rectiligne, la « seule façon possible » dont il vient d’être question est à prendre « modulo les transformations projectives » : nous choisissons de ne pas faire de différence entre une application $A$ qui rectifie $\mathcal N$ et une autre s’écrivant $F\circ A$ pour une certaine transformation projective $F$.

Il existe au moins un abaque qui peut être rectifié de plusieurs façons différentes : il s’agit du nomogramme $\mathcal P$ associé à la relation ${x}-{y}=z$ dont il a déjà été question plus haut. Tracé en prenant $x$ et $y$ comme coordonnées cartésiennes, $\mathcal P$ est à isoplèthes parallèles (cf. Figure 1 ci-dessus). Pour obtenir un autre modèle rectiligne de $\mathcal P$, on introduit de nouvelles variables définies par $X=\log(x)$ et $Y=\log(y)$ et l’on considère la transformation du plan $A: (x,y)\rightarrow (X,Y)=(\log x, \log y)$. On vérifie alors que l’abaque $A_*(\mathcal P)$ est formé d’isoplèthes dont les droites supports sont des droites horizontales, des droites verticales et des droites passant par l’origine. Comme $A$ ne transforme pas une droite quelconque du plan en une autre droite, ce n’est pas une transformation projective. Puisque $\mathcal P$ et $A_*(\mathcal P)$ sont tous deux rectilignes, cela montre que $\mathcal P$ admet plus d’une linéarisation, et cela même « modulo les transformations projectives » [3].

En 1912, le mathématicien d’origine suédoise T.H. Gronwall publie un long article sur la théorie mathématique des abaques [Gronwall]. Il apporte une contribution remarquable à la question de la caractérisation des nomogrammes rectifiables (cf. plus haut) et termine son introduction
par les lignes suivantes :

Dans un travail ultérieur, je formerai explicitement l’intégrale commune des équations aux dérivées partielles du paragraphe 1, et je ferai voir que le cas du paragraphe
4 est le seul où l’équation donnée admette des représentation nomographiques essentiellement distinctes.

Il semble que le “le travail ultérieur” auquel Gronwall fait allusion n’a jamais vu le jour... En fait, le résultat que mentionne Gronwall dans ces quelques lignes est toujours non démontré. Il est maintenant connu comme une conjecture que l’on peut énoncer de la façon suivante :

Conjecture de Gronwall : soit $\mathcal N$ un nomogramme rectiligne qui n’est pas parallélisable (i.e. qui n’est pas hexagonal).
Si $G$ est une fonction telle que $G_*(\mathcal N)$ est encore rectiligne, alors $G$ est la restriction d’une transformation projective
.
En d’autres termes, un abaque non parallélisable admet au plus une linéarisation, modulo les transformations projectives.

Cette conjecture, également connue comme « le problème fondamental de la nomographie » est assez fascinante. Tout d’abord, elle porte sur des objets relativement peu sophistiqués (du point de vue d’un mathématicien, tout du moins !) et elle s’énonce simplement. En dépit de cela, il semble qu’elle soit toujours non démontrée malgré plusieurs tentatives...

Introduisons le « nombre de Gronwall » $N_{\mathcal G}$ défini comme étant le nombre maximal de linéarisations non projectivement équivalentes que peut posséder un nomogramme non-parallélisable [4]. Établir la conjecture de Gronwall revient à montrer que $N_{\mathcal G}=1$.
Il se trouve que le problème de borner supérieurement le nombre de Gronwall
a été abordé avec succès par différents auteurs au cours du XXème siècle :

  • en 1926, le mathématicien tchèque Otakar Borůvka démontre que $N_{\mathcal G}\leq 16$ ;
  • n’ayant pas connaissance du résultat précédent, l’allemand Gerrit Bol démontre de son coté en 1931 que $N_{\mathcal G}\leq 17$ ;
  • par une approche plus géométrique, l’italien Guido Vaona prouve en 1961 que $N_{\mathcal G}\leq 11$ ;
  • dans un article publié en 1964, le russe S.V. Smirnov prétend établir que $N_{\mathcal G}=1$.

Smirnov prétend donc avoir démontré la conjecture de Gronwall mais son travail est juste évoqué et jamais véritablement pris en compte par la quasi-totalité de ceux qui se sont intéressés à cette question par la suite. Il faut dire que cet article étant écrit en russe et difficile à trouver, il est tout à fait possible que peu de personnes (voire aucune !) aient vraiment regardé en détail cet article de Smirnov...
C’est que l’idée de s’échiner à comprendre un article introuvable, en russe, qui présente une approche non-standard et potentiellement fausse d’un problème mathématique certes joli, mais très particulier, n’est pas de celles qui excitent le plus les mathématiciens !

Plus récemment, plusieurs auteurs ont abordé à nouveau le sujet dans des articles répondant aux critères actuels de rigueur que sont censés respecter les publications mathématiques modernes. Deux groupes distincts de chercheurs ont abordé, chacun de leur côté, la question de la rectifiabilité des abaques (avec d’ailleurs une sorte de mini-controverse à la clef). En particulier, ils démontrent indépendamment que $N_{\mathcal G}\leq 15$.

Ainsi, les travaux récents sur la Conjecture de Gronwall semblent aller moins loin que d’autres bien plus anciens (ceux de Vaona et de Smirnov en particulier), qui paraissent, quant à eux, n’avoir pas été regardés de près. La situation de cette conjecture n’est pas vraiment satisfaisante, du travail reste à faire...

Nomogrammes rectilignes et à points alignés

Comme on l’a dit, un nomogramme rectiligne est particulièrement facile à manipuler, en utilisant une règle par exemple. En fait, on peut donner une forme encore plus simple aux abaques de ce type en utilisant la « dualité projective ». Il s’agit d’une notion mathématique importante que nous allons maintenant introduire.

$\Large{I}\!$nterlude : La dualité projective

La « dualité projective » dont il va être question ici est un phénomène de géométrie plane, très classique puisque déjà considéré par les mathématiciens de la Grèce antique. On peut la décrire très grossièrement de la façon suivante : « La dualité projective est un procédé qui associe à tout point $p$ du plan une droite $p^*$, et à toute droite $D$ de ce plan, un point $D^*$. De plus, cette dualité préserve la relation d’incidence entre les points et les droites ».

Bien sûr, sans davantage de précision, cela ne signifie pas grand chose dit comme cela et malheureusement (ou heureusement !) nous n’avons pas la place de définir proprement cette dualité projective ici [5]. Nous dirons seulement que la dualité projective dont on parle est naturelle par un grand nombre d’aspects et satisfait beaucoup de propriétés
particulièrement belles. Par exemple, elle est « involutive » : si $p^*$ est la droite associée à un point $p$ du plan par cette dualité, il se trouve que le point associé à la droite $p^*$ par cette même dualité n’est rien d’autre que le point $p$ de départ.
En langage mathématique, cela s’écrit de la façon suivante [6] :
\[ (p^*)^*=p.\] La propriété la plus importante de la dualité projective est sans doute qu’elle préserve la relation d’incidence entre les points et les droites. En effet, un point $p$ est incident avec une droite $D$ (c’est-à-dire $p\in D$, i.e. $p$ est sur $D$) si et seulement si le point $D^*$ et la droite $p^*$ sont incidents (c’est-à-dire $D^*$ est sur $p^*$). Cette propriété très importante s’écrit mathématiquement
\[ p\in D \; \Longleftrightarrow D^*\in p^* \]
et se dessine de la façon suivante :

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Après ces généralités un peu vagues, nous espérons être plus parlant en expliquant maintenant un procédé concret essentiellement équivalent à la dualité projective [7]. Pour cela, donnons nous un cercle $C$ dans le plan [8], arbitraire mais fixé. Nous allons expliquer comment construire géométriquement la droite duale $p^*$ d’un point $p$ du plan. La construction de $p^*$ que nous allons décrire va dépendre du choix du cercle $C$, mais d’une façon qui n’est pas du tout essentielle vu notre propos.

Supposons pour simplifier que le point $p$ se trouve en dehors du disque délimité par $C$. Alors il existe exactement deux droites $D'$ et $D''$ passant par $p$ et qui sont tangentes à $C$ en deux points que l’on note $p'$ et $p''$ respectivement. Par définition, la « droite $p^*$ associée au point $p$ via la dualité projective » est la droite reliant $p'$ et $p''$ ; en termes mathématiques, on a $p^*=(p'p'')$.
Il suffit d’inverser la construction précédente pour déterminer le point $D^*$ associé à une droite $D$ qui intersecte le cercle $C$ en deux points distincts.

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Pour être complet dans la description de la corrélation par rapport à $C$, il faudrait aussi considérer deux autres cas possibles. Lorsque $p$ est un point de $C$, on trouve facilement ce que doit être $p^*$ [9]. Lorsque $p$ est à l’intérieur de $C$... c’est un peu plus compliqué et comme le disent parfois les mathématiciens quand ils veulent gagner de la place et ne pas trop se fatiguer : « nous laissons ce cas en exercice au lecteur » !

$\Large{L}$a dualité projective appliquée à la nomographie

Nous allons utiliser la dualité projective décrite dans l’interlude précédent pour expliquer comment on peut donner une forme nouvelle et très simple d’utilisation aux nomogrammes à droites concourantes.

Soit $C$ un cercle dans le plan, fixé une bonne fois pour toutes.
Si $S=[ab]$ désigne un segment de droite, on peut lui associer un point $S^*$ dans le plan : $S^*$ n’est rien d’autre que le point associé à la droite support $(ab)$ de $S$ via la corrélation polaire par rapport à $C$.

