Les nombres premiers
Le 11 septembre 2019 Voir les commentaires (20)
Cet article a été écrit en partenariat avec L’Institut Henri Poincaré
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En 2013, l’Institut Henri Poincaré et Images des Mathématiques avaient uni leurs efforts pour superviser la réédition de la collection Le monde est mathématique, publiée par RBA en partenariat avec Le Monde. En 40 ouvrages, cette collection de qualité, issue d’un projet collectif de mathématiciens espagnols, vise à présenter, à travers une grande variété de points de vue, de multiples facettes des sciences mathématiques, sous un aspect historique, humain, social, technique, culturel ...
Reprise et améliorée au niveau de la forme, cette édition avait été entièrement lue et corrigée par l’équipe d’Images des Mathématiques ; des préfaces et listes bibliographiques rajoutées.
En 2019, cette collection est de nouveau éditée, présentée par Étienne Ghys et distribuée par L’Obs.
Chaque semaine, à l’occasion de la sortie d’un nouveau numéro de la série, un extrait sélectionné sera présenté sur Images des Mathématiques. Il sera également accompagné du sommaire du livre et d’une invitation à prolonger votre lecture.
Extrait du chapitre 1 : À l’aube de l’arithmétique
[…]
En ce qui concerne la capacité à compter, on rencontre dans le règne animal de nombreux exemples d’espèces qui peuvent le faire avec une certaine précision. Les guêpes solitaires, par exemple, sont capables de compter le nombre de chenilles vivantes qu’elles laissent comme aliment pour leurs larves dans les loges dans lesquelles elles ont entreposé les œufs : toujours exactement 5, 12 ou 24. Parmi les espèces qui appartiennent à la classe Eumenes, nous rencontrons un cas encore plus incroyable : la guêpe sait si un mâle ou une femelle sortira de l’œuf. Nous n’avons pas de connaissances en ce qui concerne le mécanisme qu’elle utilise pour vérifier le sexe de sa descendance, d’autant plus que les cellules dans lesquelles elle pond et dépose l’aliment ne présentent aucun signe distinctif apparent. La guêpe laisse 5 chenilles pour chaque œuf mâle et 10 s’il s’agit d’une femelle. La raison de cette disparité est que les guêpes femelles sont plus grandes que les mâles.
- Les femelles des guêpes solitaires posent les œufs dans des petites cellules dans lesquelles elles laissent aussi des chenilles anesthésiées au préalable afin que, après l’éclosion, leurs larves puissent s’en nourrir. Le plus surprenant est que ces guêpes laissent toujours le même nombre de chenilles, et elles prennent en compte le sexe futur de l’œuf, mâle ou femelle, ce qui détermine le nombre de « victimes » dont disposera la descendance.
Même en ce qui concerne un concept plus élaboré, comme celui de nombre premier, il existe un curieux exemple : les espèces de cigales dénommées Magicicada septendecim et M. tredecim. Les noms spéciaux septendecim et tredecim signifient, respectivement, 17 et 13, et font référence aux cycles vitaux des deux cigales. Les deux sont des nombres premiers et les zoologues ont élaboré différentes théories qui expliquent le choix d’un nombre premier d’années pour le cycle de vie de ces insectes.
Prenons comme exemple Magicicada septendecim. Cette cigale vit sous terre à l’état de nymphe et s’alimente de sève en suçant les racines des arbres. Elle passe 17 ans dans cet état et remonte ensuite à la surface pour se transformer en insecte adulte, étape qui dure seulement quelques jours, durant lesquels elle se reproduit puis meurt. La théorie qui explique un tel comportement est la suivante : parmi les ennemis de la cigale adulte existe un parasite dont le cycle de vie est de deux ans. Si le cycle de vie de la cigale était un multiple de 2, les deux espèces finiraient par coïncider tous les 2, 4, 8... ans. La même chose arriverait avec les autres multiples quelconques. Mais si le cycle de vie était un nombre premier d’années assez grand, comme 17 dans notre cas, alors le parasite et la cigale ne pourraient coïncider que tous les 34 ans, puisque 34 est le premier multiple de 17. Dans le cas hypothétique où le cycle de vie du parasite serait de 16 ans, la probabilité de se rencontrer aurait lieu tous les 16 × 17 = 272 ans.
