Revue de presse mars 2019
Le 1er avril 2019 Voir les commentaires (2)
De forts contrastes : c’est ce qui transparaît de cette revue de presse. D’un côté, une moisson de découvertes mathématiques et d’applications toujours plus variées ; de l’autre, de grosses inquiétudes sur la politique de l’enseignement, en particulier des mathématiques. D’un côté, une floraison d’activités de diffusion qui donnent l’impression que tout le monde aime les mathématiques ; de l’autre, des signaux bien inquiétants sur les résultats des élèves. D’un côté, la mathématicienne Karen Uhlenbeck reçoit le prix Abel ; de l’autre, les articles sur la parité aboutissent tous à la conclusion qu’on en est loin.
Recherche et applications
Encore une belle moisson d’applications des mathématiques à des domaines très variés ce mois-ci. Le journal du CNRS propose une revue passionnante des interactions grandissantes entre mathématiques et agriculture : modèles de croissance de plantes pour optimiser la date de la récolte et simuler la création de nouvelles semences ; gestion efficace de l’aquaponie ; modélisation de phénomènes de grande ampleur telle que la transmission de parasites ou l’impact du changement climatique à l’échelle régionale ; et analyse de données sur les cultures récoltées par des drones. L’article prédit ainsi l’émergence progressive de l’« agriculture numérique » !
L’étude du comportement des plantes inspire également la robotique. Jforum s’intéresse au projet « Growbot » d’une équipe de recherche internationale et interdisciplinaire, qui vise à concevoir un robot capable de franchir des obstacles et de s’insérer dans des zones difficiles d’accès à la manière d’une plante grimpante. Ce robot nécessite l’utilisation de modèles mathématiques gouvernant sa stratégie de croissance.
L’Institut national des sciences de l’univers rend compte d’un succès récent dans le domaine de la modélisation. « Est-il possible de retrouver les équations qui gouvernent la dynamique d’un système environnemental exclusivement à partir de séries de mesures ? » se demandent S. Mangiarotti et M. Huc. Le problème consiste à trouver une représentation mathématique théorique d’un phénomène complexe en ne connaissant que les données d’observation – plus précisément, de données issues de simulations numériques. Il est incroyable que ce soit possible, vu la variété des systèmes d’équations (chaotiques) et de leurs solutions.
Futura Sciences présente un bel exemple de résultat obtenu en mêlant maths, astronomie et géologie. Prédire les mouvements des planètes du système solaire n’est possible qu’à un horizon de temps limité car les équations qui les régissent sont chaotiques sur de longues échelles de temps, malgré leur apparente périodicité à court terme. C’est aussi valable pour regarder dans le passé : le chaos rend très complexe le calcul de la position des planètes il y a plus de 60 millions d’années. L’idée originale exposée dans l’article consiste à utiliser des données contenues dans le sous-sol de notre planète. L’observation de sédiments permet de détecter la présence de cycles climatiques et d’en déduire de précieuses informations sur la position de la Terre, et donc des autres corps du système solaire, jusqu’à 200 millions d’années en arrière.
Enfin, le blog scientifique Math’Monde fournit quelques détails sur un modèle classique de propagation d’épidémies (ou d’épizooties) : le modèle SIR, qui a fait ses preuves depuis sa création en 1927, parvenant notamment à la conclusion que maintenir un certain seuil de vaccination (qui dépend de la maladie considérée) parmi la population est nécessaire pour enrayer la propagation d’une maladie. Rappel utile s’il en est, à l’heure de la montée de l’anti-vaccination...
Pour la Science et Science et Vie présentent un résultat récent de théorie des nombres [1] : Andrew Booker a réussi à exprimer $33$ comme somme de trois cubes d’entiers, à savoir :
\[(8\,866\,128\,975\,287\,528)^3 + (-8\,778\,405\,442\,862\,239)^3 + (-2\,736\,111\,468\,807\,040)^3=33.\]
Voilà ce qu’aurait dû dire le docteur du Chat ! Il est très facile de vérifier une telle égalité (moins de 30 µs sur mon ordinateur de bureau) mais la trouver demande une certaine inventivité, des moyens de calcul puissants et un peu de chance. Le problème général est d’exprimer n’importe quel entier (à la place de $33$) comme somme de trois cubes, du moins de montrer que c’est possible. Booker vient de traiter l’avant-dernier nombre inférieur à $100$ que l’on ne savait pas traiter. Le dernier est $42$ – les lecteurs de H2G2 s’en doutaient certainement. C’est en regardant une vidéo du blog Numberphile que Booker est par hasard tombé sur ce problème, qui était dans ses cordes. Il admet les limites de sa trouvaille : elle ne donne aucune indication pour le résultat général. C’est tout de même un très joli tour de force !
