Rediffusion d’un article publié le 28 octobre 2014
Partage d’un polygone
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[Rediffusion d’un article publié le 28 octobre 2014]
Soient $\frak{P}$ un polygone et $M$ un point sur l’un de ses côtés.
Construire géométriquement un point $N$ sur un autre côté de $\frak{P}$ tel que le segment $[MN]$ partage $\frak{P}$ en deux parties d’aires égales.
(On dira parties égales pour simplifier). C’est ce que nous nous proposons d’exposer dans cet article.
Avant le travail mathématique proprement dit, nous donnons quelques motivations qui nous ont amenés
à traiter ce problème en formation continue et en classe avec des élèves de lycées et collèges. Ce sont des activités que nous
menons en tant qu’enseignants-chercheurs et Mathématiciens en résidence
à la Cité des Géométries - Gare Numérique de Jeumont.Ce thème a fait l’objet de séances de travail dans
différents établissements du Nord : dans le cadre d’une formation destinée aux enseignants de mathématiques
du Collège Vauban à Maubeuge ; sous forme d’ateliers au Collège Jacques Brel à Louvroil, à des élèves de seconde mais aussi pendant
la semaine des mathématiques à l’Université de Valenciennes,
celle de l’IUT de Maubeuge, au Lycée Kernanec de Marcq en Baroeul...
Dans le cadre de la formation susmentionnée, le but était d’approcher
la notion d’aire et, éventuellement, pousser les enseignants à découvrir par ce biais un champ
d’investigation prolifique : le partage des figures planes en deux ou plusieurs parties égales, historiquement
d’un grand intérêt pour ses applications en mathématiques et dans la vie quotidienne.
Le premier exemple qui vient à l’esprit est celui du triangle. La médiane donne la solution lorsque
le point $M$ est l’un des sommets et reste une clé décisive lorsqu’il ne l’est plus.
La question du partage se pose naturellement aussi pour
un polygone quelconque.
Dans le cas particulier des quadrilatères, ce genre de questionnement est bien connu pour les carrés, les rectangles et les losanges : diagonales, axes de symétrie, droites passant par un centre de symétrie.
C’est cette idée, consistant à éveiller la curiosité par le biais de questions simples, qui nous semble encore trop manquer dans
un enseignement des mathématiques davantage libre de contraintes. Donner cette liberté
de questionnement à soi-même, aux enseignants pour l’offrir aussi aux élèves peut être un point
central dans la formation des enseignants. Ceci a l’avantage de valoriser l’aspect vivant des
mathématiques, son aspect recherche, les volets de l’imagination, de la prise d’initiative
et du cadrage des idées par la rigueur, aspects devenus désormais obsolètes en mathématiques au
cours de ces dernières années [1]. Un enseignant qui n’est pas libre de penser
ne peut pas former des élèves libres de penser, des élèves que tout le monde rêve d’avoir en classe :
prêts éventuellement à dépasser le maître et non pas lui rester soumis, prêts à
rentrer dans la société civile avec un esprit critique et constructif à la fois.
Quant aux ateliers, leur but a été de captiver des élèves qui ne sont pas forcément motivés par
les mathématiques, grâce à une activité d’aspect peut-être ludique mais de recherche. Sur le problème
du partage d’un triangle ou d’un quadrilatère en deux parties égales, les élèves ont compris
ce que signifie « chercher en maths ». Ils se sont pris au jeu des idées échangées, notamment de la
part de ceux qui ne sont pas forcément brillants ou habituellement peu ou pas dynamiques
en classe. Ils ont réellement pris le temps de faire des dessins, de formuler des idées et
certains d’entre eux sont même arrivés à la solution souhaitée.
Voir les élèves prendre le temps de dessiner et formuler des idées, c’est ce que nous avons trouvé
à plusieurs reprises le plus passionnant lors de nos interventions dans les classes de notre région [2].
