Carnet de route du séminaire de la détente mathématique
Triangles magiques de Dirichlet
[Rediffusion d’un billet publié le 5 février 2021]
Le 18 juin 2021 Voir les commentaires
Voici quelques notes illustrées et colorées prises lors de l’exposé d’Olivier Druet le 4 novembre 2020 pour le séminaire de la détente mathématique.
Un triangle de Dirichlet est un triangle d’une certaine taille avec des nombres intérieurs et des nombres extérieurs. Ce triangle est dit magique si tous les nombres intérieurs sont la moyenne de leurs voisins.
Jouons alors à un jeu !
(solutions en fin d’article)
Alors comment faire ? Quelles sont les propriétés des triangles magiques de Dirichlet ?
Dans la suite, on considèrera souvent des exemples de triangles magiques de taille 2, mais les raisonnements qui suivent sont valables pour des triangles de taille quelconque.
Valeurs maximales et minimales possibles pour un triangle magique de Dirichlet : Principes du maximum et du minimum
A votre avis, où se trouve la valeur maximale dans un triangle magique de Dirichlet, au bord ou au centre ?
Supposons que la valeur maximale n’est pas atteinte sur un triangle au bord. Elle est donc atteinte à l’intérieur, disons dans le triangle rouge.
Alors ce triangle rouge est la moyenne de ces 3 voisins :
Mais le triangle rouge est la valeur maximale de ce triangle magique. Par suite, ses voisins $a$, $b$ et $c$ sont donc égaux au triangle rouge.
Puis on recommence le raisonnement avec les voisins de $a$, $b$ et $c$ …
… puis les voisins de leurs voisins ; et ainsi de suite …
… jusqu’à atteindre le bord. Ce qui est une contradiction avec notre hypothèse de départ.
La réponse est donc au bord !
On appelle cette propriété : principe du maximum. De même, la valeur minimale est également atteinte sur le bord : c’est le principe du minimum.
Unicité des triangles magiques de Dirichlet
Nous allons maintenant voir qu’étant donné les valeurs extérieurs connues, si un triangle de Dirichlet est magique (pour ces valeurs aux bords), alors il est unique.
Remarquons tout d’abord qu’on peut additionner, soustraire deux triangles magiques de Dirichlet : le résultat est encore un triangle magique de Dirichlet. De même, on peut aussi multiplier un triangle magique de Dirichlet par un nombre réel.
On dit que les triangles magiques de Dirichlet de même taille forment un $\mathbb{R}$-espace vectoriel.
Revenons maintenant à l’unicité. Supposons qu’il existe deux triangles magiques de Dirichlet pour des valeurs aux bords $A$, $B$, $C$, $D$, $E$ et $F$ données :
On peut alors les soustraire :
Or on a vu que les valeurs minimales et maximales d’un triangle magique sont atteintes sur le bord, c’est-à-dire $0$ dans notre cas. Donc toutes les valeurs à l’intérieur du triangle sont égales à $0$ :
\[
a-a’ = b-b’ = c-c’ = 0 \quad \textrm{ ou encore } \quad a = a’, \:\: b=b’, \:\: c=c’.
\]
On a donc bien montré l’unicité :
Comment remplir ?
- Au feeling. Sur des petits triangles ça peut marcher.
Mais pour de grands triangles, ça peut devenir compliqué !
- Par approximations successives. On commence par remplir les triangles intérieurs par une même valeur, par exemple $0$ ou la moyenne des valeurs aux bords.
La valeur du triangle dans le coin gauche n’étant pas la moyenne de ses voisins, on la corrige (on fait de même pour le coin droit, et le coin haut).
Mais maintenant, c’est le triangle du centre qui est incorrect. Il faut donc la corriger à son tour. Et puisqu’on a changé le triangle au centre, il faut recorriger le triangle du coin gauche (et le coin droit, et le coin haut).
Et ainsi de suite si ce n’est pas fini.
Remarque : On peut noter qu’en remplissant les triangles par la valeur minimale au bord, pour chaque triangle intérieur, la suite des nombres obtenus après chaque itération est croissante. Elle est de plus majorée par le principe du maximum. Par conséquent (théorème de Licence 1) la suite converge, et de plus on peut vérifier que le « triangle limite » est un triangle magique de Dirichlet. En particulier, cette méthode itérative montre l’existence d’un triangle magique de Dirichlet quelques soient les valeurs aux bords. - En résolvant des équations. On écrit un système d’équations qu’on va ensuite résoudre avec des ordis et des algorithmes. Donnons nous le triangle suivant :
Les nombres $a$, $b$, $c$ et $d$ satisfont les équations suivantes :
\[ \begin{cases} a & = \frac{2+3+b}{3} \\ b & = \frac{a+c+d}{3} \\ c & = \frac{1+1+b}{3} \\ d & = \frac{-1+0+b}{3} \end{cases} \quad \textrm{c'est-à-dire} \quad \begin{cases} 3a & = 5+b \\ 3b & = a+b+d \\ 3c & = 2+b \\ 3d & = b-1. \end{cases} \]
On écrit ce système sous forme matricielle :
\[ \begin{pmatrix} 3 & -1 & 0 & 0 \\ -1 & 3 & -1 -1 \\ 0 & -1 & 3 & 0 \\ 0 & -1 & 0 & 3 \end{pmatrix} \begin{pmatrix} a \\ b \\ c \\ d \end{pmatrix} = \begin{pmatrix} 5 \\ 0 \\ 2 \\ -1 \end{pmatrix}. \]
Il suffit alors d’inverser cette matrice pour trouver les nombres $a$, $b$, $c$ et $d$. Ici la matrice a inverser à 16 éléments, ça peut prendre du temps même pour un ordinateur … Heureusement, on peut gagner du temps dans les calculs ! Cette méthode repose sur les propriétés de linéarité et d’unicité des triangles magiques de Dirichlet :
On se rend alors compte que tout triangle magique de Dirichlet s’écrit comme une combinaison linéaire des 6 triangles magiques de Dirichlet suivants :
On dit que cette famille forme une base de l’espace vectoriel des triangles magiques de Dirichlet de taille 2. En particulier, il est de dimension 6.
Il suffit donc de déterminer les nombres à l’intérieur des 6 triangles magiques précédents pour trouver n’importe quel triangle magique de Dirichlet de taille 2.
Traitons le cas du premier des 6 triangles.
Partons de la configuration suivante :
Alors on peut écrire :
Ainsi si on pose $1$ dans le triangle extérieur en haut à gauche, et $0$ dans celui en haut à droite, alors on obtient :
\[
{\color{red}{?}} = \frac{1+3a}{3} \quad \textrm{et} \quad 3a = \frac{{\color{red}{?}}+2a}{3}.
\]
On en déduit alors que $a=\frac{1}{18}$, et ainsi on obtient :
De la même manière, on trouve :
Et on vérifie que :
Conclusion
Remarquons que les raisonnements précédents ne sont pas spécifiques aux triangles ! On peut refaire exactement pareil avec des carrés, des hexagones …
… ou (presque) n’importe quel graphe !
Maintenant vous pouvez terminer le jeu du début !
Vous pouvez trouver ici les notes manuscrites de cet exposé au format pdf, et cliquez là pour en savoir plus sur le séminaire et la MMI.
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Pour citer cet article :
Léo Dort — «Triangles magiques de Dirichlet» — Images des Mathématiques, CNRS, 2021
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