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Supposons maintenant que l’on se soit donné une famille continue $\mathcal F=\{ S_t \, | \, t\in T\}$ de segments de droites, paramétrée par un intervalle $T\subset \mathbb R$. « Par dualité », on peut donc associer à cette donnée une famille de point $S_t^*$ telle que l’application $t\mapsto S_t^*$ soit continue. L’ensemble de ces points forme une courbe $\mathcal C_{\mathcal F}$. Imaginons de plus qu’une cote $q_t$ ait été attribuée à chacun des segments $S_t$. Alors on peut attribuer les mêmes cotes $q_t$ aux points $S_t^*$ correspondants. La courbe $ \mathcal C_{\mathcal F}$ ainsi obtenue est une courbe non plus cotée, mais “multi-cotée” : une cote est associée à chacun de ses points, contrairement à une isoplèthe d’un abaque à laquelle ne correspond qu’une seule cote. Bien sûr, le procédé est réversible : en utilisant la corrélation par rapport à $C$, on peut reconstruire la famille des segments cotés $\mathcal F$ à partir de la courbe $ \mathcal C_{\mathcal F}$ [10]. La figure ci-dessous illustre ce dont nous venons de parler.

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Étant donné maintenant un nomogramme à droites concourantes $\mathcal N$, on peut appliquer la corrélation précédente à chacune des trois familles $\mathcal F_1, \mathcal F_2$ et $\mathcal F_3$ de courbes cotées qui forment $\mathcal N$. Le résultat est simplement trois courbes $\mathcal C_1,\mathcal C_2$ et $\mathcal C_3$ dans le plan, avec des cotes marquées le long de chacune. Le graphique formé par ces trois courbes est le « nomogramme à points alignés » associé à $\mathcal N$ [11] ; on le notera $\mathcal N^*$.

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Le lecteur ne peut manquer de voir tout de suite l’avantage de ce procédé : à l’origine on avait un abaque $\mathcal N$ composé de trois familles de lignes cotées, ce qui faisait au final beaucoup de courbes. Au moyen de la dualité projective, on se ramène au nomogramme $\mathcal N^*$ formé de seulement trois courbes ! Il faut noter que les isoplèthes de $\mathcal N$ et les courbes
$\mathcal C_1,\mathcal C_2$ et $\mathcal C_3$ de $\mathcal N^*$ sont vraiment de nature différente [12].
En fait, non seulement
$\mathcal N^*$ est graphiquement plus simple que l’abaque $\mathcal N$ de départ, mais son utilisation en nomographie l’est également. En effet, comme la dualité projective conserve la relation d’incidence entre les points et les droites, et puisque les points cotés des courbes $\mathcal C_i$ correspondent aux isoplèthes rectilignes de l’abaque $\mathcal N$, on peut trouver sans trop de difficultés la manière dont $\mathcal N^*$ s’utilise (cf. la figure ci-dessous) : si l’on veut connaître la valeur de la variable correspondant à la couleur rouge sur le nomogramme à points alignés $\mathcal N^*$ ci-dessus, à partir des « valeurs »
$E$ et
$\mathcal R$
des deux autres variables (associées aux couleurs bleue et verte respectivement), il suffit de tracer la droite passant par les points cotés $E^*$ sur la courbe bleue $\mathcal C_2$ et $\mathcal R^*$ sur la courbe verte $\mathcal C_3$. Cette droite intersecte la courbe rouge $\mathcal C_1$ en le point dont la cote est $V^*$ : la cote cherchée est donc $V$ .

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C’est Maurice d’Ocagne en 1884 (dans [D’Ocagne 1]) qui, le premier, a pensé à utiliser la dualité projective pour simplifier au maximum les nomogrammes à droites concourantes. Cette approche eut beaucoup de succès et donna lieu à un nombre important de publications sur le sujet.
S’il y eut beaucoup de recherches théoriques sur les abaques à droites concourantes, il y eut aussi de nombreuses publications sur les aspects pratiques de ces nomogrammes, puisqu’il s’est avéré qu’un grand nombre de lois considérées dans la pratique pouvaient être représentées au moyen de nomogrammes à points alignés.

$\Large{Q}\!$uelques nomogrammes à points alignés

Sans autre raison que parce que nous trouvons ces figures belles,
nous reproduisons ci-dessous quelques nomogrammes à points alignés anciens. Le lecteur voulant en voir davantage peut par exemple consulter le livre [Soreau] qui en regorge.

Nomogrammes des trinômes du second et du troisième degré.
L’exemple suivant a déjà été présenté dans la Note I. Nous le présentons à nouveau ici pour rafraichir la mémoire du lecteur mais aussi parce que c’est l’exemple concret par lequel d’Ocagne a fait connaître la méthode des abaques à points alignés [13].
Quel que soit l’entier strictement positif $m$, l’abaque $\mathcal N_m$ associé à la loi
\[ z^m+pz+q=0 \] est à droites concourantes si l’on prend $p$ et $q$ comme coordonnées cartésiennes. On peut donc construire une version duale à points alignés du nomogramme $\mathcal N_m$. Pour gagner de la place, on peut même représenter sur un même graphique les nomogrammes duaux $\mathcal N_2^*$ et $ \mathcal N_3^*$ (par exemple), comme ci-dessous.
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Dans chacun des cas $m=2$ ou $m=3$, les courbes de $\mathcal N_m^*$ sont deux (segments de) droites et (un morceau d’)une courbe algébrique de degré $m$.

Nomogramme de la distribution des vitesses dans les canaux.
La loi ci-dessous rend compte de la « distribution des vitesses dans les canaux ». Elle a été donné par l’ingénieur bourguignon Hervé Bazin et concerne des questions d’hydraulique.
\[\begin{equation} \label{E:canal} \frac{V}{v}=1+20 \beta \frac{ \frac{1}{3}-\alpha+\alpha^2}{(1-\alpha)^2}. \end{equation}\]
Toutes les courbes apparaissant
dans l’abaque à points alignés associé à cette loi sont rectilignes.
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Un nomogramme utilisé sur les champs de batailles.
L’équation
\[\begin{equation} \label{ricci} \rho^2=(\rho+a)^2+1-2\,(\rho+a)\, \cos \omega \end{equation}\]
relie certaines variables d’un triangle plan et a été considérée par un capitaine d’artillerie italien nommé Ricci. Elle est introduite de la façon suivante dans [Soreau] :

Soit une batterie $A$ tirant sur un but $B$, visible de $A$, dont la distance $CB$ est observée par un télémétreur placé en un point $C$ défini par l’angle $\omega$ et la longueur $AC$. Prenons cette longueur pour unité et posons $CB=\rho$, $AB=\rho+a$. Il s’agit de déterminer la correction $a$ à apporter à $\rho$ pour avoir la distance $AB$.

Le loi $\ref{ricci}$ peut être représentée au moyen de l’abaque suivant :
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Au prime abord, on peut distinguer seulement deux courbes cotées
sur ce graphique et celui-ci ne semble donc pas être véritablement un abaque à points alignés. En fait, il se trouve que deux des trois courbes cotées du nomogramme à points alignés associé à la relation $\ref{ricci}$ sont des morceaux d’une seule et même courbe. En regardant de près, on se rend compte, en effet, que le cercle de la figure ci-dessus porte deux systèmes de cotes distincts : l’un sur sa partie supérieure et qui correspond à la distance $\rho$, l’autre sur la partie inférieure et qui correspond à l’angle $\omega$.

Un nomogramme qui serpente.
L’abaque à points alignés ci-dessus est formé de deux courbes dont l’une porte deux systèmes de cotes différents. Dans certains cas très particulier, il est même possible de construire des abaques à points alignés qui ne sont constitués que d’une seule courbe. Par exemple, la relation algébrique
\[\gamma=\frac{\alpha+\beta}{1-\alpha \beta}\]
entre $\alpha=\tan a$, $\beta=\tan b$ et $\gamma=\tan a+b$ est susceptible d’être représentée par un tel nomogramme.
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Sur l’abaque ci-dessus, la simplification apportée par le point de vue dual permis par la dualité projective est flagrante : un abaque standard formé de trois familles de courbes est remplacé par une unique courbe portant trois système de cotes.

Il se trouve que la dualité projective s’applique en fait aux nomogrammes en trois variables les plus généraux. Le lecteur intéressé par cette généralisation (un peu plus sophistiquée que le reste) peut cliquer ci-dessous.

Allons encore plus loin avec la dualité projective...

Nous allons expliquer dans ce paragraphe que le procédé décrit ci-dessus associant un nomogramme à point alignés à un nomogramme à droites concourantes peut se généraliser aux abaques quelconques pas forcément rectilignes. Cependant, cela n’est pas particulièrement intéressant dans la plupart des cas, puisque le nomogramme dual $\mathcal N^*$ d’un abaque $\mathcal N$ quelconque ne sera pas forcément plus simple que $\mathcal N$, ni dans sa forme, ni dans son utilisation. Cependant, cette construction a été utilisée dans la pratique, dans certains cas particuliers.

Tout d’abord, il faut commencer par définir la courbe duale $C^*$ d’une courbe $C$ du plan ce qui est assez simple quand on suppose que $C$ a une tangente en chacun des ses points. Dans ce cas, si $p$ est un point de $C$, on note $T_p $ cette droite tangente et son dual $(T_p)^*$ est un point. Par définition, la courbe duale $C^*$ est la réunion de ces points :
\[C^*=\cup_{p\in C} (T_p)^*.\]
La figure ci-dessous illustre la construction de $C^*$ à partir de $C$.
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Au moyen de la dualité projective, on associe donc une courbe $C^*$ à $C$.
Il est alors pratique de convenir que les points sont des courbes particulières du plan. Il est naturel de poser cette convention pour être cohérent avec ce qui a été fait avant [14]. Alors on peut vérifier que l’association de $C^*$ à $C$ est involutive : comme dans les cas des droites (et des points), on a $(C^*)^*=C$.