D’ailleurs, quel sens a une étude sur les questions posées par l’enseignement si elle ne teste pas dans les classes
les réponses qu’elle est censée apporter ? Sans y voir une nette amélioration
de l’intérêt de nos jeunes pour les mathématiques ?
Peut-on parler d’une étude sur l’acquisition des connaissances sans créer cet espace pour échanger,
écouter et comprendre comment elles ont été acquises par nous-mêmes d’abord et par les
jeunes ensuite ? Rester dans la théorie pédagogique ou didactique et aborder ces questions sans expérimentation
(dans les classes) risque alors d’être totalement
inutile !
Dans le cas du partage des triangles nous avons mis tout de suite en avant la question de
l’existence d’une droite qui puisse réaliser le bon partage. Dans un triangle $ABC$ nous avons
pris une droite passant par le sommet $A$ et nous l’avons fait pivoter (cf. Figure 1)
autour de $A$. Aisément, les élèves ont vu qu’elle partage le triangle en
deux parties (pas tout le temps, mais ces situations ne nous intéressent pas dans le contexte de l’étude ; il peut être intéressant de le faire remarquer par les élèves eux-mêmes, cela participera à donner un sens à cet « espace de liberté » présent dans tout questionnement mathématique) : apparemment une d’aire inférieure à celle de l’autre.
\[\small{\mbox{Figure 1}}\]
\[\small{\mbox{En foncé, lieux des droites passant par A ne rencontrant pas le triangle.}}\]
Ils ont alors bien vu qu’en poursuivant le mouvement, il va exister nécessairement une position dans laquelle les deux parties vont être égales.
Ils sont arrivés à la même conclusion en partant d’un point quelconque qui n’est plus un sommet.
Ceci offre l’occasion de parler, d’une façon intuitive certes, de la notion de continuité. D’ailleurs, comme il arrive souvent en géométrie, de nombreuses occasions se présentent pour anticiper cette même notion enseignée sans grande motivation. La preuve en est que, même en première année d’université, la notion de fonction continue sur un intervalle reste abstraite et surtout incomprise ainsi que beaucoup d’autres résultats qui l’entourent comme par exemple le « théorème des valeurs intermédiaires » pour ne citer que cela !
Toutefois, puisque c’est ce que nous, les enseignants,
pensons dans des situations de ce genre, il peut être instructif de partager nos idées avec les
élèves, en prenant certes les précautions qui s’imposent. Une fois que la classe a été assurée de l’existence
de cette droite et a compris à peu près où elle se trouve, la recherche de
sa détermination exacte a été lancée. Là, les jeunes pouvaient proposer leurs conjectures en
essayant de les justifier. Il a fallu alors vérifier s’ils maîtrisent
bien des théorèmes autres que celui de la médiane cité plus haut. En effet, dans ce problème, comme dans
celui concernant le quadrilatère, il a fallu se rappeler que deux triangles (cf. Figure 2) $ABC$ et $A'BC$
ayant la même base $BC$ et la même hauteur (par exemple lorsque les sommets $A$ et $A'$ sont situés sur une même
droite parallèle à $BC$) ont la même aire.
\[\small{\hbox{Figure 2}}\]
D’où la mémoire des résultats, autre sujet qui nous a intrigués
lors de nos investigations car on ne lui donne pas assez d’importance. L’utilisation fréquente des résultats fait partie d’une bonne approche de l’enseignement des mathématiques et de leur apprentissage. Nous pensons que cette place de la mémoire est très importante pour justifier aux yeux des élèves pourquoi il est indispensable de pratiquer constamment l’utilisation des théorèmes, leurs démonstrations, leurs applications...
Enfin, pour conter les mathématiques dans un cadre tel que celui des ateliers, il est toujours agréable de le faire en y mettant un peu d’humour, de commencer par un grand sourire, « faire des maths est un plaisir » en quelque sorte. C’est pourquoi nos séances de travail sur le partage géométrique commencent toujours par la petite histoire qui suit et dont nous conseillons la lecture !
