Rediffusion d’un article publié le 18 avril 2009
La méthode de Newton et son fractal
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La méthode de Newton, conçue pour calculer les solutions d’une équation, engendre un fractal. Il se trouve que ce fractal est lié aux ensembles de Julia des polynômes, et aux« accouplements » de deux polynômes.
Rediffusion d’un article publié le 18 avril 2009.
Dans la vie courante, des problèmes mathématiques se modélisent souvent sous forme d’équations. Résoudre ces problèmes revient alors à trouver des solutions à ces équations.
Les dimensions d’une feuille de papier
Voici un exemple : prenons une feuille de papier A4 standard. Sa largeur est de $21$ cm (nous l’avons un peu arrondie pour simplifier le calcul [1]). Sa longueur mesure entre $29$ cm et $30$ cm. Comment expliquer ce rapport « étrange »
entre longueur et largeur ?
En effet, pour des raisons économiques et esthétiques, ce rapport a été choisi pour qu’après avoir été plié en deux, le papier reprenne la même forme, c’est-à-dire le même rapport longueur/largeur. Ainsi, en notant $x$ la longueur de notre feuille A4, le rapport longueur/largeur avant le pliage est de $x/21$. Après le pliage, la nouvelle
longueur est $21$cm, et la nouvelle largeur $x/2$, avec donc comme rapport $21/(x/2)$.
La longueur $x$ de la feuille A4 est donc solution de l’équation
\[x/21=21/(x/2),\]
soit $x^2=2\times 21^2$, ou encore $x=\sqrt{882}$.
Calculez à présent $\sqrt{882}$ à l’aide d’une calculatrice, vous trouverez $29,\!698485$, d’où la longueur en centimètres de notre feuille A4 (et voilà pourquoi A4 est aussi $21\times 29,\!7$) !
Cependant, cette valeur avec toutes ses décimales n’est qu’une
approximation de $\sqrt{882}$, puisque ce nombre réel n’est pas un nombre
décimal [2], de même que $1/3=0,333333333...$, $\pi$, $\sqrt{2}$ ne sont
pas des nombres décimaux. Une des questions est alors de trouver une
bonne approximation de ces nombres par des nombres décimaux, en
fonction de la façon dont ils sont définis. Cette question n’a
pas grand
intérêt pour les nombres qui sont des fractions (comme $1/3$), car le
développement décimal d’un tel nombre est toujours périodique
(comme celui de $1/3$ où le chiffre $3$ se répète indéfiniment dans le développement).
La touche « racine carrée » est en panne
Imaginons qu’un jour la touche $\sqrt{\ }$ ne fonctionne pas. Ou qu’on ait besoin d’une valeur approchée avec beaucoup plus de précision. Ou encore que l’on tombe sur un autre problème dont aucune touche de la calculatrice ne nous fournisse de réponse.
Heureusement, après avoir transformé ces problèmes
en équations, nous pouvons utiliser un algorithme itératif inventé par le génial mathématicien et physicien Isaac Newton (1642-1727).
Cette méthode de Newton fournit toujours des solutions approchées des équations, et ce avec autant de précision que nécessaire (voir l’article original de Newton, ajouté à la fin de cet article).
Qu’est-ce qu’un « algorithme itératif » ? C’est tout simplement l’opération consistant à répéter un grand nombre de fois la même opération mathématique. Tapez par exemple un nombre au hasard, disons $5$, sur une calculatrice. Puis appuyez, disons une trentaine de fois, sur la touche $\sqrt{\ }$ (en espérant qu’elle fonctionne, cette fameuse touche !).
Vous allez voir défiler sur l’écran une succession de nombres décimaux, et ces nombres s’approchent de plus en plus de $1$.
Essayez cette fois-ci $0,\!001$ à la place de $5$, qu’observez vous ?
Ce que vous êtes en train de faire, c’est d’itérer l’opération « racine carrée ». Et cette itération vous fournit au fur et à mesure des approximations de plus en plus précises du nombre $1$ (ce qui n’est pas très intéressant en soi).
Vous pouvez bien sûr itérer d’autres opérations comme $x^2$, $\sin x$ ou $\cos x$ si votre calculatrice le permet, tout en variant le choix du nombre de départ. Vous allez constater qu’itérer $x^2$ en commençant par $1,\!05$ ou $0,\!95$ donne des résultats très différents, tandis qu’itérer $\sin$ (ou $\cos$) donne toujours le même résultat final.
