Papillons
Piste verte Le 2 août 2011 Voir les commentaires (2)Lire l'article en


C’est l’été, les papillons battent des ailes, voltigent de fleur en fleur. Pas mal de papillons battent des ailes dans les mathématiques et voltigent de lemme en problème.
C’est l’été, les papillons battent des ailes, voltigent de fleur en fleur. Pas mal de papillons battent des ailes dans les mathématiques et voltigent de lemme en problème.
Portrait de ces lépidoptères familiers des mathématiques et des mathématiciens.
Cahier de vacances
Ces êtres légers et populaires sont instrumentalisés dans des sujets d’exercices pour élèves d’écoles élémentaires, comme celui-ci :
Deux papillons butinent vingt fleurs en deux minutes, combien de fleurs trois papillons butinent-ils en trois minutes [1] ?
Le « théorème du papillon » (cahier de brouillons)
Ce papillon-là a déjà été évoqué dans ce portrait. Je vous livre ici un scoop authentique : une photographie du cahier de brouillons d’un·e mathématicien·ne qui s’apprête à chercher le problème [2]. C’est un problème de géométrie « élémentaire » (au sens où son énoncé ne fait intervenir que des notions élémentaires — c’est déjà la troisième fois que j’utilise le mot « élémentaire » dans cet article...). Le voici (voir la figure) : AB est une corde d’un cercle et M est le milieu de AB. On trace deux autres cordes PQ et RS passant par M. Les droites PR et QS coupent AB en C et D. Le théorème affirme (et c’est ce qu’il faut démontrer) que M est le milieu de CD.
Je vous propose d’essayer un peu... juste pour vous rendre compte que ce n’est pas si facile que ça en a l’air [3].
Des équations
On trouve même ici ou là la « formule » du papillon. À celles et ceux qui aiment les formules, je dédie celles-ci
\[x(t)=\sin 5t\cos t\qquad y(t)=\sin 5t\cos 4t\]
qui décrivent une courbe qui ressemble, si on a un peu d’imagination, à un papillon. Et aussi un peu à la figure ci-contre, que j’ai tracée à main levée (parce que ceci permet de tricher pour accentuer tel ou tel aspect que l’on trouve important)... sur mon ordinateur.
Le lemme du papillon de Zassenhaus
Un théorème d’algèbre porte aussi le nom de papillon, précisément, de « lemme du papillon de Zassenhaus [4] ».
Je vous assure que l’on peut apprécier la beauté d’une formule, d’un diagramme, sans en comprendre tous les détails. Ce lemme-là est un bel exemple de ce fait-ci [5]. Il y a des objets appelés A, B, C, D, et leurs relations sont décrites par le beau diagramme :
Évidemment, on peut l’énoncer avec des mots, A et C sont des sous-groupes de G, B est un sous-groupe distingué de A et D de C, alors... bon j’arrête.
La vedette
De tous les papillons mathématiques, le plus médiatisé est celui qui illustre le fait qu’une petite cause (le battement d’ailes, ici, de notre lépidoptère) peut produire de grands effets (une tornade, loin). Le titre célèbre d’une conférence de Lorenz en 1973 était :
Le battement des ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer un ouragan au Texas ?
Je renvoie les lecteurs à l’article d’Étienne Ghys consacré au célèbre « effet papillon » de Lorenz. Il y explique comment une toute petite modification des « conditions initiales » (comme le délicat battement d’ailes de notre papillon) peut entraîner des conséquences aussi énormes que tornades ou ouragans. Il illustre cette explication par une belle image, que je reproduis ici sans y toucher...
...et dont l’étrange ressemblance avec un papillon n’aura échappé à personne...
Un dernier commentaire : ce battement d’ailes a été tellement médiatisé qu’il est cité et évoqué à tort et à travers, comme le signale Fred Vargas dans son dernier livre [6] : un des personnages parle d’un battement d’ailes à New York qui provoquerait une explosion à Bangkok, il est rappelé à l’ordre :
— C’est au Brésil que le papillon bat de l’aile, et c’est au Texas qu’a lieu la tornade.— Cela change quelque chose, Danglard ?
— Oui. À force de s’éloigner des mots, les théories les plus pures tournent aux racontars. Et l’on ne sait plus rien. D’approximation en inexactitude, la vérité se dissout et la place est faite à l’obscurantisme.
Le logo de l’article
Après tous ces papillons rouges, venons-en au papillon bleu qui sert de logo à cet article. C’est peut-être le plus mathématicien de tous les papillons.