Mère Babette avait l’habitude de préparer chaque dimanche un délicieux gâteau pour ses deux enfants. Celui-ci avait toujours
une forme régulière : celle d’un cercle, d’un carré ou d’un rectangle. Le partager en deux parts égales
d’un seul coup de couteau (règle qu’elle s’était toujours imposée)
n’était pas une tâche difficile. Fatiguée par les formes qu’elle voyait dans tous les coins de sa vieille demeure,
elle décida un beau jour d’être un peu fantaisiste : son
gâteau aura une forme polygonale ! Allons-y, se dit-elle. C’est alors qu’elle réalisa que sa décision était irréfléchie à savoir donner un unique coup de couteau
pour offrir une moitié de gâteau à chacun de ses deux bambins.
Quelle galère ! Fort heureusement, Mère Babette ne recule devant rien et se résout à apprendre ce
qu’il faut pour s’en sortir : de la géométrie. Écoutons-la, c’est elle qui parle, et elle va nous en faire voir
des vertes et des pas mûres !
Évidemment, les élèves se posent la question : est-ce un vrai problème ?
Bien sûr que non : dans la vie courante, nous nous contentons de l’à peu près, sans
jamais vérifier si c’est conforme à une théorie. Ce débat a son intérêt propre ; en effet, il permet de voir
la différence entre les besoins du réel et les raisons d’une modélisation des problèmes. Il est clair que dans
le partage d’un gâteau l’à peu près
nous suffit largement !
0. Le problème général
Soit ${\frak{P}}=A_1\cdots A_n$ un polygone à $n\geq 3$ côtés.
Construire un segment $\Delta $ partageant $\frak{P}$
en deux polygones $\frak{P}_1$ et $\frak{P}_2$ ayant même aire.
Une question préliminaire se pose : un tel segment $\Delta $ existe-t-il ? La réponse est oui !
En effet, un argument de continuité combiné au théorème des valeurs intermédiaires permet de montrer les deux assertions qui suivent :
i) Pour toute droite vectorielle fixe $\overrightarrow \Delta $, il existe un segment $\Delta $ de direction $\overrightarrow \Delta $ répondant à la question.
ii) Par tout point non intérieur au quadrilatère $ABCD$ passe une droite qui coupe le polygone en un segment
$\Delta $ répondant à la question.
1. Cas du triangle
1.1. Problème. Soient $ABC$ un triangle d’aire ${\cal A} >0$ et $\lambda \in [0,1]$. On se donne un point $M$ sur le côté $AB$.
Construire un segment $\Delta $ passant par $M$ et partageant le triangle $ABC$ soit en deux triangles, soit en un triangle et un quadrilatère
de telle sorte que l’aire de l’une des deux figures obtenues soit gale à $\lambda {\cal A}$.
Pour les constructions que nous allons réaliser, nous supposons bien entendu que le nombre $\lambda $ est constructible à la règle et au compas ou tout
simplement qu’un segment de longueur $\lambda $ est donné.
1.2. Solution
$\bullet $ On peut se contenter de prendre $0\leq \lambda \leq {1\over 2}$. Construire le segment $\Delta $ revient à construire
un autre point $N$ sur le triangle $ABC$. Notons $J$ le milieu de $[AB]$ ; alors le segment $[JC]$ est solution du problème pour $\lambda ={1\over 2}$.$\bullet $ On prend $M$ sur le segment $[AJ]$. Comme $0\leq \lambda \leq {1\over 2}$, le point $N$ ne peut se trouver que sur le côté $BC$
si on veut par exemple que la figure que l’on cherche soit le triangle $BMN$.