Muni de cette définition, on peut définir le dual d’un feuilletage par courbes. Si $\mathcal F$ est une famille de courbes $\{ C_t\, | \, t\in T\}$ paramétrée par un intervalle $T\subset \mathbb R$, on définit son dual comme étant la famille $\mathcal F^*$ formée des courbes duales des courbes de $\mathcal F$ : on a
\[ \mathcal F^*=\{ (C_t)^*\, \vert \, t\in T\}. \]
Il n’est plus vraiment compliqué de définir le dual d’un nomogramme $\mathcal N$ général (et pas forcément rectiligne) : c’est la figure notée $\mathcal N^*$ formée par les courbes duales des isoplèthes de $\mathcal N$ (cf. ci-dessous). La figure $\mathcal N^*$ est donc elle aussi formée de trois familles de courbes (en général). En associant à une courbes de $\mathcal N^*$ la cote de la duale, on peut supposer que les courbes de $\mathcal N^*$ sont cotées (par les même cotes apparaissant dans $\mathcal N$).

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L’abaque $\mathcal N^*$ (à droite dans la figure juste ci-dessus) est un exemple d’« abaque à contact tangentiel ». Comme le nomogramme $\mathcal N$ de départ, il est constitué de trois familles de courbes cotées. Il reste maintenant à expliquer comment il s’utilise dans la pratique. La réponse est bien sûr donnée en « dualisant » la méthode standard d’utilisation de $\mathcal N$ : soient $v_1=28,4$ et $v_2=125$, deux valeurs numériques de deux variables impliquées dans la relation « nomographiée » par $\mathcal N$. Pour déterminer la valeur $v_3$ de la troisième variable, on considère les isoplèthes qui correspondent à ces valeurs : sur $\mathcal N$, ce sont les isoplèthes
épaisses verte et rouge $C_1$ et $C_2$. Sur $\mathcal N^*$, ce sont les isoplèthes duales $C_1^*$ et $C_2^*$.

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Cherchons alors à déterminer $v_3$ graphiquement.
Sur $\mathcal N$, il faut considérer le point $p$
d’intersection de $C_1$ avec $C_2$. Avec le nomogramme dual $\mathcal N^*$, il faut donc procéder de façon duale en considérant la droite qui est tangente aux deux isoplèthes $C_1^*$ et $C_2^*$ : on peut vérifier que cette droite est la droite $p^*$ déterminée par $p$ via la dualité projective.

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On trouve la droite $p^*$ tangente à $C_1^*$ et à $C_2^*$ par exemple en déroulant une règle tangentiellement le long de $C_1^*$ et en s’arrêtant lorsque la règle est tangente à $C_2^*$. En se déplaçant le long de la droite $p^*$, on trouve le point $q$ de celle-ci où elle est tangente à une isoplèthe de $\mathcal N^*$ associée à la variable dont on cherche la valeur : il s’agit de l’isoplèthe notée $C_3^*$ sur la figure ci-dessous. Alors la cote de cette isoplèthe correspond à la valeur recherchée : on trouve $v_3=2$.

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On remarquera que si une famille $\mathcal F$ d’isoplèthes de $\mathcal N$ est rectiligne, la famille des isoplèthes duales peut être représentée par une courbe portant les cotes des isoplèthes de $\mathcal F$. Nous laissons le lecteur vérifier en détail que les abaques à contacts tangentiels sont des généralisations des abaques à points alignés.

Nomographie des équations de plus de trois variables

Si un nombre important d’équations de la physique ou des sciences de l’ingénieur mettent en relations deux ou trois variables, c’est loin d’être le cas en général et l’on peut se demander (comme l’ont fait les « nomographistes » d’il y a cent ans) si les idées mises en œuvre en nomographie ne permettent pas de représenter graphiquement des équations
\[\begin{equation} \label{relN} F(x_1,\ldots,x_n)=0 \end{equation}\]
comportant un nombre quelconque $n$ de variables.
Ici $x_1,\ldots,x_n$ désignent les variables et $F$ est la relation qui les relie. Le problème considéré est la généralisation directe de celui qui est considéré classiquement dans le cas de trois variables : étant données $n-1$ valeurs numériques $v_{1}, \ldots,v_{n-1}$ des variables $x_{1}, \ldots,x_{n-1}$, on cherche une façon simple et suffisamment précise de déterminer une valeur numérique approchée $v^*_{n}$ du nombre $v_n$ tel que
\[ F(v_1, \ldots,v_{n-1},v_n)=0. \]
De plus, on voudrait si possible pouvoir faire cela indépendamment de l’ordre des variables $x_1,\ldots,x_n$. Si l’on veut un exemple concret, on peut par exemple considérer l’équation complète du troisième degré
\[\begin{equation} \label{Z3} z^3+n\, z^2+p\, z+q=0, \end{equation}\] que l’on voit comme une relation entre les variables $n,p,q$ et $z$.
Bien sûr, la forme spécifique de cette relation fait que c’est la détermination des valeurs de $z$ en fonction de celles de $n,p$ et $q$ qui n’est pas évidente dans ce cas.

$\Large{T}\!\!$héoriquement, c’est à peu près pareil qu’en trois variables...

Sur le plan théorique, on peut mimer sans problème l’interprétation mathématique donnée dans notre Note I pour les équations en trois variables. Par exemple, quand $n=4$, dans l’espace euclidien à quatre dimensions, on peut considérer l’hypersurface $H\subset \mathbb R^4$ d’équation $F(x_1,\ldots,x_4)=0$. Elle est de dimension 3 (car définie par
une seule équation en quatre variables), ce qui signifie que localement $H$ est la même chose que
le parallèlépipède sans bord $B=]0,1[^3$ de l’espace euclidien standard à trois dimensions : en mathématiques, on dit qu’il existe un « difféomorphisme local » $\varphi: B\rightarrow H$.
Comme dans le cas de trois variables, on peut considérer quatre familles de surfaces (quatre feuilletages par des surfaces) sur $H$ : les intersections de $H$ avec les hyperplans de dimension 3 d’équation $x_i=c_i$, où $c_i$ désigne une constante variant dans un intervalle $I_i\subset \mathbb R$ (tout cela dépendant de l’indice $i=1,2,3,4$). On rapatrie alors ces quatre familles de surfaces sur $B$ via $\varphi$ : si $c\in I_i$, alors $S_i(c)=\varphi^{-1}(H\cap \{ x_i=c \})$ est une surface dans $B$ dont on convient de dire que la cote est $c$. Pour chaque $i=1,\ldots,4$, on a donc une famille
$\mathcal F_i=\{ S_i(c) \, \vert \, c\in I_i \}$ de « surfaces cotées » dans $B$.
Étant donné $v_j\in I_j$ pour $j=2,3,4$, en vue de déterminer $v_1\in I_1$ tel que $F(v_1,\ldots,v_4)=0$, on considère les trois surfaces cotées $S_2(v_2),S_3(v_3)$ et $S_4(v_4)$ dans $B$ : elles s’intersectent en un point $p$. Alors $v_1$ est l’élément de l’intervalle $I_1$ tel que la surface $S_1( v_1)$ passe par $p$.

Le raisonnement abstrait ci-dessus montre que sur le plan théorique, on devrait pouvoir généraliser les nomogrammes à n’importe quel nombre de variable...

... mais ça l’est pas vraiment dans la pratique !

Tout d’abord, dans le cas de quatre variables, on ne voit pas comment le point de vue théorique présenté ci-dessus peut être utilisé dans la pratique. Pour rendre concret un tel abaque de dimension 3, il faudrait par exemple disposer d’un volume feuilleté par des surfaces (des feuilles) de quatre façons différentes, tel que l’on puisse trouver et marquer le point d’intersection de trois feuilles de trois familles différentes, etc. On ne voit pas bien comment rendre réel un tel nomogramme multidimensionnel !

C’est du moins l’opinion de d’Ocagne qui évoque
la possibilité de réaliser concrètement un nomogramme en quatre variables au moyen de feuillets en ces termes dans
[d’Ocagne] :

« ... la seule ressource pour représenter une équation à quatre variables est de recourir à une collection de nomogrammes en les trois variables $x_1,x_2,x_3$, distingués chacun par une valeur de $x_4$, et constituant une sorte d’atlas dont les feuillets seraient numérotés au moyen des valeurs successives de $x_4$.
Inutile d’insister sur le peu de commodité pratique d’une telle solution rendant pénible la détermination de $x_4$ prise pour inconnue (par la recherche du feuillet sur lequel les lignes correspondant aux valeurs données de $x_1,x_2$ et $x_3$
concourent en un même point), et ne pouvant absolument pas se prêter aux interpolations à vue entre les valeurs successives de $x_4$. »

Il y eut quand même des tentatives de construction de nomogrammes multi-dimensionnels, ou plutôt, d’objets équivalents.

Le mathématicien allemand Rudolf Mehmke est considéré comme l’une des grandes figures des mathématiques appliquées du début du vingtième
siècle. Il s’est beaucoup occupé de géométrie descriptive, de méthodes graphiques et d’instruments mathématiques et a contribué de façon notable à la nomographie. Il a ainsi construit un appareil servant à la résolution de l’équation complète du troisième degré $\ref{Z3}$ selon le principe de la nomographie, dont on reproduit ci-dessous un dessin (tiré du traité de
[d’Ocagne]).