Personnellement j’ai été très étonnée
lors de la découverte de ces curieux phénomènes. Pas vous ?
La « touche » méthode de Newton
Alors quelle est la méthode de Newton pour trouver des solutions approchées de l’équation $x^2-882=0$ ? Notons $P(x)=x^2-882$ pour simplifier la présentation (cela rend également la méthode plus conceptuelle).
Newton a réalisé que pour cela, il suffisait d’itérer l’opération
\[ x-\frac{P(x)}{P'(x)}\]
(où $P'$ désigne la dérivée de $P$), soit
\[x-\frac{x^2-882}{2x},\]
ou encore
\[ \frac12 \left(x+ \frac{882}{x}\right),\]
un peu comme si la calculatrice avait une touche « $x-P(x)/P'(x)$ » et qu’on appuie un grand nombre de fois sur cette touche.
Nous allons voir un peu plus tard, dans le paragraphe « Solutions et points fixes », la raison
mathématique d’utiliser la formule précise
$ x-P(x)/P'(x)$ plutôt qu’une autre. A présent contentons nous de faire quelques expériences numériques.
Essayons avec $x=1$. On obtient, successivement : \[1;\quad \frac12 \left(1+ \frac{882}{1}\right)=441,\!5;\quad \frac12 \left(441,5 + \frac{882}{441,\!5}\right)=221,\!749;\] puis $112,\!8632; \quad 60,\!339;\quad 37,\!4782;\quad 30,\!50594;\quad 29,\!70917;\quad 29,\!69849,\quad 29,\!69848,\ \ldots\ .$
Après seulement quelques coups d’essai, on est déjà très près de la vraie solution $\sqrt{882}\approx 29,\!698485$. Voilà une méthode bien efficace... [3]
[4]
On pourrait montrer que, en commençant par n’importe quel nombre proche de $\sqrt{882}$ (à la place de $x=1$ ici), les valeurs obtenues en itérant le procédé vont toujours s’approcher de $\sqrt{882}$.
Nous allons maintenant tester cette méthode avec des nombres complexes
(nous expliquerons pourquoi à la fin de ce paragraphe), c’est-à-dire
des nombres sous la forme $x+iy$, avec $i$ un nombre (imaginaire) dont le carré est $-1$,
et $x,y$ deux nombres réels habituels (voir le film Dimensions mentionné ci-dessous pour une explication animée et détaillée des nombres complexes). Le nombre $x$ est appelé la partie réelle, et
$y$ la partie imaginaire.
Un tel nombre serait proche de $\sqrt{882}$ si $x$ est proche de $\sqrt{882}$ et
$y$ est proche de $0$. En particulier les nombres imaginaires purs, c’est-à-dire
ceux dont la partie réelle est nulle, ceux la forme $0+iy$, sont très loin de $\sqrt{882}$.
Faisons le test avec $i$ comme valeur initiale, cette fois-ci avec un crayon sur une feuille de
papier (A4 par exemple !) au lieu d’une calculatrice.
Mettons $i$ (à la place de $x$) dans la formule de Newton \[\frac12 \left(x+ \frac{882}{x}\right),\]
nous obtenons
\[\frac12\left(i+\frac{882}{i}\right)=\frac12\left(i+\frac{882}{i\times i}i\right)\]
et, comme $i^2=-1$, c’est aussi
\[\frac12(i-882\,i)= -440,\!5\,i.\]
Remettons ce dernier terme (toujours à la place de $x$) dans la formule de Newton, et ainsi de suite, cela nous donne
$ -219,\!25\,i$, puis $ -251,\!227\,i$... On voit que ces valeurs
restent imaginaires pures et donc ne se rapprocheront jamais de nos solutions $\pm \sqrt{882}$.
Que se passerait-il si nous prenions comme valeur initiale un autre nombre complexe $x+iy$ ?
