[Rediffusion d’un article publié en 2014]
Les fameux points de Lagrange
Fameux, pour qui les connaît !
Piste bleue Le 27 juin 2020 Voir les commentaires (2)
Parmi tous les domaines abordés par Joseph-Louis Lagrange la mécanique céleste tient une place de choix. C’est pendant sa période berlinoise, de 1766 à 1788 qu’il découvre une famille de points d’équilibre de certaines extensions du problème des deux corps. Les points de Lagrange étaient nés !
Depuis cette époque, nombreuses sont les extensions de cette théorie à différentes configurations. Et nombreuses sont aussi les observations astronomiques en relation directe avec ces théories.
[Rediffusion d’un article publié en 2014]
À l’époque de Lagrange le problème dit des deux corps, c’est-à-dire le mouvement de deux masses ponctuelles qui s’attirent réciproquement selon la loi de gravitation universelle, avait déjà été résolu par Isaac Newton (1642-1725), dans les Principia Mathematica. Dans ce travail monumental, Newton avait prouvé les lois mises en évidence par Kepler (1571-1630), retrouvant, en particulier, que lorsqu’ils restent liés ces corps sont en orbite elliptique autour de leur centre de masse. Une partie des propriétés des mouvements des planètes trouvait là certaines explications.
- Kepler, Newton et Poincaré
Le problème analogue des trois corps, par exemple le système Soleil-Terre-lune, n’avait pas encore trouvé de solution mathématique conforme aux observations. Henri Poincaré (1854-1912) montrera un siècle après les travaux de Lagrange qu’une telle solution est extrêmement complexe et n’est pas utilisable physiquement. En 1772, Lagrange étudia des cas particuliers de ce problème, lorsque les trois corps sont dans le même plan ou bien que l’un d’entre eux reste toujours éloigné des deux autres. L’application au cas de la Lune, dont le mouvement autour de la Terre est perturbé par le Soleil, et les résultats qu’il en déduisit lui valurent le prix de l’Académie royale des sciences pour 1764 ; ce travail initial de Lagrange sera complété en 1787 par Laplace.
Les applications de ces travaux ont été très nombreuses en astronomie.
Lorsque le troisième corps considéré ($m_3$) est de masse négligeable devant les deux premiers et que le second ($m_2$) est en orbite circulaire uniforme dans un plan $P$ autour du premier ($m_1$), on peut montrer qu’il existe 5 positions d’équilibre relatives pour $m_3$ appelées points de Lagrange. Les trois premiers $L_1$, $L_2$ et $L_3$ sont situés sur l’axe $m_1 m_2$ formé par les deux corps les plus massifs ; les deux autres $L_4$ et $L_5$ sont les deux positions telles que le triangle $m_1m_2m_3$ soit équilatéral.
Si la masse de $m_2$ est suffisamment faible devant celle de $m_1$, les points de Lagrange $L_4$ et $L_5$ sont des configurations stables que l’on rencontre dans de nombreuses situations astronomiques.
La planète Saturne rend un hommage particulier à Joseph-Louis Lagrange : outre ses anneaux qui présentent de nombreuses particularités dynamiques que Lagrange aurait aimé étudier, deux de ses lunes Thétys et Dione possèdent chacune deux petits satellites (Telesto, Calypso pour Thétis et Hélène et Pollux pour Dione), occupant les points $L_4$ et $L_5$ du système. A l’époque de Lagrange, seules étaient connues les lunes principales découvertes à la fin du XVII$^e$ siècle. Les petits satellites n’ont été repérés que récemment grâce aux missions Voyager et Cassini en ces points prévus par l’illustre mathématicien. Quel hommage de la technologie aux mathématiques quelque deux siècles plus tard !
- Saturne et ses lunes lagrangiennes.
- Seules les échelles des orbites par rapport à Saturne sont respectées
Les positions et les propriétés dynamiques de ces points en font des emplacements privilégiés pour les satellites astronomiques. Par exemple, le satellite d’observation astronométrique Gaia, lancé fin 2013, sera mis en place au point de Lagrange $L_2$ du système Terre-Soleil. Il permettra de cartographier plus d’un milliard d’objets astronomiques pour la plupart situés dans notre galaxie. La position $L_2$ est privilégiée car elle est en quelque sorte toujours à l’abri du soleil et permet une observation de la quasi-totalité du ciel en permanence. Elle est instable (c’est ce que l’on appelle un point-selle) mais le temps caractéristique de cette instabilité est de l’ordre d’une dizaine de jours. C’est approximativement la durée qui s’écoule entre deux repositionnements du satellite. La durée de vie de la mission des satellites situés au voisinage de $L_2$ est conditionnée par ces opérations.
Les barres que l’on observe au centre de certaines galaxies spirales sont aussi le résultat de la figure de stabilité des points de Lagrange $L_4$ et $L_5$ que l’on peut aussi déterminer dans ces objets. Ces positions d’équilibres stables pour les étoiles évoluant dans le champ gravitationnel de l’ensemble de la galaxie constituent une sorte de refuge qui contribue à former la barre.
Merci aux relecteurs d’Images des mathématiques (M. Ghys, Depresseux et Monmarché) pour leurs remarques lors de l’élaboration de ce texte.
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Pour citer cet article :
Jérôme Pérez — «Les fameux points de Lagrange» — Images des Mathématiques, CNRS, 2020
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