Rediffusion d’un article publié en 2018
La meilleure façon de marcher
Une prolongation de la semaine des maths !!
Piste verte Le 23 août 2021 Voir les commentaires
Les statistiques peuvent nous aider à comprendre ce qu’il y a de symétrique dans la marche...
Piste verte ou bleue : un domaine skiable pour lire pendant l’été. Rediffusion d’un article publié en mars 2018.
La semaine des mathématiques 2018 porte sur le mouvement. Et de fait, que ce soit pour la chute d’une balle ou une nuée d’étourneaux il y a beaucoup d’aide à trouver du côté des mathématiques pour modéliser le mouvement. Dans cet article nous traiterons de la marche humaine, étudiée par des outils mathématiques simples, le minimum d’une fonction, de la statistique, en particulier l’écart-type, et une symétrie glissée.
Depuis Aristote et son étude du mouvement animal, on étudie la marche et la course. Eadweard Muybridge et Étienne-Jules Marey utilisèrent la photographie rapide pour décomposer le galop du cheval ou la course à pied. Pafnouty Tchebychev la compris si bien qu’il inventa une machine à marcher ! Sous la plume d’Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes démasqua l’assassin d’une étude en rouge sur la base de sa démarche et, que ce soit pour le sport, l’orthopédie ou la reconnaissance de suspects, l’analyse de la marche est maintenant bien établie.
De nos jours, des équipements peu onéreux comme la kinect de Microsoft ou des outils de vision par ordinateur comme openCV permettent de numériser en temps réel des scènes en trois dimensions. Le résultat est un gros fichier qui donne dans le temps les coordonnées de la position d’une série de marqueurs comme l’épaule droite, le genou gauche etc. Nous vous engageons à tenter de produire vous-même ce genre de données avec vos élèves !
Nous utiliserons dans cet article les données, capturées par Christophe Gillet du LAMIH de l’université de Valenciennes, incorporées par le service iCap dans un module de biomécanique de l’université Claude Bernard Lyon 1 où vous trouverez des nombreuses autres ressources et que nous remercions pour leur autorisation à utiliser ces données. Ce sont les coordonnées de 38 marqueurs, côtées en mm avec un pas temporel de 4 centièmes de secondes, sur une durée total de 1,8 secondes (46 étapes), comprenant trois pas.
Comment peut-on modéliser ces données ? Modéliser c’est décider ce qui est important pour nous de ce qui l’est moins, donner un nom aux choses et comprendre les relations qu’il y a entre les différents paramètres qu’on a choisis comme étant pertinents. Qu’y a-t-il d’important dans la description de la marche ? Il y a tout d’abord le pas car c’est bien connu, la meilleure façon d’marcher, c’est encore la nôtre, c’est de mettre un pied d’vant l’autre et d’recommencer. D’après Wikipédia, « le pas est la distance qui sépare deux pieds posés simultanément au sol, le cycle de marche correspond à deux pas » et il est décomposé en différentes phases, en particulier la plus simple à identifier, la phase d’appui pendant laquelle un pied est quasiment immobile en contact avec le sol.
Pour progresser dans notre propos, nous utiliserons une série d’animations interactives que nous vous proposons, pour ne pas bloquer votre navigateur, de lire dans une autre fenêtre en cliquant sur leur image.
Au départ était le nombre
Voici une petite partie du grand tableau de nombres de la captation.
Comment pouvons-nous extraire de notre énorme tableau de nombres cette information du pas ? Nous pouvons tenter d’identifier les différentes phases du cycle de la marche étant donné par exemple l’altitude et la relative immobilité où un pied donné est en contact avec le sol, puis le suivant, et en déduire par soustraction le pas.
Puis vint la fonction
Dans notre gros tableau de nombres, nous pouvons par exemple lire les nombres dans la colonne CS, correspondant à l’altitude du talon gauche, ces nombres augmentent, puis descendent, mais il est plus aisé de visualiser le graphe de la fonction qui associe l’altitude en fonction du temps.
Sur le graphique suivant, c’est le graphe bleu, les graphes rouge et vert décrivant respectivement l’abscisse et l’ordonnée.