Il n’est pas très difficile de démontrer que, si $x$ est positif, nous allons nous rapprocher de $\sqrt{882}$, et si au contraire $x$ est négatif, nous allons nous rapprocher de $-\sqrt{882}$. La droite des nombres complexes imaginaires purs, qui n’est rien d’autre que l’axe des $y$, est à la fois la médiatrice des deux solutions, et la ligne de séparation de deux comportements différents des suites de valeurs itératives. À sa gauche, c’est le « bassin » d’attraction de la solution $-\sqrt{882}$ ;
et à sa droite, celui de $\sqrt{882}$.
Alors pourquoi partir d’un nombre complexe alors qu’un réel suffisait ? En effet, dans d’autres problèmes plus compliqués, on risque de tomber sur une équation dont la solution recherchée n’est pas réelle.
Tester sur des valeurs initiales qui sont des nombres complexes permet donc de repérer également ce genre de solutions. Ce n’est pas tout. Aller des réels vers les complexes nous permet à la fois d’élargir
notre champ de vision (comme illustré par de nombreux dessins ci-dessous), et
d’avoir accès à de puissants outils mathématiques relevant de l’analyse complexe. Il y a d’ailleurs des problèmes
mathématiques purement réels qui n’ont pu être résolus que grâce à l’utilisation des
nombres complexes, c’est ce qu’on appelle encore « complexifier » le
problème.
Avec un polynôme de degré 3
Essayons maintenant la méthode de Newton $ z-P(z)/P'(z)$ pour un polynôme un peu plus compliqué :
\[ P(z)=\left(z-a+\frac12\right)\left(z+a+\frac12\right)(z-1),\]
ici $z$ désigne un nombre complexe inconnu et $a$ est le nombre complexe $-0,\!00508+0,\!33136\,i$. (En fait on aurait pu prendre n’importe quel
nombre complexe pour $a$, mais celui-ci
a été choisi spécifiquement pour illustrer par la
suite l’apparition du fameux lapin de Douady. Voir le paragraphe
« Choix de $a$ » ci-dessous. )
Les solutions de l’équation $P(z)=0$ sont 1, $-\frac12+a$ et $ -\frac12-a$. On pourrait croire naïvement qu’une sorte de graphe séparateur jouerait le rôle de la médiatrice (comme dans le cas précédent) :
ce graphe séparerait le plan en trois régions, et une valeur initiale (qui
est un nombre complexe) prise dans une région donnée nous donnerait
des approximations de la racine du polynôme située dans cette région. Par exemple :
- Un graphe séparateur ?
Arthur Cayley (1821-1895) avait tenté en vain de justifier cette intuition (voir
son article, ajouté à la fin de cet article). Nous allons tout de
suite comprendre pourquoi.
Une expérience numérique
Faisons une nouvelle expérience numérique, en remplaçant cette fois la calculette par un ordinateur :
Plaçons-nous dans une fenêtre carrée du plan, disons $-1,\!4 Enfin colorions le pixel en noir si rien de tout cela se produit. Voici ce que notre ordinateur dessine : Ainsi, plutôt qu’un simple graphe séparateur, on voit apparaître un surprenant Ah ! Si Cayley avait vu cela ! Observons ce fractal de plus près. Voici un agrandissement dans la fenêtre La couleur noire indique le lieu des « mauvaises » valeurs de test initiales : Même si ce lieu est relativement petit, on voit tout de même des taches piégées En plus, ces lacs noirs ne sont pas dans une partie isolée, bien délimitée, du plan. Au contraire ils s’entremêlent partout avec les lacs rouges, verts ou bleus. Ceci illustre le phénomène « chaotique » de cette méthode itérative : en partant d’un point de la frontière d’un de ces lacs, la moindre erreur numérique nous fait basculer soit d’une solution vers une autre, soit vers un piège de couleur noire. Il faut dire que la présence de ces taches noires est due à notre En choisissant un autre nombre pour $a$, le fractal engendré peut très bien ne plus avoir de taches noires. On peut Une question se pose alors : dans ces cas-là, peut-on affirmer que la méthode de Newton est enfin globalement efficace ? Eh bien, ce n’est pas si simple que ça. Il existe aujourd’hui des logiciels qui produisent des valeurs « aléatoires », c’est-à-dire imitant le hasard. On aimerait Essayons maintenant de comprendre un peu mieux la structure du fractal de Newton présenté ci-dessus, donc Adrien Douady (1935-2006) fait partie des premiers