Le Savant Cosinus
Le 11 avril 2010 Voir les commentaires (4)
Ne boudons pas notre plaisir devant la description
gentiment ironique faite par Georges Colomb, alias Christophe,
d’un mathématicien distrait.
Georges Colomb, ancien élève de l’Ecole Normale de la rue d’Ulm, enseignait ce que l’on appelait
autrefois les Sciences Naturelles. C’était un excellent professeur, très apprécié de ses
élèves. On dispose d’un témoignage de marque, celui de Marcel Proust, qui fut son élève
au lycée Condorcet. On trouve
d’ailleurs dans « A la recherche du temps perdu » de nombreuses
remarques qui témoignent d’une bonne culture scientifique.
Proust ne fut pas le seul à bénéficier de son enseignement.
Dreyfusiste militant, Georges Colomb manifesta concrètement son soutien au
capitaine Dreyfus en faisant travailler ses enfants. C’était aussi un vulgarisateur infatigable.
[1]
Pour arrondir ses fins de mois, il se mit à écrire des bandes dessinées, sous le pseudonyme de Christophe. Trois d’entre elles étaient bien connues
jusqu’aux années 50, un peu moins pendant la décennie d’après. Il s’agit
de La famille Fenouillard, le Sapeur Camember, L’idée fixe du Savant Cosinus. [2].
« L’idée fixe du savant Cosinus » est l’histoire d’un mathématicien effroyablement distrait,
qui a décidé de faire le tour du monde mais n’arrive pas à quitter Paris.
Certains (dans Wikipedia par exemple) disent que son modèle était
Jacques Hadamard,
connu il est vrai pour sa distraction, mais tout porte à croire que le véritable
modèle était Henri Poincaré (un grand distrait lui aussi) : Cosinus, de son vrai
nom Zéphyrin Brioché, est allé à Polytechnique, comme Poincaré.
Les mésaventures savoureuses qui surviennent à Cosinus méritent
d’être portées à la connaissance du public d’aujourd’hui.
Elles sont disponibles en ligne.
Les allusions mathématiques
ne manquent pas. Sa servante Scholastique « n’arrive pas à comprendre l’utilité qu’il peut y avoir
à écrire des tas de choses pour arriver à mettre au bout :=0 ». Il y en a d’autres plus
subtiles. On le voit mesurer, à 3 ou 4 cm près, le diamètre d’un ballon avec
un sphéromètre de son invention, ainsi fait qu’il ne peut rien mesurer du tout.
[3]
Mais tout est bien qui finit bien. Cosinus renonce à ses tentatives et épouse sa voisine
du dessous, Madame Belazor, homme de lettres (on dirait aujourd’hui écrivaine).
Voici le texte de sa demande en mariage.
Madame, je suis assez bien de ma personne, et membre de plusieurs sociétés savantes.
Je suis un mobile qui cherche à se fixer. Voulez-vous être le cercle dont je serai le centre, l’hyperbole dont je serai le foyer, le tétraèdre dont je serai le sommet, la strophoïde [4] dont je serai l’asymptote ? En un mot, voulez-vous de moi pour époux ?
Vécurent-ils heureux, eurent-ils beaucoup d’enfants ? Ils eurent en tous cas deux jumelles,
Sécante et Cosécante. [5]
L’image en logo est tiré de L’idée fixe du savant Cosinus, IVe Chant. « Cosinus solliciteur ».
Notes
[1] Biographie de Christophe, par François Caradec, préface de Raymond Queneau. Grasset, 1956. Réédition Pierre Horay éditeur, 1981. Collection Les Singuliers.
[2] J’ai sous les yeux
des exemplaires publiés dans la collection ’’Le Livre de Poche’’ en 1965.
[3] La conception d’un véritable sphéromètre est un exercice qui n’est pas inintéressant,
voir le chapitre du livre de géométrie de Marcel Berger consacré à la sphère.
[4] Courbe obtenue par inversion d’une hyperbole équilatère, quand le pôle est sur l’hyperbole.
[5] La sécante est l’inverse du cosinus, la cosécante l’inverse du sinus.
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Pour citer cet article :
Jacques Lafontaine — «Le Savant Cosinus» — Images des Mathématiques, CNRS, 2010
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