L’aire du triangle $BMN$ doit être $\lambda $ fois celle de $ABC$ ; par suite ${1\over 2}BN\cdot MM_0={\lambda \over 2}BC\cdot AA_0$
où $ A_0$ et $M_0$ sont les projections orthogonales respectives des points $A$ et $M$ sur le segment $BC$. Il s’agit alors de construire le point
$N$ sur la droite $(BC)$ tel que ${{BN}\over {BC}}={{\lambda \cdot AA_0}\over {MM_0}}$.$\bullet $ Sur une demi-droite d’origine $B$ (par exemple perpendiculaire à $(BC)$, on prend les points $\alpha $ et $\beta $ tels que
$B\alpha =\lambda \cdot AA_0$ et $B\beta =MM_0$. La parallèle à $(\beta C)$ passant par $\alpha $ coupe le côté $BC$ en le point $N$ cherché.$\bullet $ Si $M$ est sur le segment $[JB]$, on raisonne comme précédemment en faisant jouer au sommet $B$ le rôle de $A$ et au côté $AC$ celui
de $BC$.
\[\small{\mbox{Figure 3}}\]
1.2. Autre solution
On va maintenant étudier autrement le cas particulier $\lambda=1/2$.
On peut procéder d’une façon plus intuitive pour mener le débat en classe de manière moins formelle. Soit $J$ le milieu du segment $AB$. Il est déjà intéressant de faire remarquer qu’il y a 3 positions du point $M\in[AB]$ pour lesquelles la solution du problème cherché est immédiate. Il s’agit des cas suivants $M=A$, $M=J$ et $M=B$. Dans chacun de ces trois cas, en appliquant judicieusement le théorème de la médiane, on arrive facilement à couper le triangle en deux parties égales. Ceci dit, ce qui est facile pour un enseignant de constater ne l’est pas pour un élève quelconque. L’idée de faire dire aux élèves que les cas cités sont faciles à traiter (une fois la solution comprise) participe à cette éducation des jeunes au regard géométrique sur lequel nous travaillons depuis plusieurs années [3].
\[\small{\mbox{Figure 4}}\]
Supposons donc $M$ sur le segment $[AJ]$ et différent de $A$ et $J$. Il est clair (mais cette affirmation est laissée aux jeunes) que $N$ ne peut pas être sur le segment $[AC]$ car l’aire du triangle $AMN$ est « visiblement » (Ah, le regard) plus petite que celle du quadrilatère $MBCN$. La nature du problème impose le « dépassement » du point $C$ et invite à se poser à nouveau la question : où peut bien se trouver le point $N$ ?
\[\small{\mbox{Figure 5}}\]
Traçons la médiane $JC$ (sans ce coup de pouce, il est difficile d’avancer, mais dans un atelier de recherche ou Maths.en.JEANS nous pouvons laisser les élèves en prendre l’initiative). Soit $K$ le point d’intersection de $MN$ avec $JC$. Nous savons que $\hbox{Aire}(AJC)=\hbox{Aire}(BJC)$. Dans la coupe actuelle, le triangle $BJC$ « perd » le morceau (un triangle) $KNC$ et « gagne » le morceau (un triangle) $MJK$.
\[\small{\mbox{Figure 6}}\]
Par conséquent, si nous nous arrangeons pour que $\hbox{Aire}(MJK)=\hbox{Aire}(KNC)$, perte et gain se compenseront.
\[\hbox{Aire}(BMN)=\hbox{Aire}(BJC)+\hbox{Aire}(MJK)-\hbox{Aire}(KNC)\]
\[=\hbox{Aire}(AJC)+\hbox{Aire}(KNC)-\hbox{Aire}(MJK)
=\hbox{Aire}(AMNC)\]
Comment faire en sorte que $\hbox{Aire}(MJK)=\hbox{Aire}(KNC)$ ? Revenons à la configuration de la figure vue précédemment.
\[\small{\mbox{Figure 7}}\]
Dans ce cas, nous savons que $\hbox{Aire}(ABC)=\hbox{Aire}(A'BC)$. De cette égalité, en soustrayant l’aire du triangle $BPC$ commun aux deux triangles $ABC$ et $A'BC$, nous en déduisons une autre égalité tout aussi intéressante (au moins pour notre propos !) : $\hbox{Aire}(ABP)=\hbox{Aire}(A'CP)$.