mathématiciens à avoir observé cela. Il a très vite compris que ces lapins proviennent de l’itération d’une autre opération, plus simple cette fois-ci, celle de Faisons l’expérience comme lui, en colorant un pixel dans le carré Voici le résultat : Une ressemblance frappante avec le lieu noir que nous avons appelé « lapin », n’est ce pas ? D’ailleurs ce fractal s’appelle le lapin de Douady. C’est dû à un phénomène de renormalisation, démontré par Douady et Hubbard : pour des bons choix de $a$, et pour la méthode de Newton associée au polynôme Alors comment procéder précisément ? Commençons par itérer $z^2+c$ à partir de $z=0$. $0^2+c= c;\quad$ puis $\quad c^2+c;\quad (c^2+c)^2+c;\quad ((c^2+c)^2+c)^2+c;\quad \cdots \quad$ etc. D’après la théorie de Douady et Hubbard, pour obtenir un fractal qui ressemble à un lapin, Essayons donc de résoudre cette équation. En divisant par $c$, Revenons à la méthode de Newton. Cette fois-ci il faut choisir un $a$ tel que le sixième (A titre d’information, le sixième Cette relation avec les lapins n’explique pas encore toute la structure du lieu noir. Il faut encore comprendre comment ces multiples lapins se sont reliés les uns et les autres. En fait, bien que ce ne soit pas du tout évident à l’œil nu, Voici le premier fractal, provenant de l’itération de Et voici le deuxième, provenant de l’itération de Faisons maintenant tourner notre fractal de Newton de $90^\circ$ pour mieux visualiser la couture : Voici enfin la couture en vidéo (film réalisé par Arnaud Chéritat), puis sur une sphère [7]) : La théorie derière cette couture a été connue depuis 1997 (voir les Au passage ce procédé de couture a été appelé « accouplement » avec humour par Adrien Douady. Essayons maintenant de comprendre pourquoi la méthode de Newton se stabilise à une certaine solution $r$ de l’équation $P(z)=0$ (pour un $P$ quelconque). Pour cela remplaçons $z$ par une telle solution $r$ dans $z-P(z)/P'(z)$. Nous observons que Cela veut dire que faire opérer la méthode de Newton ne change pas la valeur $r$ : si vous avez tapé $r$ comme valeur initiale, vous pouvez appuyer tant que vous voulez sur la touche « méthode de Newton », vous obtiendrez toujours $r$. En termes mathématiques, $r$ est un point fixe. Ce que nous avons fait est un exemple d’une méthode assez courante en mathématique : on transforme la résolution d’une équation en la recherche d’un point fixe d’une opération appropriée. Mais on aurait pu choisir une opération plus simple. Par exemple la touche « $z-P(z)$ », qui remplace $z$ par $z-P(z)$ : bien sûr si $r$ est une solution de $P(z)=0$, appuyer sur cette touche produira toujours $r$. Alors pourquoi choisir une opération aussi compliquée que celle de Newton, avec la division par la dérivée ? Eh bien, c’est pour approcher le graphe du polynôme $P$ par une droite (une tangente) $f(z)=(z-z_0)P'(z_0)+P(z_0)$. Cette fonction $f$ admet la même valeur et la même dérivée en $z_0$ que le polynôme $P$. La relation entre la solution de $P=0$ et celle de $f=0$ se voit facilement sur une figure (ici dans le cas réel) : Poussons-nous un peu plus loin dans notre compréhension : pourquoi l’itération de la méthode de Newton donne-t-elle des valeurs s’approchant de plus en plus d’une solution $r$ (si l’on est parti d’une valeur assez proche), et ce de manière extrêmement rapide ? Pour comprendre cela Non seulement la méthode de Newton laisse la valeur $r$ invariante, mais en plus elle y admet une dérivée nulle. On dit que $r$ est un point fixe super-attractif. Cette terminologie illustre le fait que la solution $r$ attire vers elle, de toutes ses forces, les valeurs voisines. Alors pourquoi la vitesse de convergence a-t-elle un quelconque lien Nous pouvons essayer de comprendre cela en considérant un exemple plus simple, mais typique de ce genre de situation. Faisons ensuite un test (sur une calculatrice par exemple) de la vitesse de convergence en prenant \[0,\!5;\quad 0,\!25;\quad 0,\!0625;\quad 0,\!00390625;\quad 0,\!00001525878;\] En gros le nombre de zéros après la virgule double à chaque itération. Rapide, n’est ce pas ?! Vous pouvez par exemple le comparer avec l’itération de l’opération « diviser un nombre par $100$ », c’est-à-dire « $x/100$ » Et l’histoire d’un graphe séparant les trois solutions d’un polynôme (quelconque) $P(z)$ de degré 3, dans tout cela ? Une idée si naturelle... vous n’avez peut-être pas envie de l’abandonner complètement. Eh bien, vous avez raison. Pour le voir, rajoutons un facteur $h$ devant le terme $P(z)/P’(z)$, notre « touche méthode de Newton » devient Nous fabriquons ainsi toute une famille de « fractals de Newton », un pour chaque valeur de $h$. Voici ce qui se passe avec notre $P(z)$ spécifique, c’est-à-dire