Dans la figure interactive associée, vous pouvez modifier le marqueur en cliquant sur le point du pantin et visualiser les graphes de ses trois coordonnées.
Car ces nombres peuvent animer un pantin tridimensionnel que voici. Pour cela, il faut organiser les colonnes comme jointures des membres et visualiser les segments reliant ces articulations.
N’hésitez pas à cliquer sur l’image et regarder dans l’animation interactive le pantin marcher sous toutes les coutures ! On fait tourner la vue en cliquant-droit et en maintenant cliqué. Le temps associé n défile automatiquement mais peut-être mis en pause et modifié manuellement.
On peut ainsi voir plus aisément que cette suite de nombres est bien modélisée par une fonction périodique et sa période semble être autour de 25 : le minimum par exemple est atteint à l’instant 16 pour le premier cycle, puis 41 pour le second, le maximum à l’instant 8 puis à l’instant 33 pour le second.
Cette période de 25*4 centièmes=1 seconde peut en fait être repérée par d’autres marqueurs, pas seulement les marqueurs des pieds. Nous allons pour cela utiliser des méthodes plus complètes mettant à profit les statistiques.
Le vecteur déplacement entre deux instants
Nous pouvons associer à un marqueur le vecteur déplacement entre deux instants. En modifiant l’instant de départ mais en gardant la durée constante, par exemple ∆=12, nous avons ainsi, pour chaque instant et chaque marqueur, un vecteur. Vous pouvez faire afficher ce vecteur (en rouge dans la figure interactive ci-dessous) et choisir le marqueur en cliquant dessus. Vous pouvez également régler le décalage temporel ∆. Enfin vous pouvez garder ou effacer la trace de ces vecteurs.
En visualisant tous ces vecteurs pour des instants de départ différents, nous pouvons voir que, pour la main par exemple, ils sont assez différents, tandis que pour le tronc, ils sont assez semblables, en effet, le tronc avance à vitesse relativement constante tandis que les pieds ou les mains ont un mouvement très alternatif, s’arrêtant, voire même rétrogradant.
Cependant, si on reprend la durée d’un cycle de marche, ∆=25, on voit que tous les marqueurs ont avancé, pour tous les instants, d’un vecteur déplacement quasi constant. En effet, c’est la symétrie principale de la marche : après un cycle le marcheur se retrouve dans la même position mais... plus loin.
Une symétrie est une transformation qui préserve l’objet en question, ici chacun des marqueurs du marcheur. Notre transformation n’est pas simplement une translation dans l’espace, c’est une translation dans l’espace-temps ! c’est-à-dire qu’après un décalage ∆t dans le temps, le marcheur se trouve, dans la même position, à un autre endroit de l’espace, caractérisé par un vecteur déplacement $\vec u$.
Ici, le vecteur de déplacement pour ∆t=1s, est, en moyenne sur tous les marqueurs et tous les temps possibles de $\vec u=(10,1694,12)$ mm. En négligeant les 10 et 12 mm de décalage en abscisse et en altitude, on a donc un cycle de marche d’une longueur d’1m70, soit un pas de 85 cm pour une vitesse de 1,70 m/s, ce qui correspond à une marche rapide, la moyenne pour un homme moyen étant environ de 79 cm et 1,4 m/s.
Dans une translation, pas de dispersion
On peut repérer la durée du cycle de marche en étudiant la dispersion des vecteurs déplacement, en fonction du temps de décalage ∆. L’écart-type mesure cet écart à la moyenne, c’est la racine carrée de la variance, qui est la somme des carrés des écarts à la moyenne. Sur le graphe suivant, nous représentons cet écart-type en fonction du décalage ∆ : nous fixons ∆ et nous collectons tous les vecteurs possibles, pour tous les marqueurs, à tous les temps. Ça fait, pour chaque ∆, une sacrée collection de vecteurs ! Vous pouvez en avoir une idée en gardant la trace des vecteurs et en modifiant les marqueurs dans l’animation précédente.
