Revue de presse novembre 2015
Le 1er novembre 2015 Voir les commentaires (2)
Si le big data fait toujours couler beaucoup (trop ?) d’encre, on peut constater encore ce mois-ci la vitalité des actions menées pour toucher le grand public, avec une belle édition de la fête de la science notamment.
Applications
A la lecture des articles parlant des mathématiques actuelles parus ce mois-ci, les découvertes mentionnées font parfois se dresser les cheveux sur la tête. Le sujet du moment, le big data, semble l’objet de nombreux fantasmes et génuflexions. Le magazine Microscoop, dans son hors série, l’affirme sans détour : « La terminologie de big data, données massives ou mégadonnées est sur toutes les lèvres depuis le rapport McKinsey. (…) Comme une matière première, les données seraient le pétrole du 21e siècle ». Et les mathématiciens se verraient bien en raffineurs puisque « le besoin de mathématiques demeure afin de choisir une représentation adéquate de l’information afin de la traiter et de la visualiser ».
Le Figaro s’enthousiasme dans ses pages Étudiant : « Polytechnique va prédire où et quand des voitures seront volées », à travers l’analyse de statistiques des vols passés. De toute façon, « le Big Data [est] au service de l’emploi » car les algorithmes utilisés, qui « ont pour but d’associer une probabilité à un événement futur » permettront à l’École polytechnique de « concevoir un modèle capable de déterminer les chemins types du retour à l’emploi ». Les X, ordonnés, vont devenir spécialistes de l’inversion de courbes.
Dans la même veine divinatoire, l’Atelier.net signale qu’en Suède « un algorithme prédit le retard des trains à la minute près ». Et l’extase gagne le Huffington post annonçant qu’un « mathématicien a inventé la formule magique pour savoir quel type de collants vous devez porter ». Reste à voir si la formule, donnée dans l’article, sera à la source d’un nouveau fétichisme.
Le Monde, qui consacre régulièrement des articles au phénomène du big data, met en garde dans ses pages Idées : « Dans ce contexte fantasmatique et mythique de la » big data « , de quels écueils et de quelles naïvetés faut-il être averti ? » Car, si « l’engouement que ces discours suscitent, en particulier auprès des jeunes générations, [...] est un élément de vitalité évident » , il va de soi que « ce travail peut aussi être mal fait » et alors, à défaut de pétrole, c’est une « usine à gaz » qui émerge. Et d’annoncer la morale de l’affaire : « on ne peut jamais faire d’économies sur la “réflexion” ». Le blog Le Monde « A la source » revenait d’ailleurs fin septembre sur l’excuse ressassée selon laquelle il n’y a pas un« dérapage des maths mais un dérapage des utilisateurs ». Comme le signale l’auteur, « c’est la fameuse fable du marchand de couteau (…) qui n’est pas responsable si son outil tue quelqu’un ». Et de conclure, non sans une pointe de naïveté ou de découragement qu’« une telle attitude d’irresponsabilité n’est plus tenable ».
Heureusement, des reconversions sont envisageables, telles celles de spécialistes des mathématiques financières qui ont, comme on le sait, échoué (de très peu) à sauver le monde. Ainsi dans Paritechreview, Karel Janeček explique qu’ « après avoir fondé une entreprise d’algorithmes de trading », il a créé Démocratie 2.1 qui introduit « des solutions mathématiques à des problèmes touchant le cœur de notre système démocratique ». Peut-être pourra-t-il fournir des outils pour analyser, à la suite de Libération les dessous du découpage des nouvelles régions françaises ? En tout cas, face à cette effervescence, Cédric Villani, qui vient de rentrer au conseil scientifique de Wikimedia France, prêche dans Sciences pour tous pour que les scientifiques reprennent « la main sur le partage des connaissances ». Car, selon lui, ils « ont une vision subtile et nuancée dans un monde où les opinions coup-de-poing sont bien plus faciles à propager ».
Pas sûr en tout cas que cette vision subtile rapporte beaucoup. On lit dans Rue89 un papier circonstancié sur l’histoire de Guillaume, jeune ingénieur en intelligence artificielle, « pas très dépensier » qui « vit en colocation et verse près de la moitié de son salaire (4070€) à ses parents et à son oncle ». Ce jeune homme, né de parents réfugiés sri-lankais est cela dit, un joli symbole de réussite et d’intégration, qui a pu faire « de longues études grâce aux bourses universitaires ». De toute façon, pour prouver que l’argent ne fait pas le bonheur, même chez les stars, on pourra méditer avec Le Monde Sciences sur les 500$ gagnés par Terence Tao pour avoir résolu le « problème de la discrépance d’Erdös ».