Ce qui est surprenant, c’est que ce graphe n’a pas tout à fait l’allure qu’on imaginait, c’est-à-dire un graphe avec trois branches se rencontrant en un point. C’est dû au fait que le nombre complexe $a$ que nous avons choisi a une partie réelle non nulle. Si l’on supprimait cette partie réelle, on trouverait bien un graphe avec trois branches se rencontrant en un point. En revanche on n’aurait Mais... l’algorithme de Newton a-t-il encore un sens lorsque $h$ devient infiniment petit ? Eh bien oui. Mais cette fois-ci, il faut considérer le champ de vecteurs de Newton : en chaque point $z$ du plan, on plante un vecteur de direction $ -P(z)/P’(z)$. En suivant les directions indiquées par ces vecteurs on obtient trois flots (comme des flots d’eau), coulant chacun vers une solution. Et la frontière entre ces trois bassins n’est rien d’autre que le graphe séparateur. Ce fait est valable pour n’importe quel choix du nombre $a$. Voici une illustration pour notre
Terminons par un peu d’histoire : Cette branche des mathématiques s’appelle l’itération des fractions rationnelles, une théorie fondée (bien après Newton) dans les années 1900-1920 par Pierre Fatou (1878-1929) et Gaston Julia (1893-1978). Ces fractals « de Newton » sont d’ailleurs appelés ensembles de Julia. Cette théorie a connu un développement florissant depuis 1980, grâce en partie à l’arrivée de puissants outils informatiques et mathématiques. Ces deux types d’outils interagissent parfois de manière très compliquée pour permettre tour à tour d’observer, de démontrer et Les premières images des fractals de Newton réalisés par des ordinateurs datent très probablement du printemps 1977, un an avant la mort de Julia [8]. Michèle Audin m’a signalé que Julia avait dessiné, dès 1917, un ensemble Ci-joints deux documents historiques : Tan Lei (Editor), The Mandelbrot Set, Theme and Variations, Pour des images et résultats historiques, voir par exemple : Pour l’apparition du lapin dans un fractal de Newton, Pour les coutures et accouplements : voir Tan L., Branched coverings and cubic Newton maps, Fundamenta Mathematicae, 154 (1997), pages 207-260. Pour aller plus loin : voir P. Roesch, Pour le lien avec le graphe séparateur et le champ de vecteurs de Newton, voir Pour d’autres animations d’accouplements de polynômes : voir la page web d’Arnaud Chéritat. Les ensembles de Julia présentés dans cet article ont été dessinés à l’aide du logiciel It de
« fractal » qui partage le carré en trois grands lacs, un autour de chaque solution,
mais également en beaucoup de petits lacs rouges, verts ou bleus, qui s’entremêlent de manière très compliquée...
$-0,22 < x,y < 0,22$.
si l’on choisit au départ un nombre complexe au sein de cette partie, la méthode de Newton n’approchera jamais d’une solution de $P=0$.
dans son intérieur,
des sortes de lacs noirs (en termes mathématiques, l’intérieur de cet ensemble n’est pas vide). La présence de ces lacs
met en doute l’efficacité globale de la méthode de Newton.
choix spécifique du nombre complexe $a$.
même prédire à peu de choses près tous les choix de $a$ pour lesquels cela se
produit.
dire que la chance qu’un tel logiciel produise un nombre complexe noir est minime, lorsqu’il n’y a pas de tache noire à l’intérieur [5]. Or ce n’est pas toujours le cas : pour certains choix de $a$, il n’y a pas de taches noires (l’intérieur de l’ensemble noir est vide), pourtant la probabilité pour qu’un point choisi au hasard soit noir n’est pas nulle [6].Lapins
calculé avec le nombre $a$ que nous avons choisi ci-dessus.