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Si l’on veut bien croire que cet appareil fonctionne et qu’il est utilisable dans la pratique pour extraire numériquement des racines de l’équation $\ref{Z3}$ lorsque $n,p$ et $q$ sont fixés, on ne voit pas comment ce prototype aurait pu devenir un outil véritablement utilisable par les ingénieurs. Rappelons que c’est leur facilité d’utilisation et de production qui faisait des abaques des outils intéressants. Simplicité d’utilisation, coût de production très faible : deux qualités que n’avait manifestement pas la machine construite par Mehmke !

Une autre approche pour utiliser pratiquement des nomogrammes 3-dimensionnels associés à des relations $F(x_1,\ldots,x_4)=0$ en quatre variables fut imaginée par un ingénieur dénommé Josef Sutor [15].
Sa méthode, assez originale, consistait en l’utilisation d’anaglyphes pour voir en trois dimensions un nomogramme dessiné en deux dimensions, au moyen d’une paire de lunettes dont un verre était bleu et l’autre rouge.

Dans [Haasbroek], l’auteur introduit l’approche de Sutor à peu près en ces termes :

Quand on s’est occupé à construire des nomogrammes de façon intensive,
on se met à souhaiter pouvoir étendre l’arsenal des méthodes nomographiques et à rendre possible la construction de nomogrammes spatiaux.
[...]

Comme il est impossible de donner un modèle spatial à un grand nombre d’utilisateurs, Sutor projette un tel modèle de deux centres de projection sur un plan, dans les couleurs complémentaires rouge et bleue. Quand cette image, un « nomogramme stéréo », est vue par des lunettes « rouge-bleue », l’œil gauche, armé avec le verre rouge, voit seulement l’image droite (bleue). L’œil droit, avec le verre bleu, voit seulement l’image gauche (rouge). Les deux images donnent ensemble une représentation spatiale du modèle dont on est parti [...].

Haasbroek indique ensuite que sa première tentative pour réaliser et utiliser pratiquement un tel « nomogramme stéréo » ne fut pas vraiment couronnée de succès... Il déclare cependant que quelques années plus tard, il a pu
vraiment utiliser un tel abaque spatial pour faire des calculs approchés et semble dire que les résultats obtenus étaient plutôt satisfaisants.

Nous reproduisons ci-dessous un nomogramme stéréo tiré de [Haasbroek] qui est associé à la relation
$abcd+3(a+b+c+d)-40=0$ entre les variables $a,b,c,d$. Bien sûr, pour en profiter pleinement, il faut le regarder avec les fameuses lunettes anaglyphiques bicolores !

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À la fin de son article, Haasbroek nous apprend que, pour des raisons didactiques,
fut construit un véritable nomogramme spatial associé à la relation
$abcd+3(a+b+c+d)-40=0$. Voici une « photographie stéréo » de cet objet original et quelque peu improbable :

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$\Large{N}\!\!$omographie plane en plusieurs variables : un premier cas particulier

Il est naturel de penser qu’il n’est pas possible dans la pratique de « nomographier » de façon raisonnable une relation générale $\ref{relN}$ en plus de trois variables en restant dans le plan. Il faut bien faire attention à ce qu’une telle assertion concerne les relations les plus générales. En fait, cette assertion va se révéler fausse dans beaucoup de cas particuliers [16] et c’est ce qui a permis de nombreux développements importants en nomographie. Nous allons maintenant en présenter certains en guise d’exemples, sans chercher à être exhaustif.

Le premier cas particulier que nous allons considérer est celui des relations
$\ref{relN}$ en quatre variables qui peuvent s’écrire sous la forme
\[\begin{equation} \label{equation_1234} A(x_1,x_2)-B(x_3,x_4)=0. \end{equation}\]
Une telle relation est nomographiable dans le plan. Pour voir comment, on introduit une variable auxiliaire muette $y$ et on écrit $\ref{equation_1234}$ sous la forme équivalente suivante
\[\begin{equation}\label{12-34} A(x_1,x_2)=y \qquad \mbox{et} \qquad B(x_3,x_4)=y. \end{equation}\]
L’intérêt de scinder la relation $\ref{equation_1234}$ en deux morceaux (en l’occurrence $ A(x_1,x_2)=y $ et $ B(x_3,x_4)=y$) est que chacun d’eux est une relation impliquant seulement trois variables et donc est nomographiable dans le plan
via la méthode standard décrite dans la Note I. On commence par tracer les deux abaques associés aux relations $\ref{12-34}$. Comme la variable $y$ apparaît dans ces deux relations,
elle va jouer un rôle spécial de “pivot”. On va donc prendre le même système de cotes pour les isoplèthes $y=cste.$ dans ces deux cas :

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En se souvenant que l’on est en fait intéressé par la relation $\ref{equation_1234}$ dans laquelle la variable $y$ n’apparaît pas, on peut oublier le système de cotes des isoplèthes $y=cste.$ et “accoler” les deux abaques de la figure ci-dessus en une seule puisque les cotes associées à la variable $y$ se correspondent :

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Le graphique ci-dessus est appelé un « abaque à entrecroisements composés » et permet de résoudre nomographiquement la relation $\ref{equation_1234}$. En effet, étant donné $v_1,v_2$ et $v_4$, des valeurs numériques des variables $x_1,x_2$ et $x_4$, on considère les isoplèthes associées, que l’on représente respectivement en rouge, en bleu et en vert dans la figure ci-dessous :

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On détermine alors graphiquement le point d’intersection des isoplèthes rouge et bleue. Lui correspond une ligne d’équation $y=cste.$ (en magenta) qui intersecte l’isoplèthe verte correspondant à la valeur $v_4$ de la variable $x_4$ en un point par lequel passe une isoplèthe correspondant à une certaine valeur $v_3$ de la variable $x_3$ (en marron) : on a $A(v_1,v_2)- B(v_3,v_4)=0$ et donc
$v_3$ est la valeur cherchée !

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Il faut noter que dans l’abaque à entrecroisements composés considéré ci-dessus, toutes les courbes ne sont pas vraiment de la même nature. En effet, la variable $y$ étant auxiliaire, les valeurs numériques qu’elle peut prendre sont a priori sans intérêt. Aussi n’est-il pas nécessaire que les courbes $y=cste.$ de l’abaque considéré soient cotées : ce ne sont pas des isoplèthes. L’on voit ainsi apparaître des nomogrammes comportant des familles de courbes non cotées qui vont jouer le rôle de “pivots”.

Des abaques à entrecroisements furent utilisés dans la pratique. Comme leur utilisation était un peu plus compliquée que celle des abaques usuels, ils étaient très souvent accompagnés d’un mode d’emploi, comme par exemple l’abaque suivant :

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$\Large{F}\!\!$onctions nomographiables

Nous voulons expliquer maintenant le concept mathématique, dégagé par Hilbert semble-t-il, qui permet de parler de façon rigoureuse d’équations susceptibles d’être résolues au moyen de nomogrammes plans.

Plus précisément, le nombre de variables libres $n$ étant fixé, on veut définir les fonctions $F(x_1,\ldots,x_n)$ telles que étant données $n-1$ valeurs $v_{i_2},\ldots,v_{i_n}$ des $n-1$ variables $x_{i_2},\ldots,x_{i_n}$, l’équation
\[ F(v_1,\ldots,v_n)=0 \]
soit graphiquement (approximativement) résoluble au moyen d’un enchevêtrement de nomogrammes en trois variables dans un même plan fixé (on exclut l’utilisation de plans superposés pour le moment). Quand une telle résolution est possible, on dira que la fonction $F$ est « nomographiable ». C’est pour le moment une définition intuitive que l’on va maintenant essayer de rendre mathématiquement rigoureuse.

On peut s’inspirer du paragraphe précédent pour se rendre compte que la classe des équations en quatre variables $F(x_1,\ldots,x_4)=0$ qui sont monographiables contient, par exemple, celles qui peuvent se mettre sous la forme
\[\begin{equation} \label{Fnomog} F(x_1,x_2,x_3,x_4)=G\big( A(x_1,x_2), B(x_3,x_4) \big)=0 \end{equation}\]
pour certaines fonctions $A,B$ et $G$ dépendant de seulement deux variables.

De même, les équations s’écrivant
\[\begin{equation} \label{Fnomog2} F(x_1,x_2,x_3,x_4)=G\Big( A(x_1,x_2), B\big(P(x_2,x_3), Q(x_3,x_4) \big) \Big)=0 , \end{equation}\]
où $A,B,P,Q$ et $G$ sont des fonctions de deux variables,
sont nomographiables, par exemple au moyen d’un nomogramme à entrecroisements de la forme suivante :

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C’est un exercice amusant et intéressant que de trouver comment cet abaque s’utilise. Le lecteur curieux mais trop pressé (ou trop paresseux !) pour y réfléchir par lui-même peut cliquer ci-dessous.

Mode d’emploi du nomogramme à entrecroisements ci-dessus

Décidons d’appeler cet abaque $\mathcal A$.
Tout d’abord, on remarquera qu’il est constitué de sept familles de courbes, alors que la relation $\ref{Fnomog2}$ ne fait intervenir que quatre variables. Cela provient du fait que, suivant la méthode utilisée plus haut, on introduit des variables auxiliaires muettes $a$, $b$, $p$ et $q$ de telle sorte que, si $F(x_1,\ldots,x_4)$ désigne la fonction de la relation $\ref{Fnomog2}$, alors
\[\begin{equation} \label{Fnomog3} F(x_1,\ldots,x_4)=0 \Leftrightarrow \begin{cases} p=P(x_2,x_3) , \; q=Q(x_3,x_4) \\ a=A(x_1,x_2), \; b=B(p,q) \\ G(a,b)=0 \end{cases} \end{equation}\]

Trois des familles de courbes du nomogramme $\mathcal A$ corresponde aux variables auxiliaires $a,b,p$ et $q$ que l’on a introduites dans $\ref{Fnomog2}$ : sur la version colorée de l’abaque $\mathcal A$ ci-dessous, le magenta correspond à la variable $q$, l’orange à la variable $p$ et le jaune aux deux variables $a$ et $b$.