On voit que pour un petit décalage, bien sûr, l’écart à la moyenne est faible car les marqueurs n’ont pas encore beaucoup bougé. Mais ensuite, à mesure du pas, on s’éloigne de la moyenne, pour atteindre, vers le temps 13, un maximum d’écart. Puis on redescend, pour trouver un alignement très cohérent de tous les vecteurs déplacements vers le temps 25, ce qui signale un cycle entier de marche. À ce moment là, notre marcheur, à un instant n, se trouve dans la même position qu’à l’instant n+∆, mais pas au même endroit.
Un pas glissé
Que se passe-t-il après un seul pas, ∆=12 ou 13 ? La dispersion des vecteurs déplacement y est maximale, en effet, le corps est alors moitié plus loin qu’après la totalité du cycle, décalé d’un vecteur $\frac 12\vec u$ (qui est bien à peu près la moyenne des déplacements pour ∆=12), mais a également subi une symétrie gauche/droite, par rapport au plan yOz. C’est ce qu’on appelle une symétrie glissée. Les empreintes dans le sable ont cette symétrie en dimension deux : le pied gauche est symétrique du pied droit suivant un certain axe, et de plus, est décalé d’un pas, moitié du cycle de la marche.
Le marcheur immobile
En soustrayant $n\times\vec u$ à la position au temps n, on construit un marcheur « sur un tapis roulant », qui n’avance plus, on élimine le glissement pour mettre en relief la symétrie par rapport au plan vertical. Le plan de symétrie gauche/droite est alors le plan passant par le centre de gravité de ce marcheur immobile et contenant les directions de déplacement $\vec u$ et la verticale (ici quasiment le plan yOz).
En superposant le pantin (en rouge) avec son symétrique décalé d’une durée ∆ (en vert), on peut étudier quel décalage donne le moins de différence entre les deux pantins.
On peut alors de nouveau constater que la distance entre le marcheur immobile et son symétrique dans le futur décalé d’un temps ∆ semble être moindre pour ∆=12. On peut encore une fois étudier ceci d’un point de vue statistique en traçant, en fonction du décalage ∆ donné, la distance moyenne entre les couples de marqueurs du pantin rouge et du pantin vert. Ici, chaque point correspond, à un temps n donné, à la moyenne, sur tous les marqueurs, de la distance entre les positions décalées. Mais attention, il y a un petit piège : en effet, il faut calculer la différence de position entre, disons, l’orteil gauche au temps n et le symétrique de l’orteil droit au temps n+∆. D’un point de vue technique cela signifie qu’il faut repérer quelle marqueur va avec quel autre dans la symétrie gauche/droite !
On voit également, verticalement pour un ∆ donné, qu’il y a parfois une grande dispersion des distances aux différents instants mais que de toutes les manières, cette dispersion est plus faible pour ∆=12 ou 13.
Le robot
Nous pouvons également rendre symétrique notre pantin en prenant la position moyenne entre un instant et sa symétrie glissée dans le temps. Nous obtenons ainsi un pantin très symétrique qui peut être utilisé pour modéliser un marcheur automatique, qui met un pied devant l’autre et qui recommence.
Conclusion
Dans cet article, nous avons étudié des données issues de la numérisation d’un cycle de marche. L’utilisation des fonctions permet de repérer une périodicité du mouvement. Cette périodicité peut-être également identifiée en étudiant un minimum de dispersion du vecteur déplacement. Enfin une symétrie glissée gauche/droite est étudiée.
Il va sans dire que ce type de travail ne forme que les prémisses de l’analyse de la marche et que des modèles plus fins s’intéressent par exemple à la pression exercée sur le sol, à la dépense énergétique des muscles et bien d’autres aspects passionnants du mouvement, comme par exemple une décomposition en séries de Fourier pour ce phénomène périodique, mais ça dépasse le programme du lycée !
Référence : La marche, un petit livre électronique reprenant les principales figures discutées dans cet article.
Merci aux relecteurs dont les pseudos sont Lalanne, Sébastien Peronno, Walter, Mathilde Herblot et alchymic666 avec qui l’article s’est grandement amélioré.
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Pour citer cet article :
Christian Mercat — «La meilleure façon de marcher» — Images des Mathématiques, CNRS, 2021
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