Une courte chronique sur France Musique souligne les liens forts existant entre maths et musique, et vante le résultat d’une expérience où un groupe d’enfants ayant reçu des cours de maths et de musique réussirait mieux un test de calcul de fractions que le groupe ayant reçu deux fois plus de cours de maths, mais pas de formation musicale.
Intelligence artificielle
On commence par cette fascinante interview du chercheur Omar Fawzi, médaille de bronze au CNRS, dans Le Monde, qui montre comment il est possible de berner un réseau de neurones chargé de reconnaître et classer des images. Ainsi, une même modification, quasiment imperceptible à l’œil nu, si elle est appliquée à un ensemble de photos, conduira un algorithme initialement très fiable à se tromper jusqu’à neuf fois sur dix lors de la classification. Cette faiblesse pourrait par exemple être exploitée à des fins malveillantes pour empêcher l’IA d’une voiture autonome de reconnaître un panneau de signalisation...
Le site ActuaLitté prévoit un grand avenir à l’IA dans le monde de l’édition, et plus particulièrement de l’édition universitaire. En effet, les performances croissantes des logiciels de traitement du langage pourraient permettre d’accélérer les processus de relecture et de correction.
Citons aussi le surprenant site Obvious qui crée de (prétendues) œuvres d’art à l’aide de techniques d’apprentissage machine.
Le foisonnement de techniques et d’applications de l’IA est l’objet de a conduit le Collège de France à créer une chaire de sciences des données pour Stéphane Mallat. Sa leçon inaugurale a été retransmise sur France Culture, où « le chercheur propose d’introduire “les outils mathématiques et informatiques fondamentaux nécessaires pour comprendre les grandes questions et défis posés par la modélisation et l’apprentissage en sciences des données.” »
Mais l’enthousiasme général autour de l’intelligence artificielle pourrait bien nous faire oublier que tous ces algorithmes qui nous entourent consomment une quantité de plus en plus extravagante d’énergie, alerte Science et Vie, qui cite, entre autres chiffres qui font froid dans le dos, le rapport de Cédric Villani sur l’IA : « d’ici à 2040, l’énergie requise pour les besoins en calcul devrait dépasser la production énergétique mondiale. »
Enfin, Le Figaro Madame présente l’essai de Judith Duportail, L’amour sous algorithme, qui dévoile les rouages inquiétants de la célèbre application de rencontres Tinder : les algorithmes qui la régissent attribuent des notes de « désirabilité » aux utilisateur·trice·s, calculées à partir de leurs données personnelles. Une pratique déjà discutable, qui serait qui plus est génératrice d’un fort biais de genre.
Société
On qualifie parfois de « hipster » une personne ne se conformant pas aux tendances dominantes, notamment en terme de style vestimentaire. Paradoxalement, on peut également constater que tou.te.s les « hipsters » se ressemblent, et seraient donc conformistes dans leur anti-conformisme. Si, c’est très sérieux : un article publié en 2014 étudie ce phénomène, baptisé « hipster effect », à l’aide d’un modèle de dynamique de populations. Slate relate comment une mise à jour de cet article sur MIT Technology Review a engendré une illustration bien fortuite de l’effet hipster : un mannequin s’est plaint que la photo accompagnant l’article, qui représente un homme au look de hipster, soit utilisée sans sa permission. Or, il s’agissait d’une photo de quelqu’un d’autre... ce qui tendrait donc à valider la tendance des hipsters au conformisme le plus extrême.
Parité
Le 8 mars était la journée internationale des droits des femmes. La même semaine, les habitant·e·s de Lausanne ont pu découvrir de curieuses affiches publicitaires pour une nouvelle application. Math Dealer, propose aux garçons de faire faire leurs devoirs de mathématiques par des filles contre rémunération. Ce concept sexiste et absurde a bien entendu déclenché un tollé sur les réseaux sociaux et dans la presse en ligne, donnant lieu à toutes sortes de spéculations : véritable entreprise ou « coup de com’ » ? Le site suisse 24 heures a ainsi affirmé que la campagne de pub était véridique, avant de se rétracter deux jours plus tard ici quand l’Union suisse des sociétés d’ingénieurs-conseils a révélé être à l’origine de ce canular, destiné à sensibiliser le public sur le manque criant de parité chez les ingénieur·e·s. Au vu de l’incompréhension générale et de la quantité d’articles confus ou erronés en ligne, sans parler des réseaux sociaux, on se permet de douter de l’habileté de cette opération.