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Le fait que la famille de courbes jaunes corresponde aux deux variables auxiliaires $a$ et $b$ provient du fait que dans la formulation de droite de la relation $\ref{Fnomog2}$ dans l’équivalence $\ref{Fnomog3}$, ces deux variables sont reliées par la relation $G(a,b)=0$ et que donc une valeur de $a$ détermine une valeur de $b$ et inversement.

On se donne maintenant $v_2,v_3$ et $v_4$, trois valeurs des variables $x_2,x_3$ et $x_4$ respectivement. On veut trouver la valeur $v_1$ de la variable $x_1$ telle que $F(v_1,v_2,v_3,v_4)=0$. Comme on le fait classiquement, on commence par distinguer les isoplèthes $\{ x_i=v_i \}$ pour $i=2,3,4$ (elles sont représentées respectivement en bleu, vert et rouge sur la figure ci-dessous).
Comme les relations $P(x_2,x_3)=p$ et $Q(x_3,x_4)=q$ apparaissent dans le système d’équations de droite de $\ref{Fnomog3}$, on détermine également le point d’intersection des isoplèthes verte et bleue d’une part, et celui des isoplèthes verte et rouge d’autre part.

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On trouve alors la courbe qui correspond à la valeur $p=P(v_2,v_3)$ : c’est la courbe en pointillés orange sur la figure ci-dessous, qui passe par le point d’intersection des isoplèthes bleue et verte. Il en va de même avec la courbe en pointillés magenta, qui passe par le point d’intersection des isoplèthes verte et rouge : cette courbe correspond à la valeur $q=Q(v_3,v_4)$. Ces deux courbes en pointillés s’intersectent en un point magenta qui correspond à la valeur $b=B(p,q)$.

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Comme on l’a dit plus haut, le point magenta correspond aussi à une valeur $a$ : celle telle que $G(a,b)=0$. D’après $\ref{Fnomog2}$ et vu la construction du point magenta, on a $F(v_1,\ldots,v_4)=0$ si et seulement si $a=A(v_1,v_2)$. On est alors en mesure de déterminer $v_1$ graphiquement : $v_1$ est la cote de l’isoplèthe en rose qui passe par le point d’intersection de l’isoplèthe bleue et de l’isoplèthe pointillés jaunes qui passe par le point magenta.

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Le lecteur trouvera sans trop de difficulté comment l’abaque $\mathcal A$ s’utilise pour “résoudre en $x_4$” l’équation $\ref{Fnomog2}$ : la méthode est tout à fait similaire à celle qui a été décrite en détail ci-dessus pour $x_1$. Par contre, $\mathcal A$ n’est pas vraiment adapté pour résoudre nomographiquement l’équation $\ref{Fnomog2}$ en les deux autres variables $x_2$ et $x_3$. Par exemple, si des valeurs $v_1,v_3$ et $v_4$ des variables $x_1,x_3$ et $x_4$ sont données, on peut certes trouver une méthode pour déterminer graphiquement avec $\mathcal A$ la valeur $v_2$ telle que $F(v_1,v_2,v_3,v_4)=0$, mais cette méthode est assez compliquée et n’est pas vraiment utilisable dans la pratique. Cela illustre le fait que les abaques à entrecroisements en plus de trois variables qui étaient utilisées
privilégiaient souvent la résolution en certaines des variables mises en jeu, au détriment des autres.

En fait, l’ordre dans lequel apparaissent les variables $x_1,\ldots,x_4$ dans
$\ref{Fnomog}$ ou $\ref{Fnomog2}$ ne revêt pas une importance
essentielle
du point de vue de la nomographie. De même, le fait que soient utilisées seulement trois ou cinq fonctions de deux variables pour exprimer $F$ n’a pas d’importance vu le problème considéré. Il en va de même, enfin, pour le nombre des variables : la restriction à quatre variables ne joue aucun rôle.

Ces remarques conduisent assez naturellement à introduire la notion mathématique de « fonction en $n$ variables $F(x_1,\ldots,x_n)$ nomographiable d’ordre $m$ ».
Par définition, les fonctions en les $n$ variables $x_1,\ldots,x_n$ nomographiables d’ordre $0$ sont les fonctions constantes et les $n$ projections linéaires $(x_1,\ldots,x_n)\rightarrow x_i$ (pour $i$ entre 1 et $n$). On procède alors par induction, en disant qu’une « fonction nomographiable d’ordre $m+1$ » est une fonction $F(x_1,\ldots,x_n)$ s’écrivant
\[F(x_1,\ldots,x_n)=G\big(A(x_1,\ldots,x_n), B(x_1,\ldots,x_n)\big)) \] où $G$ est une fonction de deux variables seulement et où $A$ et $B$ sont toutes deux des fonctions nomographiables d’ordre $m$. Nous dirons alors que $F(x_1,\ldots,x_n)$ est « nomographiable » si elle est nomographiable d’ordre $m_F$ pour un certain entier $m_F$ (qui dépend de $F$). En termes plus intuitifs, les fonctions nomographiables sont donc celles qui sont construites en composant un nombre arbitraire (mais fini) de fois des fonctions dépendant de seulement deux variables. En particulier, on peut dire qu’une fonction nomographiable $F(x_1,\ldots,x_n)$ est une « fausse » fonction de $n$ variables puisqu’elle s’obtient à partir de fonctions de seulement deux variables.

Les lecteurs un peu mathématiciens vérifieront sans trop de peine que les
équations $F(x_1,\ldots,x_n)=0$ où $F$ est une fonction nomographiable dans le sens mathématique donné ci-dessus sont bien résolubles au moyen d’abaques à entrecroisements. De ce fait, il découle qu’on peut dire sans risquer de contradiction qu’une relation $F(x_1,\ldots,x_n)=0$ est résoluble au moyen d’un abaque à entrecroisements exactement lorsque la fonction $F$ est nomographiable.

La nomographie et le treizième problème de Hilbert

David Hilbert fut l’un des plus grands mathématiciens de son temps. Dans l’exposé qu’il a donné au congrès international des mathématiciens qui s’est déroulé à Paris en 1900, il a formulé plusieurs problèmes qu’il considérait comme importants et intéressants [17]. La stature scientifique de Hilbert et le cadre prestigieux et solennel de son exposé ont suscité un grand intérêt de la communauté mathématique pour les problèmes qu’il a présentés. Un grand nombres de mathématiciens ont alors cherché à les résoudre [18]. Les problèmes de Hilbert touchaient à la plupart des domaines des mathématiques de l’époque et, en particulier, c’est en relation avec des résultats obtenus en nomographie qu’il a formulé celui qui est maintenant connu comme le « treizième problème de Hilbert ».

D’après des résultats classiques bien antérieurs à Hilbert, on savait qu’une équation polynomiale de degré $m$ en une variable
\[\begin{equation} \label{polym} z^m+a_1 z^{m-1}+a_2 z^{m-2}+\cdots+a_{m-1}z+a_m=0 \end{equation}\]
est « résoluble par radicaux » lorsqu’elle est de degré $m\leq 4$. Cela signifie qu’il est possible d’exprimer une racine $z=z(a_1,\ldots,a_m)$ de celle-ci au moyen de l’extraction des racines carrée, cubique et quatrième jointe aux quatre opérations usuelles de l’arithmétique (l’addition, la soustraction, la multiplication et la division), qui, elles-mêmes, ne dépendent chacune que de deux arguments. Cela implique en particulier que les équations polynomiales $\ref{polym}$ sont nomographiables pour $m\leq 4$.

C’est un résultat très célèbre du XIXème siècle que les équations $\ref{polym}$ de degré $m\geq 5$ ne sont pas résolubles par radicaux en général. Une question que se posèrent alors les mathématiciens fut celle de savoir s’il était possible de trouver des fonctions aussi jolies, simples et bien comprises que possible permettant de construire la (ou plutôt une) racine $z=z(a_1,\ldots,a_m)$ de $\ref{polym}$ comme fonction des coefficients
$a_1,\ldots,a_m$. Il est difficile de répondre de façon satisfaisante à cette question puisqu’elle n’est pas bien posée : selon quels critères dira-t-on qu’une fonction est « simple » ou qu’elle est « jolie » ? Et qu’est-ce qu’une fonction « bien comprise » ? Considérant le résultat évoqué plus haut concernant les équations polynomiales de degré $m\leq 4$, on peut poser la question plus précise de savoir si l’extraction de la racine $z=z(a_1,\ldots,a_m)$ de $\ref{polym}$ est nomographiable pour $m\geq 5$.

Cela est vrai dans les cas $m=5$ et $m=6$. Dans le cas $m=6$ par exemple (le cas $m=5$ est encore plus simple), via des manipulations algébriques simples (dites « de Tschirnhausen »), on peut mettre une équation $\ref{polym}$ générale sous la forme réduite suivante
\[\begin{equation} \label{poly6} Z^6+b Z^2+c Z+1=0, \end{equation}\]
où $b$ et $c$ s’expriment algébriquement en fonction des coefficients $a_1,\ldots,a_6$ de l’équation de départ, et où $Z$ est une nouvelle variable, qui s’exprime de façon algébrique en fonction des $a_i$ et de l’inconnue $z$. Vu qu’il y a seulement deux coefficients dans l’équation
ci-dessus, il en découle que l’équation générale $\ref{polym}$ de degré 6 est elle aussi nomographiable.