Autre problème fameux en théorie des nombres, la conjecture abc reste sujet de controverse. Shinichi Mochizuki, chercheur reconnu de l’Université de Kyoto, affirme l’avoir résolu, selon le site Maxoe. Le problème, c’est que personne ne comprend sa preuve, longue de 500 pages, d’autant plus qu’il se refuse à communiquer en anglais, notamment au sujet de la « géométrie inter-universelle » sur laquelle repose sa preuve. Alors, génie incompris ?
Après tout ça, on ira volontiers prendre une bouffée d’air des calanques et se réjouir de la bouillabaisse du jeudi en accompagnant CNRS Le journal dans sa visite guidée du CIRM (Centre International de Rencontres Mathématiques).
Culture/animations
Pour s’oxygéner, on pouvait aussi aller à la fête de la science, qui s’est déroulée partout en France du 7 au 11 octobre et permettait à tous de découvrir les sciences sous toutes ses formes. À la maison Fermat, on célébrait les maths en cuisine autour de défis “craquaaangs et gourmaaangs“ comme le souligne La Dépêche dans plusieurs articles. Toujours dans le Sud-Ouest, il était question de métrologie, selon La Dépêche.
À l’université Paris Diderot à Paris on a pu voir un stand sur les probabilités appliquées au football, ou encore, dans la Vienne, une centaine d’affichages sur les métiers de support de la recherche, selon la Nouvelle République. À Lyon avec l’ICJ et la maison des maths, en Picardie avec le LAMFA, en passant par Nantes ou la Bourgogne, toutes les régions ont joué le jeu, et les amoureux des mathématiques n’ont pas boudé leur plaisir à partager leur passion, leurs petites histoires, et à les transmettre à toutes les générations.
Autre événement ce mois-ci, la finale internationale de « ma thèse en 180 secondes » a été remportée le 1er octobre à la Sorbonne par Adrien Deliège… de Liège, dont les travaux portent sur le phénomène climatique El Niño et font appel à la théorie des ondelettes, rapportent Le Figaro ou Le Soir. On peut voir ici sa performance.
Le même journal fait la leçon sur les flux migratoires et les racines carrées en évoquant le dernier album, éponyme, de Stromae.
Enfin, la toute nouvelle maison des mathématiques de Quaregnon en Belgique était inaugurée le 27 septembre dernier par la découpe d’un ruban… de Möbius, selon Le Soir. Mentionnons à cette occasion que celle de Poitiers organise une exposition de photographies de Vincent Moncorgé du 29 septembre au 29 novembre, et que celle de Lyon dévoile son programme 2015/2016 dans le journal de l’éco.
Enseignement
Un blog du Monde s’intéresse longuement aux mécanismes de l’apprentissage et à un livre de Barbara Oakley, professeure de génie mécanique à l’université d’Oakland (États-Unis) et co-auteure d’un MOOC semble-t-il très suivi.
Elle y théorise une alternance de fonctionnement du cerveau entre un mode « concentré » et un mode « diffus », décrivant les mécanismes inconscients à l’œuvre dans le processus créatif. Si l’on craint qu’il ne s’agisse là que d’enfoncer des portes ouvertes, on lui reconnaîtra le mérite de tirer une fois de plus la sonnette d’alarme sur la perte de concentration qu’induisent les nouveaux usages numériques.
Dans une veine plus sociologique, ActuaLitté a lu le numéro d’octobre de Pisa à la loupe de l’OCDE, lequel mettrait en évidence une forte corrélation entre la confiance en soi et la capacité à résoudre des problèmes mathématiques. Ainsi,« les élèves faisant part d’un niveau inférieur d’efficacité perçue en mathématiques obtiennent de moins bons résultats dans cette matière que ceux qui indiquent avoir confiance en leur capacité à résoudre des problèmes de mathématiques ». Sans surprise, les enfants venant de milieux défavorisés auraient tendance à avoir moins confiance en eux.
Pourtant, il n’y a « pas besoin d’être un génie pour réussir dans cette matière, l’amour des maths se construit une équation à la fois ». C’est le conseil d’EnfantsQuebec.com pour faire aimer les mathématiques aux enfants dès leur plus jeune âge. Le site prodigue de nombreux exemples et conseils aux parents inquiets pour leur progéniture en prônant, par exemple, les « jeux qui nécessitent de vraies manipulations, avec des bâtonnets, des jetons, des pièces de monnaie, ainsi que les bouliers ».
Et puis, une bonne nouvelle : les inscriptions aux concours de l’enseignement repartent à la hausse, en particulier en mathématiques. C’est ce que relatent Le Monde et Europe1.