Chacun·e connaît la gravité de la situation en terme d’égalité femmes-hommes dans le monde de l’informatique et de la technologie. Situation d’autant plus critique qu’elle ne va pas en s’améliorant. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi au cours de la jeune histoire de l’informatique. L’autrice Claire L. Evans, dans un entretien avec Le Monde, raconte comment les programmeur·euse·s furent d’abord majoritairement des femmes, avant de devoir céder la place aux hommes dans les années 1980, à mesure que le métier gagnait en « prestige ». Slate propose également, chiffres à l’appui, un récit de cet évincement honteux des femmes dans la « tech », aussi bien dans la mémoire collective que dans les entreprises aujourd’hui.
Ces deux articles évoquent aussi un problème inhérent à l’hégémonie masculine — et blanche — en informatique : les biais de genre et raciaux mis en évidence dans toutes sortes d’algorithmes pourtant supposément impartiaux. Le Monde en parle plus en détail dans une chronique, et Business Insider souligne l’urgence qu’il y a à recouvrer la parité, proposant d’agir au niveau scolaire. Par ailleurs, les choses ne sont guère plus reluisantes en mathématiques, avec seulement deux mathématiciennes récompensées sur les 80 prix Abel et médailles Fields décernées depuis leur création, rappelle Le Monde.
La question se pose dans toutes les sciences. Sciences et Avenir rapporte un débat organisé par le programme L’Oréal-Unesco et le New York Times : « pour ou contre des quotas d’hommes dans la recherche scientifique ? » Des arguments sont avancés de part et d’autre : nécessité de « changer la photo de famille », reproduction d’une corporation à l’identique sans action spécifique, préjugés contre les femmes, biais conscients et inconscients (mis en évidence par l’évaluation différente de CV identiques au prénom près) ; limites des politiques de quotas, autres approches du problème (fin des « processus de nomination de l’ombre », prise en compte des contraintes familiales pour les réunions importantes...). La salle penchait massivement pour les quotas.
Honneurs
Commençons par la plus importante. Karen Uhlenbeck, professeure à l’université du Texas à Austin vient de recevoir le prix Abel. Ce très prestigieux prix, qui serait un équivalent du prix Nobel en mathématiques si celui-ci existait, récompense les travaux de toute une carrière ; au contraire, la médaille Fields ne récompense que des mathématiciennes et mathématiciens de moins de 40 ans. Le prix est remis tous les ans depuis 2001.
Karen Uhlenbeck travaille dans le domaine des surfaces minimales, dont les bulles de savon ou le toit du stade olympique de Munich donnent des modèles perceptibles. On parle d’analyse géométrique pour ce domaine. Elle a aussi fortement contribué à la théorie des jauges, qui est très utilisée en physique mathématique.
La presse a très largement relayé la nouvelle. On peut conseiller l’article du Monde pour l’annonce et les articles de La Recherche et Pour la science pour en savoir plus sur ses travaux.
C’est la première fois qu’une femme reçoit ce prix et, avec Maryam Mirzakhani, ce sont les deux seules femmes à avoir reçu le prix Abel ou la médaille Fields comme l’observe Le Monde.
L’Oréal et l’UNESCO attribuent chaque année un prix pour les femmes et la science. Une scientifique de chaque continent est récompensée. Cette année deux mathématiciennes ont été récompensées. La première est Ingrid Daubechies, connue pour ses travaux sur les ondelettes et ancienne présidente de l’Union mathématique internationale. La seconde est la géomètre algébriste française Claire Voisin, médaille d’or du CNRS en 2016. The Conversation dresse un portrait d’Ingrid Daubechies et on pourra lire un portrait de Claire Voisin sur le site de l’UNESCO
Les médailles d’argent et de bronze du CNRS viennent d’être dévoilées. Chaque institut du CNRS, comme l’INSMI pour les mathématiques, attribue une médaille d’argent et une de bronze – la première est décernée à des chercheuses et chercheurs plus avancés dans leur carrière. Viviane Baladi reçoit la médaille d’argent et Ludovic Métivier celle de bronze. Viviane Baladi travaille sur les systèmes dynamiques et Ludovic Métivier en mathématiques appliquées à la géophysique.