C’est au sujet de la solution de l’équation $\ref{polym}$ de degré 7 que Hilbert
a formulé le treizième de ses problèmes. Il l’a formulé dans un texte en allemand, dont nous donnons ci-dessous une traduction (que l’on espère pas trop mauvaise...).

XIIIème Problème de Hilbert : Impossibilité de la résolution de l’équation générale du 7ème degré au moyen de fonctions dépendant de seulement deux variables.

La nomographie [1] traite du problème de résoudre les équations au moyen de dessins de familles de courbes dépendant d’un paramètre arbitraire.
On voit immédiatement que toute racine d’une équation dont les coefficients dépendent de seulement deux paramètres, c’est-à-dire toute fonction de deux variables indépendantes, peut être représentée de diverses façons selon le principe à la base de la nomographie. De plus, une large classe de fonctions de trois variables ou plus peut évidemment être représentée par ce seul principe sans utiliser d’éléments variables, à savoir toutes celles qui peuvent être générées en formant d’abord une fonction de deux arguments, puis en remplaçant chacun de ces arguments par une fonction de deux autres variables, ensuite en remplaçant à leur tour chacune de ces variables par une fonction de deux arguments, et ainsi de suite, en regardant comme admissible n’importe quel nombre fini d’insertions de fonctions de deux variables. Ainsi, par exemple, toute fonction rationnelle de n’importe quel nombre de variables appartient à cette classe de fonctions construites au moyen de tables nomographiques, car elle peut être engendrée par les procédés d’addition, soustraction, multiplication et division et chacun de ces procédés produit une fonction de seulement deux arguments.
On voit aisément que les équations qui sont résolubles par radicaux appartiennent à cette classe de fonctions, puisque l’extraction de la racine carrée est adjointe aux quatre opérations arithmétiques et que celle-ci correspond à une fonction dépendant d’un argument seulement. De même, les équations générales du 5ème et du 6ème degré sont résolubles par des tables nomographiques appropriées puisqu’au moyen de transformations de Tschirnhausen, qui demandent seulement de pouvoir extraire les racines carrées, elles peuvent être réduites à une forme où les coefficients dépendent de seulement deux paramètres.

Maintenant, il est probable que la racine de l’équation du septième degré est
une fonction de ses coefficients qui n’appartient pas à la classe des fonctions
susceptibles d’être construites par la nomographie, i.e. qu’elle ne puisse pas être construite par un nombre fini de superpositions de fonctions de deux variables.
La preuve pour le démontrer passerait nécessairement par le fait que l’équation du septième degré $f^7 + a f^3 + bf^2 + cf + 1 = 0$ n’est pas résoluble au moyen de n’importe quelles fonctions continues de deux arguments seulement. Qu’on me permette d’ajouter que je me suis assuré, par un processus rigoureux, qu’il existe des fonctions analytiques de trois arguments $x, y, z$ qui ne peuvent pas être obtenues par une chaîne finie de fonctions de seulement deux arguments.

En utilisant des éléments auxiliaires mouvants, la nomographie a réussi à construire des fonctions de plus de deux arguments, comme M. d’Ocagne [2]
l’a prouvé récemment dans le cas de l’équation du 7ème degré.

Le problème posé ici par Hilbert est donc celui de savoir si la fonction analytique (multiforme) $f=f(a,b,c)$ solution de l’équation réduite du 7ème degré
\[\begin{equation} \label{poly7} f^7 + a\, f^3 + b\, f^2 + c\, f + 1 = 0\end{equation}\]
est nomographiable, i.e. peut s’écrire comme une superposition finie de fonctions de deux variables. A priori, ce n’est pas clair...

Ce problème a donné lieu à un grand nombre de recherches, dans différents domaines [19]. On considère
que ce problème a été résolu par la négative en 1957 par les mathématiciens russes Vladimir Arnold et Andreï Kolmogorov.
Utilisant des idées de Kolomogorov, Arnold prouva que toute fonction continue $F(x,y,z)$ de trois variables peut s’écrire sous la forme
\[ F(x,y,z)=\sum_{i=1}^9 F_j\big(\varphi_j(x,y),z\big) \]
où les $F_j$ et les $\varphi_i$ sont des fonctions continues.
En particulier, cela implique que la fonction $f(a,b,c)$ solution de
$\ref{poly7}$
est nomographiable, contrairement à ce que semblait penser Hilbert.
Très peu de temps après, Kolmogorov enfonça le clou pour de bon en montrant que pour tout $n>2$, il existe des fonctions continues monotones $\varphi_{pq}: [0,1]\rightarrow \mathbb R$ fixées telles que toute fonction continue $F: [0,1]^n\rightarrow \mathbb R$ s’écrive
\[\begin{equation} \label{f-superposition} F(x_1,\ldots,x_n)=\sum_{p=1}^{2n+1}\sum_{q=1}^n F_p\big(\varphi_{pq}(x_q)\big) \end{equation}\]
pour certaines fonctions continues d’une variable $F_p$ (qui dépendent de $F$). En particulier, ce résultat montre que toute fonction continue en $n$ variables est nomographiable au moyen de l’addition et de fonctions continues en une variable.
Les résultats de Arnold et Kolmogorov répondent de façon nette et frappante à la question posée par Hilbert. Ils surprirent beaucoup en leur temps puisqu’ils permettaient de dire que d’un certain point de vue, à l’exception de l’addition, il n’existe pas de « vraies » fonctions de plusieurs variables mais seulement des combinaisons de fonctions d’une variable.

En fait, il semble que l’opinion actuelle quant au treizième problème de Hilbert ait un peu évolué. Il est bien sûr reconnu de nos jours que les travaux de Arnold et Kolmogorov apportent une réponse à la question posée par Hilbert, mais peut-être pas selon son acception la plus pertinente. En effet, si leurs résultats indiquent que toute fonction continue $F(x_1,\ldots,x_n)$ est nomographiable, ils ne disent rien sur la nature des fonctions $F_p$ qui apparaissent dans une représentation $\ref{f-superposition}$ : bien que continues, les fonctions $F_p$ peuvent être (et en général sont) bien moins régulières que ne l’est la fonction $F$ initiale. Cette remarque conduit à une reformulation plus précise du problème de Hilbert : étant donné un certain type $\mathcal T$ de fonctions (les fonctions continues, par exemple, ou bien les fonctions analytiques), on peut se demander si une fonction en $n$ variables est nomographiable au moyen de fonctions de deux variables appartenant toutes à la classe $\mathcal T$ considérée.
Il ne peut y avoir de solution uniforme à cette « version précisée » du treizième problème de Hilbert. À partir de ce qui a été exposé ci-dessus, on connaît la réponse quand on prend pour $\mathcal T$ la classe des fonctions continues. D’après Hilbert, la réponse est opposée si l’on se place dans la classe des fonctions analytiques, puisqu’il écrit « ... je me suis assuré, par un processus rigoureux, qu’il existe des fonctions analytiques de trois arguments $x, y, z$ qui ne peuvent pas être obtenues par une chaîne finie de fonctions de seulement deux arguments ».

L’équation $\ref{poly7}$ explicitement considérée par Hilbert dans la formulation de son treizième problème étant une fonction algébrique [20], il est naturel de s’intéresser à la nomographiabilité des fonctions algébriques de plusieurs variables au moyen de fonctions algébriques en une ou deux variables.
Dans ce qui semble être son dernier article de recherche, Hilbert lui-même a abordé cette version algébrique du problème plus général qu’il avait énoncé : il
y démontre que la solution de l’équation générale du neuvième degré peut être nomographiée au moyen de fonctions algébriques dépendant de seulement quatre variables.

S’il existe d’autres résultats sur la version algébrique du treizième problème de Hilbert, aucun ne s’applique à la solution $f=f(a,b,c)$ de l’équation algébrique du septième degré $\ref{poly7}$. À l’heure actuelle, on ne sait toujours pas si cette fonction est nomographiable au moyen de fonctions algébriques de deux variables. En fait, on ne sait vraiment rien : certains auteurs
avancent même qu’on ne peut écarter la possibilité que les résultats de Arnold et Kolmogorov admettent des versions pour les fonctions algébriques !
Bref, ce problème inspiré par la nomographie est loin d’avoir cessé de susciter des recherches en mathématiques... Telle est en tout cas l’opinion de Anatoli Vitushkin, un spécialiste du sujet, qui dans [Vitushkin] termine un paragraphe sur le treizième problème de Hilbert par ces mots :

« Thus, the problem remains open and,
by the highest standards, the range of issues is in fact as broad as it was at the
beginning of the 20th century.
 »
 [21]

Abaques à plans superposés et nomographie théorique

Lorsqu’il écrit “En utilisant des éléments auxiliaires mouvants, la nomographie a réussi à construire des fonctions de plus de deux arguments” à la fin de l’énoncé de son treizième problème, Hilbert fait référence à une généralisation des nomogrammes classiques qui a été introduite par d’Ocagne.

Les abaques à points alignés s’utilisent au moyen d’une règle, ou mieux encore, au moyen d’un calque sur lequel est tracé un trait rectiligne. À ce sujet, d’Ocagne écrit :

« La considération de la droite mobile, servant à prendre les alignements, et qui peut être supposée tirée sur un plan transparent, conduit tout naturellement à l’idée de tracer sur ce transparent, ou même sur plusieurs transparents superposés, des lignes moins simples, voire des systèmes d’éléments cotés pouvant donner lieu à des relations de position plus compliquées entre éléments cotés de plus en plus nombreux. » ([d’Ocagne 4], p. XXV).

