Nombres transcendants et la diagonale de Cantor
El 15 octubre 2006 Ver los comentarios (3)
En revisitant de vieilles idées de Cantor, on découvre de nouveaux résultats concernant la construction des nombres transcendants. En particulier on montre comment «engendrer» tous les nombres transcendants de l’intervalle unité à partir de l’ensemble de tous les nombres algébriques de l’intervalle unité (théorème 4).
L’œil nu
Le but de cet article est double. D’abord présenter des mathématiques que j’espère simples mais belles,
ensuite montrer qu’il est possible d’écrire des articles de
recherche compréhensibles par des jeunes étudiants.
Le contenu de ce qu’on va lire est en effet extrait d’un récent papier que j’ai écrit conjointement avec S. Brlek, M. Robson et M. Rubey
Il vient de paraître dans la revue «L’Enseignement Mathématique» qui s’adresse à des chercheurs professionnels.
Le nom du journal est trompeur car il contient essentiellement des articles de recherche mathématique et qui - on peut le regretter - n’ont rien avoir avec l’enseignement !
Le savant Jean Rostand disait dans les années 60 qu’il y a encore matière à faire de la biologie à l’œil nu.
Je reprendrais volontiers cette philosophie à mon compte :
faire des maths à l’œil nu, c’est-à-dire sans nécessairement mettre en œuvre des outils mathématiques difficiles et sophistiqués.
Tout l’art est alors de découvrir des choses simples et cependant pertinentes.
Nombres algébriques, nombres transcendants
Un nombre $ \alpha$ est dit algèbrique de degré
$d\geq 1$
s’il existe un polynôme irréductible sur $Q$ à coefficients entiers.
\[
P(X)=a_{0}X^d + a_{1}X^{d-1} + \cdots+a_{d-1}X + a_{d}, \quad a_{0} \neq 0
\]
tel que $P(\alpha)=0$.
Ainsi par exemple
\[
-* 3, \, 5/2, \, \sqrt{10}, i, \sqrt[3]{2} + i\sqrt{7}
\]
sont algébriques de degrés respectifs $ 1, 1, 2 , 2, 6$.
L’ensemble des nombres algébriques forme un corps pour les opérations usuelles.
Un nombre qui n’est pas algébrique est dit transcendant. En existe t-il ?
Il a fallut attendre J. Liouville
qui au milieu du XIXème siècle a pu en exhiber.
En d’autres termes, un nombre algébrique irrationnel ne se laisse pas approcher de trop près par un nombre rationnel !
Vers le milieu du XXème siècle, K.F. Roth a considérablement amélioré le résultat de Liouville en établissant que
\[ \forall \varepsilon > 0 \quad
\exists\ c_1>0 \quad
| \alpha - \frac{p}{q} |
> \frac{c_1}{q^{2 + \varepsilon}} \cdot \]
Nous ne nous servirons pas de ceci.
Le théorème de Liouville suffit à établir l’existence de nombres transcendants comme on va le voir maintenant.
Ainsi en base $b$ (pensez $b=10$ par exemple) le nombre $\alpha$ ne contient que des $0$ et des $1$,
ces derniers n’apparaissant que de façon très lacunaire.
Cantor et la diagonale
Quelques décennies après Liouville, G. Cantor apporte une preuve très originale de l’existence de nombres transcendants.
Voici son argument.
Soit encore $b\geq2$ un entier fixé qui servira de base dans l’écriture des nombres réels et soit
$B= \{0, 1, \cdots, b-1 \}$ l’ensemble des chiffres.
Sur la première ligne d’un tableau infini on écrit le développement en base $b$ d’un nombre algébrique de l’intervalle unité $(0,1)$ :
\[
0, a_{11}\ a_{12}\ a_{13}\ \cdots\ a_{1n} \cdots
\]
Sur la deuxième ligne on écrit la développement d’un autre nombre algébrique de l’intervalle unité :
\[
0, a_{21}\ a_{22}\ a_{23}\ \cdots \ a_{2n} \cdots
\]
et ainsi de suite pour les lignes $3,4, \cdots$ jusqu’à ce qu’on ait épuisé l’ensemble (dénombrable)
des nombres algébriques de l’intervalle unité . On obtient ainsi le tableau
\[
\begin{pmatrix}
a_{11} & a_{12} & a_{13} & \cdots & a_{1n} & \cdots \\
a_{21} & a_{22} & a_{23} & \cdots & a_{2n} & \cdots \\
a_{31} & a_{32} & a_{33} & \cdots & a_{3n} & \cdots \\
a_{41} & a_{42} & a_{43} & \cdots & a_{4n} & \cdots \\
\vdots & \vdots &\vdots &\vdots &\vdots &\vdots \\
\vdots & \vdots &\vdots &\vdots &\vdots &\vdots \\
\end{pmatrix}
\]
où
$a_{ij}\in B$.
Si un nombre rationnel admet deux développements différents, chacun occupera une ligne distincte.
Ainsi par exemple $1/b$ s’écrit
\[
0, \, 1 \, 0 \, 0 \cdots
\]
et
\[
0, \, 0 \ \ b-1 \ \ b-1\cdots
\]
Ces deux développements devront apparaître dans le tableau.