En Suisse, 24 heures offre le portrait de « Maurice Mischler, député et syndic d’Épalinges » qui milite pour « l’idée d’une taxe sur les billets d’avion », mais aussi alpiniste averti et professeur de mathématiques pour qui « les maths servent à expliquer le monde et l’univers ».
Histoire
Le site Fabula a annoncé dans son agenda l’exposé donné par Caroline Ehrhardt au séminaire PéLiAS (périodiques, littérature, arts, sciences) sur la Revue du mois fondée par Émile Borel. Le lecteur ayant manqué l’exposé pourra consulter l’article de Caroline Ehrhardt et Hélène Gispert.
France Culture a consacré ce mois-ci dans son émission « La compagnie des auteurs » quatre volets sur Lewis Carroll, romancier, essayiste, photographe mais aussi mathématicien. Bien sûr, il y est plus question de ses créations littéraires que de mathématiques, mais son œuvre emblématique qu’est Alice au pays des merveilles contient de vraies idées de logique.
Hervé Lehning propose ce mois-ci sur son blog de Futura sciences une promenade sur les ponts de Königsberg, énigme résolue en 1736 par Leonhard Euler qui marque la naissance de la théorie des graphes.
Le nombre d’or poursuit son périple de 2019 à l’occasion de l’exposition de De divina proportione, traité de géométrie rédigé par Luca Pacioli, mathématicien toscan de la Renaissance, à la bibliothèque de Genève, déjà évoqué dans cette revue de presse. Le site ActuaLitté y consacre un nouvel article sur les liens supposé entre Léonard de Vinci et les illustrations du livre de Pacioli. Sur le même thème, The Conversation transcrit une discussion entre les mathématiciens El Haj Laamri, de l’université de Lorraine, et Jean Mawhin, de l’université catholique de Louvain, qui retrace la saga du nombre d’or depuis Euclide.
Luca Pacioli est décidément le héros du mois sur ActuaLitté : il y revient pour son ouvrage d’arithmétique Summa de arithmetica. Cette fois, l’ouvrage n’est pas numérisé ni exposé au public mais mis en vente aux enchères chez Christie’s. Serait-ce parce qu’il traite plus précisément de comptabilité que d’arithmétique ?
Enseignement
Cette histoire est exemplaire : elle se rattache assez naturellement à plusieurs des sujets traités dans les médias ce mois-ci et qui ont retenu notre attention.
On peut tout d’abord se demander ce qu’aurait été le destin de cet enseignant sans papiers si « Bienvenue en France », la généreuse « stratégie d’attractivité des étudiants internationaux » offerte depuis novembre dernier aux étudiants hors Union européenne, avait pu exister dès 2013. Son diplôme de master aurait certes eu plus de prix (3770 €). Mais aurait-il seulement tenté de l’obtenir ? Et s’il était resté dans son pays, qui l’Éducation nationale aurait-elle recruté à sa place ? Des élèves du lycée Evariste Galois auraient peut-être eu un prof de maths avec plus de papiers et moins de diplômes ? ou alors pas de prof de maths du tout ? Nous apprenons dans Le Monde que l’université Paris VIII (Saint-Denis) enregistre actuellement une baisse des préinscriptions d’étudiants étrangers de 84 % par rapport à l’an dernier (époque où ces étudiants n’étaient pas encore « bienvenus en France »). Selon le vice-président chargé des relations internationales, « à Paris-VIII, près d’un tiers des étudiants sont étrangers. Et plus on monte vers le doctorat, plus le nombre d’étudiants étrangers hors UE augmente. » Dès l’annonce de ces mesures discriminatoires, le tollé a été général. Le gouvernement a cru pouvoir y répondre en annonçant le triplement du nombre de bourses et l’exonération de la hausse des frais d’inscription pour les doctorants, mais cela n’a visiblement pas suffi à convaincre la communauté universitaire. La journaliste du Monde a pu constater que la protestation des étudiants ne faiblissait pas (rassemblements chaque mercredi dans une université, manifestations diverses, journée de mise à l’honneur des étudiants étrangers) et a recueilli des témoignages d’étudiants étrangers en fin d’études affirmant qu’ils n’auraient jamais pu les commencer s’ils avaient dû payer de telles sommes.