à un lapin à deux oreilles.
\[z^2+ (-0,\!12+0,\!75i).\]
$-1,45\le x,y\le 1,45$Choix de $a$
Alors pour quelle raison le fractal produit par l’itération
du polynôme quadratique ci-dessus apparaît-il dans notre fractal de Newton ?
\[ P(z)=\left(z-a+\frac12\right)\left(z+a+\frac12\right)(z-1)\] (qui dépend
de $a$), itérer un nombre pair de fois, par exemple $2n$ fois, cette méthode
dans une région proche de $0$, revient à itérer $n$ fois un polynôme quadratique
de la forme $z^2+c$ (où $c$ dépend de $a$). Donc si l’on veut voir apparaître
le fractal engendré par un $c$ spécifique, par exemple le lapin
de Douady, il ne reste plus qu’à ajuster le nombre $a$.
Pour cela, il faut d’abord savoir comment produire le lapin de Douady. Nous allons voir que
le choix de $c$, tout comme celui de $a$, est relativement flexible.
Nous obtenons, successivement,
il faut choisir un $c$ parmi ceux qui rendent le troisième terme ci-dessus relativement petit,
donc un $c$ proche d’une solution de l’équation $(c^2+c)^2+c=0$.
elle devient : $c(c+1)^2+1=0$. Cette nouvelle équation a trois solutions, et celle qui nous convient
est approximativement $-0,\!1225612+0,\!7448618i$. Notons la par $c_0$.
Ainsi pour tout choix de $c$ proche
de $c_0$, le troixième terme ci-dessus est proche de $0$, et itérer $z^2+c$ devrait
nous donner un lapin. Nous en avons choisi un au hasard, notamment $c=-0,\!12+0,\!75i$,
et ça marche !
itéré de $0$ par cette méthode soit proche de $0$. Il existe $18$ valeurs de $a$ rendant ce
terme du
sixième
itéré nul, et celle qui nous convient est approximativement $-0,\!0051054+0,\!3313825i$. Notons la par $a_0$.
Ainsi n’importe quel choix de $a$ proche de $a_0$ devrait nous donner un fractal de Newton avec
des lapins sautillant dedans. Là encore nous en avons choisi un au hasard, notamment
$a=-0,\!00508+0,\!33136i$. Et des beaux lapins apparaissent bel et bien dans notre fractal.
itéré de $0$ pour ce choix de $a$ est $-0,\!0001958-0,\!0005808i$.)Coutures et accouplements
ce fractal est obtenu en recousant ensemble deux fractals plus simples,
et donc plus facils à comprendre. Mais nous n’allons pas
entrer dans les détails ici. Nous nous contentons juste d’illustrer
ces deux fractals ainsi que la couture.
\[Q(z)=z^3+(1,\!503-0,\!8046\,i)z^2.\]
Ce fractal est appelé « ensemble de Julia » de $Q$.
Vous remarquerez que de multiples lapins y sont déjà présents.
\[z^3+(2,\!12i)z^2.\]
d’abord dans le plan :
références mathématiques ci-dessous). Mais l’illustration
en film présente de grandes difficultés techniques,
de nature à la fois informatique et mathématique.
Arnaud Chéritat a du surmonter toutes ces difficultés
afin de réaliser ces remarquables vidéos pour nous.
Je lui en suis très reconnaissante.Solutions et points fixes
\[r-\frac{P(r)}{P'(r)}=r-\frac{0}{P'(r)}=r.\]
On peut donc imaginer que la solution de $f(z)=0$ est proche de celle de $P(z)=0$. L’équation $f(z)=0$ est tellement simple qu’on peut la résoudre directement, soit
\[z=z_0-\frac{P(z_0)}{P'(z_0)},\]
et voilà d’où vient la division par la dérivée !
\[z-\frac{P(z)}{P'(z)}.\]
Nous trouvons
\[\frac{P(z)P''(z)}{P'(z)^2}.\]
avec le fait que la dérivée s’annule en $r$ ?