Cantor raisonne alors ainsi.
Considérons la diagonale
$a_{11}\ a_{22}\ a_{33} \cdots$
qu’on perturbe de la façon suivante.
On choisit un chiffre
$b_1 \neq a_{11}$,
puis
$b_2 \neq a_{22}, \cdots, b_n \neq a_{nn}, \cdots$
Le nombre
$0,b_1 b_2 \cdots b_n \cdots $ est transcendant.
En effet, s’il était algébrique, il se trouverait sur une ligne du tableau, disons au rang $i$. Alors
\[0, \, b_1\, b_2\, b_3 \cdots \quad =
0, a_{i1} \, a_{i2}\, a_{i3} \cdots\]
et en particulier $b_i = a_{ii}$
ce qui contredit l’hypothèse
$b_n \neq a_{nn}$
pour tout $n$.
En fait nous allons voir que sans perturbation, la diagonale
$0, a_{11}\, a_{22}\, a_{33 } \cdots$
est un nombre transcendant.
On peut apporter une précision à ce dernier théorème.
En base $b=2$ le théorème 3 est une conséquence triviale du théorème 2
puisqu’un nombre transcendant doit contenir une infinité de 0 et de 1.
Supposons maintenant qu’on permute les lignes d’un tableau de Cantor de toutes les façons possibles.
Les diagonales des nouveaux tableaux sont alors toutes transcendantes et constituent un ensemble
$T(b)$, sous-ensemble de l’ensemble $T$ de tous les nombres
transcendants de l’intervalle unité. Le théorème 3 et le
corrollaire de Liouville montrent que pour $b\geq 3,\quad T(b)\neq T$.
Que dire de $T(2)$ ?
Ce résultat est essentiellement dû à R. Gray dont les définitions différent des nôtres.
Pour lui, une diagonale est toujours perturbée.
Mais en base 2 une diagonale perturbée et une diagonale non perturbée ne diffèrent pas essentiellement :
substituer le chiffre $0$ au chiffre $1$ est réciproquement. Convenablement amendée, voici la preuve de Gray adaptée à notre théorème.
Victor Kleptsyn remarque qu’en s’inspirant du résultat initial de R. Gray on peut établir le théorème qu’on reproduit ci-dessous sans preuve.
Le lecteur attentif aura sans doute observé qu’on peut modifier les
théorèmes 2, 3, 4, 5 en considérant des tableaux où les lignes
sont les nombres algébriques de degré $\leq d$.
Les diagonales sont alors soit transcendantes soit algébriques de degré $>d$.
Bien entendu, d’autres extensions sont possibles !
Conclusion
Depuis la fin du XIXème siècle, la théorie des nombres transcendants s’est énormément développée.
Ch. Hermite et F. Lindemann ont respectivement établi la transcendance de $e$ et $\pi$.
Plus tard, on montrait celle de
$\log \alpha(\alpha$, algébrique $\neq 0\, \rm{ou}\, 1 )$,
$e^\alpha (\alpha$, algébrique $\neq 0)$,
$\alpha^\beta(\alpha$,algébrique $\neq 0\, \rm{ou}\, 1 , \beta$
algébrique irrationnel ).
Ces derniers résultats sont dus à A. O. Gelfond et T. Schneider dans les années 30.
Remarquer que $e^\pi$ est transcendant puisque
$e^\pi=i^{-2i}\cdots$
La théorie est aujourd’hui très fleurissante grâce aux travaux tous très profonds de nombreux mathématiciens dont
A. Baker, W.D. Brownawell, S. Lang, K. Mahler, D. Masser, K.F. Roth, W. Schmidt, M. Waldschmidt, et de bien d’autres.
La théorie de l’approximation diophantienne (mesure de la distance entre nombres irrationnels et nombres rationnels) inaugurée
par Liouville reste très à la mode.
Elle trouve des applications inattendues en mécanique et en physique. La stabilité du système solaire en dépendrait !
Références
S. Brlek, M. Mendès France, M. Robson, M. Rubey,
Cantorian tableaux and permanents ; L’Enseignement Mathématique, 50, 2004, 287—304.
G. Cantor, Über eine elementare Frage der Mannigfaltigkeitslehre ; Jahresbericht der Deutschen Math. Vereinigung 1, 1891, 75—78.
R. Gray, Georg Cantor and Transcendental Numbers ; Amer. Math. Monthly, 101, 1994, 819—832.
J. Liouville, Sur des classes très étendues de quantités dont la valeur n’est ni algébrique,ni même réductible à des irrationnelles algébriques ; CRAS, 18, 1844, 883—885, 910—911.
Merci à T. Rivoal pour m’avoir signalé l’article de R. Gray.
Comparte este artículo
Para citar este artículo:
Mendès France, Michel — «Nombres transcendants et la diagonale de Cantor» — Images des Mathématiques, CNRS, 2006
Comentario sobre el artículo
Voir tous les messages - Retourner à l'article
Nombres transcendants et la diagonale de Cantor
le 19 de marzo de 2011 à 20:19, par frederic rolland