A notre avis, ce genre de considération, presque issue du bon sens, du regard, d’une pratique quotidienne, mériterait de garder une bonne place dans l’enseignement. Ce que l’on peut tirer de la discussion précédente est que si l’on trace la parallèle à $MC$ passant par $J$ et on note $N$ l’intersection entre cette parallèle et le segment $[BC]$, les deux triangles $MCN$ et $MCJ$ ont même aire mais on a également $\hbox{Aire}(KNC)=\hbox{Aire}(MJK)$ !
\[\small{\mbox{Figure 8}}\]
Il suffit de voir l’expression de joie des jeunes élèves pour se convaincre du plaisir qu’ils éprouvent à leur tour en découvrant les petits trésors cachés d’une configuration !
2. Cas du quadrilatère
2.1. Problème. Soit $ABCD$ un quadrilatère. Construire géométriquement un segment $\Delta $
le partageant en deux polygones ayant la même aire.
\[\small{\mbox{Figure 9}}\]
2.2. Solution
Notons $A_1$ et $C_1$ les projections
orthogonales sur le segment $[BD]$ respectivement des points $A$ et $C$ et posons $\ell =BD$, $h=AA_1$ et $k=CC_1$.$\bullet $ Si $h=k$, on a $\hbox{Aire}(BAD)=\hbox{Aire}(BCD)$ ; le quadrilatère $ABCD$ est donc partagé en deux
triangles de même aire par la diagonale
$BD$. On choisit alors $\Delta =[BD]$.$\bullet $ Si $h\neq k$, on suppose pour fixer les idées que $h>k$.
Sur le segment $[AA_1]$ on repère le point $A'$ tel que $AA'=k$. Par le milieu $J$ du segment
$[A'A_1]$ on mène la parallèle à la droite $(BD)$ ; celle-ci coupe le segment $[AD]$ en un point $E$
et le segment $[AB]$ en un point $F$. Alors les deux segments $[BE]$ et $[DF]$ répondent à la question.
Montrons cela pour $(BE)$ par exemple. On a :
\[\eqalign{\hbox{Aire}(ABE)&=\hbox{Aire}(ABD)-\hbox{Aire}(BDE)\cr &={1\over 2}\ell \cdot h-{1\over 2}\ell \cdot {{h-k}\over 2}\cr &={1\over 2}\ell \cdot k+{1\over 2}\ell \cdot {{h-k}\over 2}\cr &=\hbox{Aire}(BCD)+\hbox{Aire}(BDE)\cr &=\hbox{Aire}(BCDE)\cr &={{\hbox{Aire}(ABCD)}\over 2}.} \]
\[\small{\mbox{Figure 10}}\]
On peut faire le même type de raisonnement en prenant la diagonale $AC$. On trouve deux autres solutions.
Donc, à partir de chaque sommet du quadrilatère passe une droite qui le partage en deux parties ayant la même aire.
2.3. Construction rapide
Les distances respectives des points $A$ et $C$ au segment $[EF]$ sont toutes deux égales à ${{h+k}\over 2}$. Soient $J$ et $K$ les projections orthogonales respectives des points $A$ et $C$ sur $[EF]$. Les segments $[AJ]$ et $[CK]$ sont égaux ; comme en plus ils sont parallèles, puisque perpendiculaires tous les deux au segment $[EF]$, le quadrilatère $AJCK$ est un parallélogramme, donc ses diagonales se coupent en leur milieu $\omega $. Cette remarque justifie la
construction directe qui suit des points $E$ et $F$.On suppose toujours $h>k$ pour raisonner sur la Figure 6. Par le milieu $\omega $ de la diagonale $[AC]$ on mène la parallèle à la diagonale $[BD]$. Celle-ci coupe le segment $[DA]$ en $E$ et le segment $[AB]$ en $F$. Chacun des segments $[BE]$ et $[DF]$ partage alors le quadrilatère $ABCD$ en deux quadrilatères convexes $ABEE$ et $BCDE$ ayant la même aire. En échangeant les rôles des diagonales, on obtient
deux autres solutions.