Le cas de notre enseignant sans papiers renvoie aussi à l’impuissance actuelle du ministère à satisfaire les besoins de l’ensemble des établissements en professeurs de mathématiques. Il y a pourtant une solution évidente : si l’offre est inférieure à la demande, il suffit de revoir la demande à la baisse ! Les concepteurs de la réforme des lycées (applicable dès la rentrée prochaine) y ont probablement pensé en ouvrant la voie à une diminution globale du nombre d’heures d’enseignement de mathématiques. Le sort fait aux mathématiques dans cette réforme cristallise d’ailleurs les controverses. En témoignent de nouveaux articles dans Sud-Ouest et dans Le Monde. Sur le site du Monde, le blog d’Olivier Rollot présente « Le casse-tête des spécialités » où la place des mathématiques est examinée de près.
La « disparition des maths » inquiète toute la communauté mathématique, à commencer par Stéphane Seuret, président de la SMF (Société mathématique de France), qui s’en est expliqué dans le 18-20 week-end d’Europe 1 (il intervient à la 70e minute de la vidéo). Par ailleurs, l’APMEP (Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public) est avec la SMF à l’initiative d’un « manifeste pour un enseignement des mathématiques dans le socle commun de la voie générale au lycée », cosigné par une quinzaine d’associations professionnelles et sociétés savantes qui représentent des disciplines très diverses, scientifiques ou non.
Quant à Cédric Villani, il déclare au Parisien que « le niveau [en mathématiques] a dégringolé » mais apporte son soutien à la réforme des lycées. Sa situation de député de la majorité et de coauteur (avec l’inspecteur général Charles Torossian) d’un rapport qui a inspiré cette réforme ne lui permettait guère de prendre une autre position... Il le réitère, pour l’essentiel, dans Ouest-France, imputant « les très nombreuses interpellations qu[’il a] reçues de la part d’enseignants et de citoyens » à un problème d’explication. Même conviction affichée sur Europe 1, qu’il peine vraiment à transmettre. Conscient de la baisse du niveau des élèves de CM2 mesurée par la DEPP et rapportée par Le Parisien, il revient sur la formation des enseignants : comment la baisse drastique des cours de mathématiques au lycée pour presque tous les futurs professeurs des écoles pourrait bien l’améliorer ?
Quoi qu’il en soit, cette réforme a du mal à passer, comme le relèvent notamment France-Info, Europe 1 et France Bleu Nouvelle Aquitaine. Elle rencontre auprès des élèves, des parents et des professeurs une hostilité qui croît à mesure qu’approche « l’heure du choix » pour les élèves de seconde. De son côté, France 3 Occitanie rapporte une forme de protestation inhabituelle décidée par 21 professeurs du lycée Jean Moulin de Pézenas.
Cela fait bien longtemps que des universités ont tenté d’instaurer une « année zéro » destinée aux bacheliers insuffisamment préparés à suivre le cursus normal d’une licence scientifique en trois ans. Le succès de ces expériences a été mitigé, et la plupart d’entre elles n’ont pas eu de suite. C’est la même idée que met en pratique l’UFR de mathématiques de l’université de Rennes 1, en proposant un parcours aménagé sur 4 ans, comme l’indique Ouest-France. « Faire la première année en deux ans », comme le dit Maxime Cocault, responsable de ce parcours, ne doit pas être très différent de créer une année zéro ! En tout cas il invoque les difficultés d’orientation liées à Parcoursup pour expliquer la création de cette année supplémentaire. On peut aussi penser qu’il y a là une anticipation sur les effets probables de la réforme du lycée, dont peu de gens pensent qu’elle préparera mieux les futurs étudiants à des études supérieures scientifiques de haut niveau !
Pour les élèves de Terminale qui veulent une préparation solide à un cursus scientifique après le bac, le MOOC de l’École polytechnique, dirigé par Gilbert Monna et dont nous avons souvent parlé ici, est reparti pour une nouvelle session. Inscriptions jusqu’au 30 mai. Il est également annoncé sur le site Geek Junior.
À propos de Parcoursup, rappelons qu’une des nombreuses critiques sur cette plateforme d’orientation inaugurée il y a un an portait sur l’absence d’anonymat des dossiers de candidature transmis aux universités, ce qui faisait craindre des discriminations. Le ministère de l’Enseignement supérieur a voulu apaiser ces craintes en assurant qu’en 2019, le prénom, le nom, l’adresse et l’âge des candidats n’apparaîtraient plus. Mais l’indication du lycée d’origine subsistera, ce qui, selon Le Monde, fait « perdurer les craintes de discriminations ».