Ce logo est, en effet, aussi celui du Centre de mathématiques Laurent Schwartz de l’École polytechnique [7]. Ce centre de mathématiques a été créé par le mathématicien Laurent Schwartz (1915—2002).
Certains mathématiciens ont des violons d’Ingres, qui sont d’ailleurs assez souvent des violons ou d’autres instruments de musique, mais qui peuvent être plus variés.
Par exemple, les papillons. La chasse aux papillons et leur collection ont tenu une grande place parmi les nombreuses activités de Laurent Schwartz [8]. Il les a pratiquées de façon aussi professionnelle que les mathématiques. Il a d’ailleurs chassé les papillons partout où il a fait des mathématiques — ce qui inclut un certain nombre de papillons brésiliens...
Je me souviens, lorsque j’étais étudiante, des fascicules du séminaire Goulaouic-Schwartz, à l’École polytechnique, dont la couverture s’ornait, à chaque séance, d’un nouveau papillon. Ce séminaire s’appelle aujourd’hui Séminaire Laurent Schwartz — EDP et applications, n’hésitez pas à cliquer sur ces mots rouges !
Bon, assez papillonné, au travail maintenant !
La photographie de Laurent Schwartz est due à Philippe Lavialle, elle appartient à l’École Polytechnique, et elle se trouve ici.
Les relecteurs dont les noms ou pseudonymes sont Jacques Lafontaine, case, Ilies Zidane, Marie Lhuissier, ont contribué à améliorer cet article, nous les en remercions.
Notes
[1] Non, la bonne réponse n’est pas « trente ». Une question intermédiaire : combien un papillon butine-t-il de fleurs en une minute ? Un raisonnement bien simple, mais probablement pas à la portée de tous nos politiques, si j’en crois les informations contenues dans ce billet.
[2] La façon dont a été dessinée cette figure (sur une page de cahier de brouillons, avec un compas, une règle, des stylos de couleurs différentes), est destinée à souligner le rôle des figures : une figure comme celle-ci est une figure sur laquelle on peut réfléchir, on peut y ajouter des égalités d’angles, remarquer des triangles semblables, chercher, griffonner, penser, essayer autre chose... une activité mathématique à laquelle n’incite pas forcément une figure léchée, réalisée par un logiciel graphique (qui eût été beaucoup plus facile à faire et à insérer dans cet article que celle que j’ai pris la peine de faire).
[3] La « bonne » démonstration — les lecteurs d’Images des mathématiques ont compris qu’il s’agit d’une notion très subjective — ma démonstration préférée — se fait sans aucun calcul... dès que l’on est assez « savant » pour considérer toutes les coniques passant par les quatre points P, Q, R et S.
On dit que cet exercice a été utilisé, il y a déjà longtemps, lors des examens d’entrée à l’université de Moscou, pour éliminer des candidats indésirables... pour d’autres raisons que mathématiques. J’ai lu l’information que cette question avait été posée à des candidats juifs dans le livre You failed your math test, Comrade Einstein, de M. Shifman — mais je ne sais pas si elle était posée à d’autres. Ceci nous rappelle que les mathématiques ne sont ni neutres ni objectives, elles font partie de la culture et de la société. Elles sont ce que nous en faisons.
[4] Du nom de l’algébriste allemand, Hans Zassenhaus (1912-1991).
[5] C’est d’ailleurs parce que j’avais dessiné cette figure que j’ai eu l’idée d’écrire ce portrait, autour d’elle.
[6] Un conseil de lecture pour ces vacances, aux lecteurs qui ignoreraient les romans « policiers » de Fred Vargas (les autres auront déjà lu le livre, qui s’appelle L’Armée furieuse et est édité par Viviane Hamy).
Une autre lecture, mais en ligne celle-là et peu adaptée aux plages de sable, mais une lecture de vacances quand même, le Regard d’Ariane, roman dans lequel il y a aussi un papillon.
[7] Allez donc regarder le bandeau du site ouèbe de cette équipe !
[8] Outre son livre de mémoires, Un mathématicien aux prises avec le siècle, paru aux Éditions Odile Jacob en 1997, signalons la parution prochaine, dans la série Documents mathématiques de la Société mathématique de France, des trois volumes de ses Œuvres.
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Pour citer cet article :
Michèle Audin — «Papillons» — Images des Mathématiques, CNRS, 2011
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