\[\small{\mbox{Figure 11}}\]
2.4. On ne part plus d’un sommet
Supposons maintenant qu’on impose au segment $\Delta $ de passer par un point $M$ qui n’est pas un sommet, par exemple $M$
est sur le segment ouvert $]BC[$. Soit $CC'$ le segment (partant du sommet $C$) partageant $ABCD$ en deux parties de même aire.
Par $C$ menons la parallèle à la droite $MC'$ ; celle-ci coupe le côté $AD$ en un point $C_1$. Alors le segment
$[MC_1]$ partage le quadrilatère $ABCD$ en deux parties de même aire.
\[\small{\mbox{Figure 12}}\]
2.4. Autre solution
En fait, la découverte de ce problème fut la première, même avant celle du partage du triangle en parties égales. Beaucoup d’universitaires avaient séché, ce qui rendait le problème encore plus intrigant !
Au début, la question était de savoir comment mener un segment par un sommet du quadrilatère $ABCD$ pour le couper en deux parties égales. On trouve ce genre de questions dans tout bon vieux livre de géométrie [4].
Fixons par exemple notre attention sur la figure ci-dessous.
\[\small{\mbox{Figure 13}}\]
Comment tracer $AE$ pour que $\hbox{Aire}(ABCE)=\hbox{Aire}(AED)$ ? Le problème de l’existence d’un tel segment par des arguments de continuité a déjà été discuté et nous n’y reviendrons pas. L’idéal serait de... Mais voilà qu’on sèche, on chercher, on se retourne dans le lit pendant le sommeil puis, un jour, on se souvient qu’un quadrilatère (tout polygone en effet) peut se transformer en un triangle de même aire. Voyons comment. On trace la diagonale $AC$ puis on prolonge $CD$ du côté de $C$ et on trac la parallèle à $AC$ issue de $B$. Soit $E$ le point d’intersection entre cette parallèle et la droite $CD$ et traçons $AE$.
\[\small{\mbox{Figure 14}}\]
Notons $F$ le point d’intersection entre $AE$ et $BC$. Par construction, on a : $\hbox{Aire}(AEC)=\hbox{Aire}(ABC)$ d’où (nous avons déjà utilisé cette remarque) $\hbox{Aire}(EFC)=\hbox{Aire}(ABF)$ et, par conséquent, $\hbox{Aire}(ABCD)=\hbox{Aire}(AED)$. C’est ce que nous cherchions à monter.
Maintenant, il suffit de tracer la médiane $AN$ du triangle $AED$ issue de $A$ et notre quadrilatère $ABCD$ sera partagé en deux parties $ABCN$ et $AND$ de même aire !
\[\small{\mbox{Figure 15}}\]
Quelle surprise et quel bonheur de pouvoir expliquer aux jeunes la démarche suivante dans le processus de créativité lorsque se présenta le même problème mais en imposant un point $M$ quelconque du périmètre de $ABCD$. Dans ce cas, on essaie d’investir l’idée précédente, on trace les segments $[MC]$ et $[MD]$, puis les parallèles issues de $B$ et de $A$ respectivement $MC$ et $MD$.
\[\small{\mbox{Figure 16}}\]
Avec des arguments similaires aux précédents, on conclut d’abord que $\hbox{Aire}(ABCD)=\hbox{Aire}(MEG)$ puis que la médiane $MN$ issue de $M$ dans le triangle $MEG$ est la solution au problème posé.
\[\small{\mbox{Figure 17}}\]
Cette démonstration figure aussi dans un livre très original de Jean-Louis Brahem Histoires de géomètres et de géométrie aux Éditions Le Pommier (2011).