Il est tout à fait possible qu’avec le temps l’étude du comportement animal nous donne davantage d’exemples d’espèces qui « savent compter ». De tels raisonnements peuvent paraître banals, mais le plus important dans cette affaire, c’est que, bien que les objets mathématiques, comme les nombres premiers, soient une création mathématique, l’explorateur puisse les vivre et les sentir comme s’ils avaient une existence propre.
Le crible d’Ératosthène
La recherche des nombres premiers a toujours constitué un sujet épineux. L’une des premières méthodes connues est attribuée à Ératosthène de Cyrène (273-194 av. J.-C.), mathématicien, astronome et géographe grec, qui fut directeur de la Bibliothèque d’Alexandrie. Cette méthode est connue sous le nom de « crible d’Ératosthène ». Nous allons voir comment elle s’applique aux cent premiers nombres naturels.
En premier lieu, il faut construire une table avec tous les nombres naturels, disons ceux entre 1 et 100, pour fixer les idées. On commence ensuite à éliminer tous ceux qui sont multiples de deux : 4, 6, 8, 10... ; puis ceux qui sont multiples de trois : 6 (déjà éliminé), 9, 12, 15... ; puis ensuite les multiples de cinq et de sept.
Les nombres non éliminés sont tous premiers.
On observe que le crible se termine quand on arrive au nombre 10, soit la racine carrée de 100. En général, pour trouver tous les nombres premiers inférieurs à un nombre $N$ donné, il suffit de réaliser le crible pour tous les nombres inférieurs ou égaux à $\sqrt{N}$ . Il s’agit là d’une méthode pour trouver les nombres premiers inférieurs à un autre donné. Cette méthode est toujours utilisée actuellement, plus de deux mille ans après sa création, pour trouver des nombres premiers petits, inférieurs à dix mille millions.
LES DIMENSIONS DE LA TERRE
Le nom d’Eratosthène est lié au crible des nombres premiers qui porte d’ailleurs son nom. Cependant, ce ne sont pas là ses travaux les plus importants. de fait, ératosthène est entré dans l’histoire de la science pour avoir été le premier à calculer les dimensions de la terre. avec les moyens techniques disponibles au iiie siècle av. J.-C., il calcula la circonférence polaire avec une marge d’erreur inférieure à 1 %.
- Planisphère qui montre le monde connu selon Ératosthène. Le savant grec fut le premier à utiliser une division en parallèles réguliers, alors que les méridiens étaient séparés de manière irrégulière.
Combien y a-t-il de nombres premiers ?
Si nous voulons commencer à réfléchir sur la nature des nombres premiers pour chercher une relation entre eux ou une règle quelconque qui nous permette de prédire à quel moment apparaîtra le suivant, il nous faut d’abord disposer d’une liste de ces nombres. Le tableau suivant, obtenu à partir du crible d’Ératosthène, montre les nombres premiers qui sont compris parmi les mille premiers nombres entiers naturels.
Un examen préliminaire nous permet de constater que les nombres premiers sont tout à fait imprévisibles. Il y a, par exemple, plus de nombres premiers entre 1 et 100 qu’entre 101 et 200. Entre les nombres 1 et 1 000, il y a 168 nombres premiers. Nous pouvons penser que si notre table était bien plus grande encore, nous verrions comment la quantité de nombres premiers augmente à mesure que nous avançons de mille unités en mille unités. Mais non. Il existe actuellement des table immensément grandes et l’on sait que, par exemple, entre les mille unités qui vont de $10^{100} à 10^{100} + 1 000$ il y a seulement 2 nombres premiers. Et il s’agit là de nombres de plus de cent chiffres !
Il est clair que pour pouvoir trouver une règle, le mieux serait de disposer d’une table exhaustive avec tous les nombres premiers.Tous ? Et s’ils étaient nombreux ? Peu importe : avec les moyens dont nous disposons actuellement, il est possible de les soumettre à tous les types de cribles et de tests permettant de trouver la règle. Car lorsqu’il s’agit d’ensembles finis, aussi grands soient-ils, il est toujours possible de trouver une règle, ou tout du moins d’en inventer une qui corresponde. Mais tout change radicalement quand il s’agit d’ensembles infinis. Par conséquent, il est très important de savoir s’il existe une infinité de nombres premiers. Cette question fut aussi posée par Euclide. Sa manière d’y répondre est si ingénieuse et mathématiquement intuitive que cela vaut la peine de l’étudier en détail.
