Marches aléatoires et modèle de Lorentz : une approche de la théorie du chaos
Pista azul El 16 febrero 2011 Ver los comentarios (1)
On présente les marches aléatoires simples symétriques en dimensions 1 et 2, ainsi qu’un modèle proposé par Lorentz pour le mouvement des électrons dans les métaux (simplifié en billard de Sinai). Nous verrons l’analogie entre ces deux modèles (le premier étant purement aléatoire et le second purement déterministe mais avec un aléa dû à l’imprécision des mesures des conditions initiales). Cette analogie apparaît en regardant les deux questions suivantes : la récurrence et le comportement du nombre de sites visités avant l’instant n.
Je vais vous présenter deux modèles très classiques dans les domaines des probabilités et des systèmes dynamiques :
- les marches aléatoires (modèle probabiliste),
- un modèle de Lorentz ou billard de Sinai (modèle déterministe).
Mon but est de montrer les similitudes existant entre ces deux modèles et d’introduire ainsi d’une certaine manière la théorie du chaos.
En ce qui concerne les probabilités, nulle connaissance pointue n’est nécessaire pour comprendre ce qui suit. Je vous rappelle simplement qu’une probabilité mesure la chance qu’a un événement de se produire.
La probabilité qu’a un événement $A$ de se produire est un nombre $P(A)$ compris entre $0$ (=0%) et $1$ (=100%).
- $P(A)=0$ signifie que l’événement $A$ ne se produit (presque) jamais (un tel événement n’est jamais observé).
- $P(A)=1$ signifie que l’événement $A$ se produit (presque) toujours.
Le mot presque fait partie du vocabulaire probabiliste et peut être oublié.
Marche aléatoire en dimension 1
Considérons un marcheur aléatoire (dont les pas sont tous de même longueur) qui, avant chaque pas, tire à pile ou face si il va aller sur le site de gauche ou sur le site de droite.
$\quad$

Ce modèle est appelé marche aléatoire simple symétrique sur l’ensemble des entiers (en numérotant les sites par les entiers ...,-2,-1,0,1,2,...). De nombreux aspects de ce modèle ont été et sont encore étudiés. Je ne vais m’intéresser ici qu’à deux questions :
- la récurrence,
- le nombre $R_n$ de sites différents visités avant le $n$-ème pas.
Marche aléatoire en dimension 2
Considérons à présent un marcheur aléatoire qui peut se déplacer vers la gauche, vers la droite, vers le haut et vers le bas avec, à chaque pas, une chance sur quatre d’aller dans chacune de ces directions.

On peut encore se poser la question de la récurrence et s’intéresser au comportement du nombre $R_n$ de sites visités avant le $n$-ème pas.
Encore une fois, la propriété de récurrence est vérifiée mais le nombre de sites visités est plus grand : lorsque $n$ est grand, $R_n$ est de l’ordre de $n/ln(n)$, donc est un peu plus petit que $n$ (rappels sur la fonction $ln$ : [1]).
$\quad$
Les marches aléatoires sont également présentées sur wikipédia.
Modèle de Lorentz, billard de Sinai
En 1905, H. A. Lorentz modélisa les déplacements des électrons dans certains métaux en les considérant indépendants les uns des autres, les collisions des électrons avec les atomes métalliques (supposés fixes) étant prépondérantes
(référence recherche : [2]).
Simplifions ce modèle. Considérons que les atomes sont des disques répartis de manière périodique dans le plan :

Supposons que la configuration soit telle que toute droite rencontre forcément un atome (on parle d’horizon fini).
On considère une particule ponctuelle (représentant un électron) se déplaçant à 300 km/s.
On suppose que lorsqu’elle ne rencontre pas d’atome, la particule se déplace en ligne droite mais que, à l’instant où elle rencontre un atome, elle rebondit dessus suivant la loi classique (de Descartes) de la réflexion : angle incident=angle réfléchi.
Ce modèle étudié d’abord par Y. G. Sinai avec des résultats en 1970 est totalement déterministe : si on connaît la position et l’orientation de la particule à l’instant $0$, on peut calculer sa position et son orientation à tout instant $t$.
Mais, en pratique, on ne connaît la position et l’orientation à l’instant $0$ qu’avec une certaine précision (nous sommes limités par nos appareils de mesure).
On sait seulement que la particule part d’une petite région $B$ autour d’un point $X$, avec une orientation dans un petit domaine $C$ autour d’une orientation $V$.

L’imprécision sur les position et orientation initiales crée un aléa et avec ce petit aléa initial, ce système se comporte comme la marche aléatoire en dimension 2. La forme des obstacles joue un rôle dans ce comportement chaotique : deux particules peuvent partir avec des positions et orientations très proches et avoir des trajectoires s’éloignant beaucoup l’une de l’autre (on dit que ce système est hyperbolique).
Benoît Saussol, avec qui j’ai eu l’occasion de travailler sur le modèle de Lorentz, a réalisé des animations sur ce modèle.
Vous pouvez également consulter une page web sur laquelle je présente le modèle de Lorentz et le billard de Sinai d’une manière proche sans être identique au contenu de cet article.
L’étude du comportement chaotique de systèmes déterministes est un champ de recherche très actif à l’interface des systèmes dynamiques et des probabilités. L’étude du modèle de Lorentz se révèle vite difficile, de nombreuses questions sont encore ouvertes, notamment en dimension 3 (dans l’espace, avec des atomes sphériques) où des problèmes techniques plus complexes encore se posent.
La rédaction d’Images des maths, ainsi que l’auteur, remercient pour leur relecture attentive,
les relecteurs dont le pseudonyme est le suivant : Walter,
Caocoa, Claude Beffara et Sylvain Barré.
Notas
[1] la fonction $ln$ est une fonction croissante, $ln(n)$ tend vers l’infini quand $n$ tend vers l’infini, mais beaucoup plus lentement que toutes les fonctions de la forme $n^a$ avec $a>0$.
[2] H. A. Lorentz, The motion of electrons in metallic bodies, Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen (KNAW), proceeding of the section of sciences, vol 7, No. 2, p. 438-593 (1905).
[3] Ce résultat a été publié dans la revue «Discrete and Continuous Dynamical Systems». La preuve très technique suit la démarche de Dvoretzky et Erdös (pour les marches aléatoires) combinée à de fines estimations (théorème limite local précisé, propriété de décorrélation forte) obtenues notamment grâce à une construction de L.-S. Young. Vous pouvez regarder ma prépublication qui contient tous les détails mais a été rédigée pour être lue par des spécialistes.
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Para citar este artículo:
Françoise Pene — «Marches aléatoires et modèle de Lorentz : une approche de la théorie du chaos» — Images des Mathématiques, CNRS, 2011
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Marches aléatoires et modèle de Lorentz : une approche de la théorie du chaos
le 16 de febrero de 2011 à 07:56, par Aurélien Djament