Les « nomogrammes » que d’Ocagne introduit ici sont bien plus généraux que les nomogrammes classiques et même que les abaques à entrecroisements présentés plus haut. Il est difficile de définir un « nomogramme à plans superposés » de façon rigoureuse, mais il nous semble que la description donnée par d’Ocagne ci-dessus est assez parlante : il s’agissait de prendre une feuille de papier (à laquelle correspond abstraitement un plan fixe $P_0$) et, par dessus, plusieurs calques transparents mobiles (auxquels correspondent des plans $P_1,P_2,\ldots$ qui sont dits « superposés » et qui bougent par rapport à $P_0$). De plus, sur les plans $P_0,P_1,\ldots$ étaient représentées diverses figures, comme des systèmes de courbes (peut-être cotées), une ou plusieurs courbes portant (ou non) des systèmes de cotes, ou encore des points, etc...
Le but était toujours le même, à savoir la résolution numérique (approchée) d’une équation $F(x_1,\ldots,x_n)=0$ en un nombre quelconque de variables, quand $n-1$ valeurs de $n-1$ variables sont données.
Si la méthode pour les utiliser reprenait les même principes que dans les cas des abaques « à un seul plan » (déplacements le long d’isoplèthes, intersections, contacts tangentiels), il y avait aussi beaucoup de nouvelles opérations rendues possibles par la
superposition des plans :
par exemple, faire coulisser un point d’un plan $P_i$ le long d’une courbe d’un autre plan $P_j$, faire tourner $P_i$ autour d’un point dans un autre plan, ou bien encore rendre confondues deux droites situées dans deux plans différents, ou plus généralement rendre tangentes deux courbes de deux plans $P_i$ et $P_j$ en un point d’un troisième plan $P_k$, etc...

On sent bien que les possibilités offertes par l’utilisation de tels nomogrammes sont sans commune mesure avec celles que permet utilisation des abaques à un seul plan. Et dans les quelques textes où il est question de ce sujet, on voit des descriptions précises de nomogrammes à plans superposés qui permettent de résoudre nomographiquement des équations relativement compliquées. Par exemple, dans [d’Ocagne 3], d’Ocagne explique comment nomographier l’équation du septième degré $\ref{poly7}$ au moyen d’un abaque avec un plan mobile. Dans sa thèse [Margoulis], l’ingénieur-mathématicien Wladimir Margoulis reprend et développe l’étude des abaques à plans superposés. Il décrit les grandes lignes de la théorie et aussi explique concrètement comment nomographier avec des plans superposés un très grand nombre d’équations explicites.
Il considère aussi beaucoup de types d’abaques introduits auparavant et montre que ceux-ci peuvent tous être vus comme des cas particuliers d’abaques à plans mobiles. Dans la seconde partie de sa thèse, il applique la théorie qui vient d’être développée à « l’art de l’ingénieur », en particulier à l’aéronautique. Il présente un grand nombre d’abaques à transparents qu’il a été amené à construire et à utiliser dans la pratique. Ces abaques, qui sont tracés et donnés avec un transparent détachable, sont vraiment sophistiqués et semblent difficiles à lire. Cependant, Margoulis indique les avoir vraiment utilisés pour des problèmes concrets, comme par exemple la construction d’avions ou d’hélicoptères.

En guise d’illustration, nous reproduisons ci-dessous l’“Abaque général pour l’établissement d’un projet d’avion ou d’hélicoptère” donné par Margoulis dans [Margoulis]. Celui-ci commence par le décrire en ces termes :

Dans cet abaque, j’ai réuni les équations représentées par les abaques décrits aux §§ 3 et 5, ainsi que l’équation
\[ \frac{1}{S}=\frac{q_u}{Q/S}=1-\frac{m+n\, c}{Q/P_m}-f(S), \]
où \[ \frac{q_p}{Q}=f(S), \]
et dans laquelle $q_u$ est le poids utile, $m$ — le groupe par cheval du groupe motopropulseur, $n$ — le nombre d’heures d’essence, $c$ — la consommation spécifique et $q_p$ — le poids de planeur. Rappelons que $Q/S$ est la charge par $m^2$ et $Q/P_m$ la charge par cheval.
Toutes les équations ont deux variables communes : $Q/S$ et $Q/P_m$ ; on superpose ces deux systèmes, ce qui permet de résoudre par une seule opération l’ensemble des équations.

Le mode d’emploi est le suivant : on fait coïncider le point $O$ du transparent (fig. 98’) avec le point $(Q/S,Q/P_m)$ du fond (fig. 98). On lit alors à l’intersection de la courbe $(R'_x/S)$ (I) avec la polaire, la valeur de la vitesse $V$ en palier au sol, et au moyen de l’échelle auxiliaire des altitudes — la hauteur $(H)$ du plafond. A cet effet, on porte sur cette échelle le segment égal à la longueur dont il faudrait glisser le transparent parallèlement à l’échelle $(K_y)$ pour que la courbe $(R_x'/S)$ vienne tangenter la polaire.
On lit les temps de montée aux altitudes $(h)$ à l’intersection de la droite $(H)$ avec les faisceaux $(t)$ et $(h)$.
On lit la valeur du poids utile sur le faisceau $(q_u)$ du transparent au point $(m+n\,c,S)$ du réseau du fond.

Nous avons relié ainsi pour la première fois par un abaque toutes les performances d’un avion, c’est-à-dire non seulement les vitesses horizontales et ascensionnelles, mais également les poids constitutifs et notamment le poids utile.
Nous avons admis pour $f(S)$ une certaine expression résultant de statistiques anglaises, mais nous fournissons aux constructeurs un fond disposé de façon à ce qu’ils puissent tracer rapidement eux-mêmes, d’après leur expérience et pour le type d’avion qui les intéresse, le réseau $(m+n\,c,S)$.

La clarté de ce texte aura certainement frappé l’esprit de la plupart des lecteurs...
Sans doute était-il destiné uniquement à des initiés. Nous reproduisons ci-dessous l’abaque à transparent qu’accompagnait ce texte (curieusement, ce que Margoulis désigne comme étant le “fond” est imprimé sur un calque gris tandis que ce qu’il désigne comme le “transparent”, l’est sur une page de papier parfaitement opaque) :

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Non seulement les nomogrammes à plans superposés étaient bien plus sophistiqués que les abaques à courbes concourantes classiques, mais ils étaient tous assez différents les uns des autres. En particulier, il était vraiment nécessaire d’indiquer assez précisément comment un tel nomogramme devait s’utiliser, car cela n’avait rien d’évident au prime abord. Pour ce faire, d’Ocagne et ses continuateurs ont introduit des notations schématiques pour indiquer comment les éléments des différents plans d’un tel nomogramme devaient entrer en contact.
Nous croyons que c’est cette schématisation qui a amené d’Ocagne à adopter une approche abstraite et à fonder la « théorie morphologique des nomogrammes », encore appelée
« nomographie théorique ». Il s’agissait d’étudier la structure abstraite des nomogrammes à plans superposés « sans avoir égard à la nature géométrique spéciale des lignes qui y interviennent non plus qu’à la forme des équations correspondantes », comme disait d’Ocagne. Par exemple, celui-ci cherche à déterminer et à classer (en fonction de $k$ et de $n$ et modulo une certaine notion d’équivalence), les types de nomogrammes à $k$ plans superposés qui permettent de résoudre nomographiquement une équation $F(x_1,\ldots,x_n)=0$ en $n$ variables. À l’inverse, étant donné un certain nomogramme à plans superposés $\mathcal N$, il se demande comment reconnaître analytiquement qu’une équation en plusieurs variables est représentable au moyen d’un nomogramme du même type que celui de $\mathcal N$.

La nomographie théorique de d’Ocagne ne semble pas avoir suscité beaucoup d’intérêt dans la communauté mathématique. À notre connaissance, outre quelques notes éparses, il y eut seulement trois thèses publiées sur le sujet, la dernière étant [Boulanger]. C’est dans cette dernière que l’approche abstraite en nomographie fut poussée le plus loin et l’on sent une très nette volonté de formaliser rigoureusement la théorie et de la rendre “moderne”.
Nous reproduisons ci-dessous une double page tirée de la thèse de Boulanger.

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Mais que sont donc ces « Formes fondamentales »...?

Notre rapide survol de [Boulanger] nous a laissé un sentiment plutôt étrange : si le formalisme commence à “faire sérieux”, les considérations qui y sont développées nous ont semblé un peu déconnectées des mathématiques que nous connaissons... Mais peut-être y a-t-il là une pépite oubliée, un sujet qui n’attend que d’être repris par un chercheur curieux pour que sa pertinence soit enfin révélée... La théorie morphologique des nomogrammes trouvera-t-elle son champion ?

Conclusion

La nomographie prit sa source dans certains problèmes calculatoires auxquels furent confrontés les ingénieurs et scientifiques et elle resta pour une grande part orientée vers les applications. C’est cet aspect qui semble avoir pris le dessus dans la mémoire collective de la communauté mathématique au sujet de cette discipline. Mais si la théorie des abaques peut sembler maintenant
très naïve, nous avons essayé de montrer dans cette note, à l’inverse, que certains problèmes qu’elle a pu poser ont mené très naturellement à l’introduction de notions abstraites et pertinentes en mathématiques.
Certaines de ces notions mathématiques eurent un certain succès et furent très tôt reconnues comme intéressantes et étudiées pour elles-mêmes. Comme exemple, on peut citer la notion de fonction nomographiable, ou encore la fameuse « géométrie des tissus » sur laquelle nous reviendrons dans la Note IV.

Mais il nous semble qu’un certain nombre de notions et de questions issues des aspects mathématiques de la nomographie ont été plutôt laissées de côté à partir de l’après-guerre [22].