Prenons l’opération « élever un nombre au carré », c’est-à-dire « $x^2$ ». La valeur $0$ est fixe ($0^2=0$ !), et la dérivée ($2x$) est nulle en $0$.
La valeur $0$ est donc bel et bien un point fixe super-attractif.
$0,\!5$ comme valeur initiale. Nous obtenons :
\[0,\!00000000023283;\quad 0,\!00000000000000000005421; \quad\ldots\]
(avec donc une dérivée $1/100$ qui n’est pas nulle).
Qui est-ce qui va l’emporter en fin de compte ?Graphe séparateur
\[z-h\frac{P(z)}{P’(z)}.\]
Ce facteur va modifier la vitesse à laquelle la méthode de Newton permet de s’approcher d’une
racine de $P$. Plus $h$ est petit, moindre est la vitesse.
Quand $h$ décroît, devenant de plus en plus petit, ces fractals se transforment
progressivement en un graphe. Ce graphe sépare le plan en trois
régions, contenant chacune une solution de $P(z)=0$. Et nous avons enfin trouvé le graphe séparateur que Cayley cherchait !
\[ P(z)=\left(z-a+\frac12\right)\left(z+a+\frac12\right)(z-1),\]
avec $a=-0,\!00508+0,\!33136\,i$ :
pas obtenu les multiples lapins du départ.Le champ de Newton
$a$ spécifique :Un peu d’histoire
d’illustrer des phénomènes mathématiques.
de Julia, ressemblant au citron présenté ici [9].
traitée par la méthode de Newton est une équation de degré 3 :
\[y^3-2y-5=0,\]
plan en trois parties qui seraient les domaines d’attraction des trois solutions.Références mathématiques
Cambridge University Press, 2000.
J. H. Curry, L. Garnett et D. Sullivan, On the iteration of a rational function : Computer experiments with Newton’s method,
Communications in Mathematical Physics, Volume 91, Number 2 / June, 1983, pages 267-277.
voir A. Douady et J. H. Hubbard, On the dynamics of polynomial-like mappings,
Annales scientifiques de l’École normale supérieure,
1985, vol. 18, no. 2, pages 287-343.
On local connectivity for the Julia set of rational maps : Newton’s famous example,
Annals of Mathematics. Second Series , Vol. 168, N. 1, pages 127-174 (2008).
M. Flexor et P. Sentenac, Algorithmes de Newton généralisés,
CRAS 308, no.14, 1989, pages 445-448.
Christian Mannes, http://www.mannes-tech.com.
Notes
[1] Toutes les feuilles de papier, de format A0, A1, A2, A3, A4,... ont la même forme (leurs longueurs et
largeurs sont dans le même rapport) et la feuille A0 a une surface d’un mètre carré.
[2] C’est-à-dire : il faut, pour l’écrire, une infinité de chiffres après la virgule.
[3] En fait dans ce cas particulier, le calcul de la racine carrée de $a$, la méthode était connue des Babyloniens : itérer
\[x\mapsto \frac{1}{2}\left(x+\frac{a}{x}\right).\]
[4] Il existe d’autres méthodes itératives pour trouver
la racine carrée d’un nombre. Voir par exemple l’article de
Hodgson.
[5] En termes mathématiques, ce serait dire que le lieu noir est de mesure de Lebesgue nulle.
[6] D’après
[7] La sphère est liée au plan par une projection stéréographique, voir une belle image de projection stéréographique (sur ce site). Pour la projection stéréographique, les nombres complexes et bien d’autres informations, voir le film Dimensions de Jos Leys, Étienne Ghys et Aurélien Alvarez.
[8] Selon le récit de J. H. Hubbard, dans sa préface au livre édité par l’auteur sur l’ensemble de Mandelbrot (voir les références mathématiques).
[9] Voir le livre de Michèle Audin (à paraître en juin 2009), Fatou, Julia, Montel, le grand prix des sciences mathématiques de 1918, et après..., Springer.
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Pour citer cet article :
Tan Lei — «La méthode de Newton et son fractal» — Images des Mathématiques, CNRS, 2023
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La méthode de Newton et son fractal
le 8 mai 2009 à 16:18, par Tan Lei