Espérons aussi que les futurs enseignants seront plus soutenus que ne l’ont été les auteurs d’un examen de mathématiques qui a « traumatisé » les lycéens écossais. Selon Le Figaro, un exercice intitulé « le crocodile et le zèbre » aurait fait pleurer des étudiants en Écosse. Ce problème a été si mal reçu qu’une grande pétition a permis de casser le barème de l’examen. Quelle était donc la difficulté de ce problème ? À bien y regarder, il s’agissait d’une simple dérivation. Mais comme le note un blog de Mediapart, l’exercice était « contextualisé » pour placer l’étudiant au cœur d’un problème concret, mode contre laquelle s’insurge l’auteur.
Honneurs
De nombreux hommages posthumes parcourent la presse ce mois-ci.
Le 13 octobre était la journée Ada Lovelace, rappelle le blogue de Radio Canada. Fille de Lord Byron, Ada Lovelace est considérée comme la « prophétesse » de l’informatique. Cette journée vise à lutter contre les stéréotypes concernant les femmes, notamment dans les sciences, à l’image de la campagne #ILookLikeAnEngineer, où Isis Anchalee dénonce les opinions selon lesquelles elle « serait trop belle pour être véritablement ingénieure ».
L’Université de Franche-Comté rend hommage à Augustin Cournot, considéré comme le précurseur de l’économie mathématique, quand Ouest-France fête François Viète, « inventeur de l’algèbre moderne » à Challans et le site actu.cotetoulouse.fr relate l’histoire de Pierre de Fermat, qui fait partie du patrimoine de la ville.
Le Populaire, quant à lui, fait le portrait de Henri Delannoy, intendant militaire guérétois (1833-1915), auteur de nombreuses récréations mathématiques et défenseur des mathématiques ludiques comme outil pédagogique.
Ces convictions sont sans doute partagées par Ayman, jeune maître de conférences en mathématiques appliquées (interrogé par L’Etudiant) et Claudie Asselain-Missenard, animatrice du célèbre concours Kangourou, et professeure de math retraitée atypique dont Ouest France fait le portrait. Selon elle, « les mathématiques ne sont pas une frontière qui détermine les bons des mauvais : il y a des mathématiciens sportifs, rêveurs, littéraires ».
Parutions
La Recherche consacre en novembre un dossier sur les clés de la créativité vues sous l’angle des neurosciences. Le numéro commence sur un entretien avec Cédric Villani, « La créativité, comme le café, est essentielle au mathématicien ». Dans le passé, Poincaré (L’invention mathématique) ou Hadamard (Essai sur la Psychologie de l’invention dans le domaine mathématique) s’étaient intéressés à la psychologie de l’invention en mathématiques. Bien sûr, cette interview est beaucoup plus brève mais survole des questions qui interrogent souvent : quelle est l’essence de la découverte, comment l’innovation peut-elle être favorisée, les mathématiques ont-elles une existence propre ou bien sont-elles inventées par les chercheurs ? Cédric Villani distingue sept ingrédients indispensables à la recherche mathématique : la documentation, la motivation, les échanges, la contrainte, le dosage entre travail acharné et repos, la persévérance et l’environnement de travail. Tous les mois, Roger Mansuy rebondit sur l’une des conférences récente de Mathematic Park. Ce mois-ci, sous le titre « Les étourneaux topologues », c’est la conférence d’Ivan Corwin donnée en mai, « universal phenomena in random systems », qui est à l’honneur.
Pour la Science s’intéresse dans un numéro spécial à la relativité générale, une « théorie centenaire et gaillarde ». Dans sa rubrique « Logique et calcul », Jean-Paul Delahaye nous parle d’un tout autre sujet. Il nous explique que les tours de Hanoï font « apparaître des liens avec un grand nombre de sujets mathématiques : arithmétique, graphes, fractales, etc. » et que la frontière entre mathématique et jeu est parfois ténue. Un retour agréable et instructif sur un jeu inventé à la fin du dix-neuvième siècle par Édouard Lucas, mathématicien féru de jeux.
Enfin, Mediapart et Télérama annoncent la sortie du dernier ouvrage d’entretiens du philosophe Alain Badiou avec Gilles Haéri « Éloge des mathématiques », où il déplore que l’immense majorité des adultes se montre hermétique au langage mathématique. Rare philosophe à entretenir une réflexion philosophique sur le sujet, il évoque les relations des mathématiques avec la philosophie elle-même, la société, l’enseignement et insiste sur le plaisir des mathématiques qui constituent selon lui un chemin vers la vie heureuse !
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Pour citer cet article :
L’équipe Actualités — «Revue de presse novembre 2015» — Images des Mathématiques, CNRS, 2015
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Commentaire sur l'article
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