Par exemple, il est assez surprenant que la Conjecture de Gronwall ne soit toujours pas établie. Nous croyons que la raison principale est qu’elle n’a été au fond que peu étudiée. Même si c’est un problème qui a été beaucoup plus regardé, on ne peut que regretter de ne toujours pas savoir si la solution multiforme $z=z(n,p,q)$ de $\ref{Z3}$ est nomographiable au moyen de fonctions algébriques dépendant de seulement deux variables ; pour autant que nous le sachions, cette question n’est guère étudiée à l’heure actuelle. Enfin, que dire de la théorie morphologique des nomogrammes ? S’agit-il de ramifications “abstraites” tardives et sans véritable intérêt d’une discipline qui se voyait en train de disparaître ? Ou est-ce plus intéressant que cela ?

[Boulanger]
G. Boulanger, Contribution à la Théorie générale des abaques à plans superposés. Gauthier-Villars, Paris, 1949.

[d’Ocagne 1]
M. d’Ocagne, Coordonnées parallèles et axiales. Méthode de transformation géométrique et procédé nouveau de calcul graphique déduits de la considération des coordonnées parallèlles. Gauthier-Villars, Paris, 1885.

[d’Ocagne 2]
M. d’Ocagne, Traité de nomographie. Gauthier-Villars, Paris, 1899.

[d’Ocagne 3]
M. d’Ocagne, Sur la résolution nomographique de l’équation du septième
degré
. Comptes Rendus de l’Académie des Sciences, 131 (1900), p. 522-524.

[d’Ocagne 4]
M. d’Ocagne, Calcul graphique et nomographie. Doin, Paris, 1924.

[Kahane]
J.-P. Kahane, Le 13ème problème de Hilbert : un carrefour de l’algèbre, de l’analyse et de la géométrie. Cahiers du séminaire d’histoire des mathématiques 3 (1982), p. 1-25.

[Gronwall]
T.-H. Gronwall, Sur les équations entre trois variables représentables par
des nomogrammes à points alignés
. J. Math. Pures Appl. 8 (1912), p. 59-107.

[Haasbroek]
N. D. Haasbroek, Stereo Nomograms. Publ. on Geodesy (N.S) 1 (1962).

[Margoulis]
W. Margoulis, Les abaques à transparent orienté ou tournant. Théorie générale de la représentation plane des équations, applications à l’art de l’ingénieur. Thèses de l’Univ. de Paris T. 35, (1931).

[St.-Robert]
P. de Saint-Robert,
De la résolution de certaines équations à trois variables par le moyen d’une règle glissante. Caractère auquel on reconnaît qu’une telle résolution est possible. Graduation à la règle.
Mem. di Torino XXV (1871), p. 53-72.

[Soreau]
R. Soreau, Théorie des abaques I & II, Chiron, Paris, 1921.

[Vitushkin]
A.G. Vitushkin, On Hilbert’s thirteenth problem and related questions. Russian Math. Surveys 59 (2004), p. 11-25.

Post-scriptum :

L’auteur remercie Jos Leys d’avoir réaliser la vidéo si efficacement. Il est reconnaissant aux relecteurs (Alexandre Bouayad, Clément Caubel et Franz Ridde) pour leurs corrections, remarques et commentaires. Merci à Noucnouc pour son aide sur un point de traduction.
Enfin, Brubru a lu et corrigé dans l’ombre une première version de ce texte : большое спасибо !

Article édité par Étienne Ghys

Notes

[1L’auteur prie ses collègues géomètres de ne pas trop lui en vouloir pour cette « définition » de la géométrie différentielle...

[2Si l’on voulait tracer toutes les courbes d’un feuilletage, vu que par tout point passe une courbe, on se retrouverait au final avec une grosse tache noire et on ne distinguerait plus rien du tout !

[3En fait, on peut montrer que $\mathcal P$ admet une famille continue de linéarisations non-projectivement équivalentes.

[4Il n’est pas clair a priori que $N_{\mathcal G}$ est fini et donc « bien défini » mais c’est le cas

[5Pour définir correctement cette dualité projective, il est nécessaire de se placer dans le cadre mathématique adéquat, à savoir celui de la « géométrie projective plane ». Pour une définition du « plan projectif », on peut regarder ici ou sur ce site. Quand à la « dualité projective », en attendant un article sur le sujet dans Images des Maths, on peut toujours regarder cette page sur
wikipédia.

[6Les mathématiciens apprécient beaucoup les formules de ce type. Quand ils considèrent une notion de dualité pour un certain
type fixé d’objets mathématiques, ils s’attendent
souvent à ce que la dualité considérée soit involutive, c’est-à-dire que le « bidual » d’un objet (le dual du dual de cet objet) soit l’objet de départ. Bien sûr, il existe des dualités pour lesquelles ce n’est pas vrai... cela aurait été trop simple !

[7Ce que nous décrivons imparfaitement dans la suite est appelé « corrélation polaire  » ou, plus simplement, « polarité  » par rapport au cercle $C$. Ce procédé échange les points et les droites du plan projectif $\mathbf P$ considéré : on reste dans le même plan. Pour faire cela, on a dû fixer le cercle $C$.
On peut dire que la dualité projective est une polarité “canonique” (c’est-à-dire qui ne dépend d’aucun choix) entre le plan projectif $\mathbf P$ considéré et son plan projectif dual $\mathbf P^*$ : la dualité projective fait se correspondre de façon canonique les droites (resp. les points) de $\mathbf P$ avec les points (resp. les droites) de $\mathbf P^*$. Dans ce cas, on ne reste pas dans le même plan projectif, mais on n’a pas besoin de choisir un cercle ou quoi que ce soit d’autre...

[8Plus généralement, on peut faire la construction expliquée ci-après en supposant que $C$ est une ellipse ou une hyperbole.

[9Quand $p\in C$, la droite $p^*$ n’est rien d’autre que la tangente à $C$ en $p$ !

[10En fait, ce n’est pas tout à fait vrai : sans information supplémentaire, on ne peut pas retrouver les segments $S_t$ de départ mais seulement leurs droites supports. Cela n’a pas d’importance du point de vue de la nomographie.

[11La terminologie est plutôt bien choisie puisque la configuration géométrique formée par trois points alignés est bien la duale de celle formée par trois droites concourantes.

[12Si l’on veut (en oubliant encore d’être vraiment rigoureux), on peut dire que $\mathcal C_i$ est la “ligne des cotes” de la famille de courbes cotées $\mathcal F_i$ quel que soit $i=1,2,3$. De façon “plus savante”, on dit que $\mathcal C_i$ représente « l’espace des feuilles » du feuilletage $\mathcal F_i$.

[13Voir page 73 de son livre [D’Ocagne 1].

[14En effet, si $C$ est un segment rectiligne, on a $T_p=T_q$ quels que soient les points $p$ et $q$ de celui-ci et donc $C^*$ est bien un point : on a $C^*=(T_p)^*$ quel que soit $p\in C$. En fait, on peut montrer que $C$ est rectiligne si et seulement si sa courbe duale est réduite à un point.

[15Il semble que la méthode imaginée par Sutor ne concerne que les nomogrammes spatiaux rectifiables (i.e. ceux dont les surfaces cotées sont des morceaux de plans) mais c’est à vérifier : nous n’avons pas regardé les articles de Sutor et seulement très superficiellement celui de Haasbroek.

[16Le fait que des nomogrammes plans soient utilisables seulement dans des cas particuliers lorsque qu’il y a plus de trois variables n’enlève pas vraiment de pertinence à la nomographie d’un point de vue pratique. En effet, on s’intéresse dans la pratique à des relations $\ref{relN}$ obtenues via des modélisations mathématiques de phénomènes physiques. Il en découle que du point de vue mathématique, les relations considérées sont quasiment toujours très loin d’être générales...

[17Hilbert rajouta par la suite treize problèmes aux dix qu’il avait présenté au congrès de 1900. Certains d’entre eux ne sont pas dus à Hilbert mais avaient été formulés par d’autres avant lui et avaient déjà généré beaucoup de recherches. La liste complète des ces vingt-trois « problèmes de Hilbert » est présentée ici. Étienne Ghys a écrit
un article sur ces problèmes dans Images des Maths.

[18La plupart des problèmes de Hilbert sont maintenant résolus, voir ici pour un état des lieux.

[19Pour une présentation très agréable à lire de ce qu’il a découlé du treizième problème de Hilbert, le lecteur peut consulter l’article [Kahane]. On peut aussi regarder
l’article plus récent [Vitushkin] en anglais.

[20Une fonction $F(x_1,\ldots,x_n)$ est dite « algébrique » s’il existe un polynôme
$P(x_1,\ldots,x_n,y)$ en $n+1$ variables tel que $P(x_1,\ldots,x_n,F(x_1,\ldots,x_n))$ soit identiquement nul.

[21« Ainsi, le problème reste ouvert et, du point de vue des critères d’exigence les plus élevés,
le spectre des questions en suspens demeure aussi large qu’il l’était au début du XXème siècle. »

[22Cet aspect des choses concerne davantage les recherches menées en occident durant la seconde moitié du XXème siècle et beaucoup moins celles menées en URSS durant la même période. Nous essayerons d’en dire un mot dans notre Note III.

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Pour citer cet article :

Lucien Pirio — «Géométrie Anamorphique II » — Images des Mathématiques, CNRS, 2011

Commentaire sur l'article

  • Géométrie Anamorphique II

    le 20 avril 2011 à 18:50, par renato

    Bravo pour cet article édifiant. J’attends la suite impatiemment.
    Amitiés,

    Renato

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