Trouver des recettes pour améliorer l’enseignement des maths et le rendre plus attrayant, c’est la quête du Graal qui obsède les médias. On retombe toujours sur les mêmes thèmes : privilégier l’expérimentation plutôt que les exposés théoriques (mais qui a encore recours à ces derniers ?), recourir aux jeux, utiliser les outils numériques. Voici quelques exemples. Le JT de TF1, constatant la progression de l’Allemagne et la dégringolade de la France dans un des innombrables classements des pays suivant leurs performances supposées en mathématiques, a trouvé une explication à ce phénomène en allant observer une classe primaire d’Allemagne où la priorité est donnée aux manipulations d’objets pendant le cours de maths. Ceci explique-t-il cela ? Et si oui, comment ? Nous ne le saurons pas. Du côté de RTL et M6-info, on a découvert en allant dans une école primaire de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) que les jeux plaisent aux élèves, de même que les rallyes mathématiques (lesquels sont pratiqués depuis plus de 40 ans, notamment à l’initiative des IREM). Enfin deux journaux marocains, Le Matin et Aujourd’hui se félicitent des « résultats positifs, tant pour les élèves que pour les éducateurs » d’un programme d’expérimentation mené (depuis septembre dernier...) par l’Académie régionale de l’éducation et de la formation de la région de Casablanca-Settat en partenariat avec Casio Middle East.
Faire des maths en anglais est motivant pour les élèves et leur permet de progresser dans les deux domaines. Les collègues qui le font dans les collèges ou les lycées le savent bien, et depuis longtemps. La Nouvelle République a observé une expérience plus rare : le faire dans une école primaire, en liaison avec 30 classes dans le monde dont les élèves avaient à répondre à un « quizz international maths-anglais ».
La formation continue des enseignants est un sujet de préoccupation constant pour la communauté éducative, qui est à peu près unanime pour juger que c’est une question cruciale pour l’éducation nationale, mais que, malgré cela, elle en a toujours été le parent pauvre. L’Académie des sciences avait estimé il y une dizaine d’années que c’était un secteur « sinistré ». La création de « laboratoires de mathématiques » dans les lycées, recommandée par le rapport Villani-Torossian, veut être une réponse au problème, qui substitue à la notion habituelle de formation continue celle d’« autoformation ». Il est trop tôt pour faire un bilan des premières expérimentations, mais l’objectif de créer 200 labos en 2019 (sachant qu’il y a de l’ordre de 4000 lycées en France) paraît déjà difficile à atteindre. Le CNRS soutient cette initiative, et encourage vivement ses chercheurs à intervenir dans ces laboratoires. Dans une tribune libre du Monde, sous le titre « Les mathématiciens retournent à l’école », Étienne Ghys se livre à un vibrant plaidoyer pour cette initiative. Malheureusement il évacue un peu rapidement la question des moyens affectés à ces laboratoires, en ne l’évoquant que dans ce bref passage : « L’année 2019 verra la création et le financement par le ministère de 200 de ces “labo-maths”. C’est un début significatif, même s’il est modeste, car on compte plus de 4 000 lycées en France. Il faudra s’assurer que les financements continueront. » Bel optimisme, mais on peut craindre que les choix budgétaires dans les années à venir ne permettent pas de le concrétiser.
Pour ce qui est de la formation continue, l’IFÉ lui consacre plusieurs dossiers dans son site Éduveille qui signale notamment la tenue à la mi-mars d’« Assises de la formation continue des enseignant⋅e⋅s ».
Ces sujets (formation continue et labos de maths) sont très importants mais ne sont guère jusqu’ici traités par les médias. On pourrait cependant avoir à en reparler prochainement.
Diffusion
Le 14 mars, France Inter a célèbré dès potron-minet la journée internationale de $\pi$. En effet, comme nous le redécouvrons chaque année, $\pi\simeq3{,}14$ et l’abréviation de ce jour en anglais est 3/14. France Culture en profite pour retracer « l’odysée de Pi » avec Jean-Paul Delahaye et Roger Mansuy, que nous retrouverons plus bas.