3. Cas d’un polygone quelconque
3.1. L’entier $n$ est tout à fait quelconque et le polygone est convexe ou non.
Toutefois, on n’aura pas le choix du point de départ du coup de couteau : on partira d’un sommet.
\[\small{\mbox{Figure 18}}\]
3.2. Solution
L’aire de $\frak{P}$ est suppose gale à $1$, ce qui n’est nullement une restriction. On partage le polygone $\frak{P}$ en $m=n-2$ triangles $\delta_1,\cdots ,\delta_m$ de telle sorte que $\delta_i$ et $\delta_{i+1}$ (pour $i$ variant de $1$ à $m-1$) aient un côté commun. On symbolise la chaîne $\{ \delta_1,\cdots ,\delta_m\} $ par une ligne brisée (celle en vert sur la Figure 18) qu’on appelle artère de $\frak{P}$. On note ${\cal A}_j$ l’aire de $\delta_j$. Il existe alors $i\in \{ 1,\cdots ,m\} $ tel que :
\[{\cal A}_1+\cdots +{\cal A}_{i-1}+{\cal A}_i\geq {{1}\over 2}\hbox{ et } {\cal A}_i+{\cal A}_{i+1}+\cdots +{\cal A}_m\geq {{1}\over 2}.\;\;(\ast)\]
Posons, pour simplifier $a={\cal A}_1+\cdots +{\cal A}_{i-1}$, $b={\cal A}_{i+1}+\cdots +{\cal A}_m$ et $c={\cal A}_i$ ; on a $a+b+c=1$ et on voit facilement, par la condition ($\ast $), que $a\leq {\frac12}$ et $b\leq {\frac12}$. Pour partager le polygone $\frak{P}$ en deux parties de même aire, il suffit de partager le triangle $\delta_i$ dans un rapport $\lambda \in [0,1]$ tel que : $a+(1-\lambda )c=b+\lambda c.$
Un calcul immédiat nous donne :\[\lambda ={\frac{1-2b}{2(1-a-b)}}.\]
Comme $a\leq {\frac12}$ et $b\leq {\frac12}$, le nombre $\lambda $ est positif. Il se calcule facilement à partir des données sur le polygone (ses côtés...), et on peut aussi le construire géométriquement.
Finalement, il faut que notre segment $\Delta $ ne traverse que le triangle $\delta_i$. Ce sera le cas. En effet, l’un des côtés de $\delta_i$ est aussi un côté de $\frak{P}$ ; le segment $\Delta $ aura donc pour origine le sommet $M$ de $\frak{P}$ opposé à ce côté. Le reste se fait comme dans la sous-section 1.2.
Nous remercions Étienne Ghys pour nous avoir signalé une référence à Euclide (à partir de la page 29). Ceci prouve que nous ne connaissons pas toujours bien les écrits de ceux qui nous précèdent, mais nous revendiquons cette fraîcheur qui nous permet de revenir à des questions élémentaires. C’est cette même fraîcheur dans le questionnement que nous tentons de communiquer aux jeunes que nous rencontrons dans les classes.
Merci aussi à Mathieu Morinière pour la relecture qu’il a faite de cet article et pour le regard extrêmement positif qu’il a porté dessus.
Notes
[3] Nous avons consacré à ce sujet un colloque « Regards géométriques » organisé conjointement par la Cité des Géométries - Gare Numérique de Jeumont et l’IREM de Lille en 2010. Sur ce sujet, nous pouvons citer quelques articles de références : È possibile un’educazione al « saper vedere » in matematica ? d’Emma Castelnuovo et Il « saper vedere » in Matematica (1967) de Bruno de Finetti
[4] Voir par exemple : F.G.M. Exercices de géométries Editions Jacques Gabay
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Pour citer cet article :
Aziz El Kacimi, Valerio Vassallo, François Recher — «Partage d’un polygone» — Images des Mathématiques, CNRS, 2023
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