Partons d’une petite liste de nombres premiers consécutifs, par exemple : \[2,3,5.\]
À présent, faisons le produit de ces nombres entre eux : \[2 × 3 × 5 = 30.\]
Ajoutons une unité au résultat :
\[2 × 3 × 5 + 1 = 30 + 1 = 31.\]
Il est clair que la division de 31 par n’importe lequel des trois nombres premiers de la liste initiale 2, 3, 5 aura pour reste 1 : \[31/2 = 15\; \text{reste}\; 1 : 2 × 15 + 1 = 31 ; \] \[31/3 = 10 \;\text{reste}\; 1 : 3 × 10 + 1 = 31 ;\] \[31/5=6\; \text{reste}\; 1 : 5×6+1=31.\]
Cela garantit qu’il n’est divisible par aucun d’eux. Cela arrive tout le temps : si nous partons d’une liste de nombres premiers consécutifs, quand nous les multiplions entre eux et ajoutons une unité au résultat, le nombre obtenu n’est divisible par aucun de ceux de la liste. Ce petit détail a priori tout simple est le cœur même de la démonstration d’Euclide.
Le nombre 31 est un nombre premier qui ne se trouve pas dans la liste initiale ; en effet, elle n’était pas complète.
Prenons par exemple la liste suivante :
\[{2, 3, 5, 7, 11, 13.}\]
Faisons le produit de tous les nombres entre eux et ajoutons une unité :
\[2 × 3 × 5 × 7 × 11 × 13 + 1 = 30\,030 + 1 = 30\,031.\]
Ce dernier n’est pas un nombre premier car il peut s’exprimer comme le produit de deux nombres :
\[30\,031 = 59 × 509.\]
Euclide avait déjà démontré que tout nombre naturel pouvait se décomposer de manière unique comme un produit de facteurs premiers. Si nous appliquons ce résultat au nombre 30 031, qui est un nombre composé, il est clair qu’avec les nombres premiers de la liste ${2, 3, 5, 7}$ nous n’avons pas ce qu’il nous faut pour effectuer la décomposition en facteurs. Il manque donc dans cette liste des nombres premiers.
La conclusion est la suivante : aussi longue que soit la liste initiale de nombres premiers, en effectuant l’opération de multiplication entre eux et l’addition d’une unité, le résultat est un nouveau nombre qui correspond à l’une des deux situations suivantes :
- 1) Il s’agit d’un nombre premier qui n’était pas dans la liste.
- 2) Il s’agit d’un nombre composé et dans sa décomposition figurent des nombres premiers qui n’étaient pas dans la liste.
De telle sorte que la liste, à moins d’être infinie, est toujours incomplète. Malheureusement, cette méthode n’est pas une méthode pour obtenir des nombres premiers, bien qu’elle constitue un point de départ très important car elle délimite une dimension du problème et une perspective sans laquelle il serait impossible d’envisager la moindre stratégie. Nous pourrions penser qu’il n’est pas si important de démontrer qu’il existe une infinité de nombres premiers, car c’est une donnée intuitive. Mais il faut rester très prudent avec les nombres premiers : ils sont si « étranges » qu’il pourrait bien arriver un moment où ils disparaissent ! Le théorème d’Euclide nous garantit cependant que cela n’arrivera pas.
Pour aller plus loin
- Nombres premiers, encore et toujours ( piste verte).
- Problème « simple » cherche solution depuis 250 ans (actualité).
- La conjecture de Goldbach pour les nombres impairs (actualité).
- Idéalisme radicale (piste noire).
- Histoires de nombres premiers (piste noire).
Cet extrait a été choisi par le préfacier Serge Cantat. Celui-ci répondra aux éventuels commentaires.
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Pour citer cet article :
Enrique Gracián — «Les nombres premiers» — Images des Mathématiques, CNRS, 2019
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