Cette date symbolique est entourée de la semaine des mathématiques, une concentration d’activités de diffusion de la culture mathématique sous l’égide du ministère, comme en témoigne la visite de Jean-Michel Blanquer dans les Yvelines rapportée par Évasion FM. Certains média annoncent la semaine entière : Blada, Centre presse, Clicanoo, L’Est républicain, LCI, Ouest-France, RCI, Le Républicain lorrain (qui a proposé plusieurs jeux mathématiques cette semaine-là). D’autres prennent l’angle du plaisir : Centre presse, La Nouvelle République, Ouest-France, La 1re, 20 minutes – jusqu’à la folie pour Écho sciences Grenoble. D’autres encore se focalisent sur le thème de la semaine, le jeu : Le Bien public encore, qui aime aussi le calcul mental, EMF, Journal de Saône-et-Loire qui parle d’un escape game, Ouest-France, La 1re. D’autres enfin parlent d’une activité particulière : EMF d’origami, Le Maine libre, La Marseillaise, Le Progrès de conférence, Le Télégramme.
Cette semaine a donné lieu à plusieurs festivals. La Dépêche signale Les maths en scène à Castanet-Tolosan (Haute-Garonne) ; Le Parisien vante Math’Gic à Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Plus modeste mais aussi porteur d’enthousiasme, le premier festival Midi-Maths de Grabels est décrit par le Midi Libre. Les 30 et 31 mars, le Salon des jeux mathématiques s’est tenu à Decazeville (Aveyron).
Autres actions de médiation scientifique
Un tweet d’un certain Ben Stephens, relevé par Trust my science, a été perçu comme une révélation par plusieurs milliers de twittos :
\[ x\;\%\text{ de }y\ =\ y\;\%\text{ de }x.\] Étonnant, non ? Non : tous deux sont égaux à $\frac{x\times y}{100}$. Si les pourcentages gardent ainsi leurs mystères, gageons que l’explication de l’espérance mathématique dans les jeux de hasard donnée par Nathan Uyttendaele et relayée par Korben sera utile aussi.
Pas de hasard dans la « Cantate 35 des jeux avec des vœux de Rennes et des potes malouins » proposée par Joël Martin sur son blog de Mediapart (faut-il rappeler que c’est l’auteur de L’Album de la comtesse ?). Il n’y en a guère dans Éleusis non plus, un jeu de cartes présenté par le blogueur zététicien Christophe Michel sur sa chaîne Hygiène mentale, dont le but consiste à trouver la règle du jeu. Le moteur est plutôt mathématique mais Christophe Michel y voit une métaphore de la science, qui consiste à chercher les règles du jeu qui régissent le monde.
Art
Le magazine 20 minutes a proposé un concours original de photographies : « Géométrie dans la ville » pour lequel les internautes peuvent proposer leurs clichés de photographies géométriques en milieu urbain. Une initiative appréciable et pour laquelle il est encore temps de participer.
Côté arts vivants, mentionnons avec le site Scene web un « nouveau Galilée de la Comédie-Française » et, avec Res Musica, « la géométrie d’Anne Teresa de Keersmaeker », une chorégraphe qui « s’attache à ces concepts [mathématiques] abstraits pour organiser les paramètres chorégraphiques selon des techniques cohérentes. »
Dans ses dernières « news », ActuaLitté propose de découvrir l’art des origamis avec les flexagones. Ces pliages permettent de mêler narration et géométrie en faisant apparaître une histoire au gré des mouvements du flexagone.
Et pour finir, entre art et histoire, le Louvre fête les 30 ans de la pyramide en ce mois de mars. C’est l’occasion de se rappeler le scandale produit par une structure géométrique si moderne dans un lieu de patrimoine et relire l’article que L’Express consacrait à cette inauguration dans un entretien avec son architecte Ieoh Ming Pei.
Parutions
Dans sa chronique d’avril de La Recherche, Roger Mansuy s’intéresse à un sujet maintes et maintes fois traité, les fractales. Si vous espérez voir de superbes images d’objets géométriques, ne vous précipitez pas trop vite... « Fractales : le diable est dans les détails » parle de la fonction de Weierstrass dont l’esthétique de la courbe évoque plus les fluctuations boursières que d’élégantes figures d’art fractal. Un « monstre » qui a perturbé nombre de mathématiciens à la fin du XIXe siècle : une courbe continue partout, mais dérivable nulle part... « Il s’agit historiquement de la première fonction construite pour jouir de ces deux propriétés », explique Roger Mansuy. Il a fallu attendre 2017 pour que deux mathématiciens démontent que sa « dimension est $2 + \ln(b)/\ln(a)$ où $a$, $b$ désignent les deux paramètres de la fonction, ce qu’avait conjecturé Mandelbrot ». Un survol rapide pour un tel sujet mais passionnant pour un très large public. « La difficulté se cache parfois dans les détails... et il y en a beaucoup dans les fractales ! »
« Grâce aux réseaux de neurones et à l’apprentissage profond, l’intelligence artificielle a fait des progrès stupéfiants ces dernières années. Au point de dépasser bientôt l’intelligence humaine ? » s’interroge Pour la Science. Dans le numéro de ce mois le rendez-vous de Jean-Paul Delahaye est consacré au potentiel danger des intelligences surhumaines. Il nous explique que, « comme souvent quand on comprend mal un sujet, on procède par excès et, selon son tempérament, on voit exclusivement le verre à moitié vide ou le verre à moitié plein ». Pour éclairer notre lanterne, il passe en revue AlphaZero, le programme de jeu qui « apprend tout seul » et bat les experts, quelques-unes des anticipations de l’Université de la singularité et les perspectives du transhumanisme. Ce n’est pas simple de saisir l’accélération (exponentielle ?) du développement des nouvelles technologies à laquelle nous assistons en ce moment. Cet article, très clair, permet d’en avoir une meilleure idée.
Dans la rubrique « mathématiques » c’est une question bien différente qui est abordée sous le titre provocateur « Aux quatre coins de l’Hexagone » : « peut-on vraiment appeler la France “l’Hexagone” ? ». L’article est co-signé par Karel Zimmermann (physicien), François Rodolphe (mathématicien), Tatiana Zharinova-Zimmermann (infographiste) et Joël Pothier (bio-informaticien). La question que les auteurs se sont posée est celle de la forme géométrique de notre pays. Le problème n’est pas simple. La France est une portion du géoïde terrestre qui n’est pas plane. Si l’on travaille sur des cartes il est impossible de l’enfermer dans un polygone régulier sans avoir des débordements... La conclusion à laquelle ils arrivent est que si la France devait ressembler à un polygone ce serait plutôt un carré ou un pentagone. L’hexagone ne serait qu’à la troisième place suivi par l’octogone.
Terminons avec la sortie d’un livre bien particulier dont Olga Romaskevich nous a parlé récemment sur ce site : Figures sans paroles d’Arseniy Akopyan. Un livre de géométrie de 235 pages avec plus d’un millier de constructions géométriques pour lesquelles il faut retrouver l’énoncé correspondant (avant de le démontrer). Il s’adresse aux lycéen⋅ne⋅s, aux professeur⋅e⋅s et à tous ceux et celles qui aiment la géométrie élémentaire. Ce livre n’est pas facile à apprivoiser, il est susceptible de provoquer de fréquentes insomnies mais il ne laisse pas indifférent. Un livre que vous pouvez commencer à n’importe quelle page, un livre presque sans mots, un livre que l’on peut lire quelle que soit la langue que l’on parle (ce qui simplifie les traductions). Son auteur a mis en ligne quelques pages sur Images des mathématiques. L’ouvrage a déjà été publié il y a quelques années en russe, puis en anglais avant d’être proposé en version française. Ajoutons qu’il cherche encore un éditeur.
Insolite
Mens sana in corpore sano : Orange Sports a surpris les footballeurs de l’Atlético de Madrid en train de faire du calcul mental pendant leur entraînement. L’Express relève le premier message de la reine d’Angleterre sur Instagram : il est consacré à la « machine analytique » de Charles Babbage, qui a permis au milieu du XIXe siècle à « Ada Lovelace, fille de Lord Byron », de « créer les premiers programmes informatiques » (une performance, environ un siècle avant le premier ordinateur !). Enfin, Afrika Mag et Ouest-France ont repéré un professeur de mathématiques aux États-Unis en train de donner un cours en portant le bébé d’une élève pour l’aider à se concentrer.
Notes
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Pour citer cet article :
L’équipe Actualités — «Revue de presse mars 2019» — Images des Mathématiques, CNRS, 2019
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Commentaire sur l'article
Revue de presse mars 2019
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Sur le paragraphe enseignement
le 1er avril 2019 à 21:07, par christophe c