Rediffusion d’un article publié en juin 2020
Un petit théorème de distanciation physique
Piste bleue Le 24 novembre 2021 Voir les commentairesLire l'article en


Si quatre amis se réunissent autour d’un café tout en gardant une distance au moins égale à $\mathcal{d}$, alors deux d’entre eux seront nécessairement à une distance supérieure ou égale à $\mathcal{d} \sqrt{2}$.
Dans de nombreux pays du monde, les autorités ont appelé à la normalisation des activités. Sans vouloir rentrer dans la discussion de savoir si cela est approprié face aux progrès toujours soutenus de la pandémie de coronavirus, je voudrais m’inspirer d’un message qui m’a paru très singulier :
Les amis peuvent se rencontrer, par exemple, en groupes de quatre pour boire un café, mais ils doivent toujours garder une distance d’au moins $2 \, m $ les uns des autres [1].
Pour l’instant, nous supposerons que les personnes sont toutes sur un même plan. Ainsi, nous ne considérerons pas le cas où certaines d’entre elles sont au deuxième étage d’un local et les autres au premier. Évidemment, une possibilité est que les quatre amis se positionnent chacun sur un sommet d’un carré imaginaire de $2 \, m $ de côté. Si tel est le cas, alors quatre paires d’amis seront à $ 2 \, m $ de distance, et deux paires à $2\sqrt{2} \, m \sim 2,83 \, m$.
Une autre possibilité est que deux soient positionnés sur les extrémités d’un segment de longueur $ 2 \, m $, et les deux autres sur les sommets des deux triangles équilatéraux qui ont ce segment comme l’un de ses côtés. Dans ce cas, bien que cinq paires d’amis soient à distance $ 2 \, m $, il y a une paire d’amis à distance $2 \sqrt{3} \, m \sim 3,46 \, m$, qui est encore plus grande que la distance $2\sqrt{2} \, m$ de la configuration en carré ci-dessus.
Une question se pose naturellement :
Eh bien, un petit résultat de géométrie élémentaire montre que ceci est impossible.
Théorème : Si quatre points du plan sont séparés d’une distance au moins égale à $\mathcal{d}$ les uns des autres, alors il y a nécessairement deux points à une distance supérieure ou égale à $\mathcal{d} \sqrt{2}$. Si, de plus, cette dernière distance n’est dépassée par aucune paire de points, alors les points sont les sommets d’un carré de côté $\mathcal{d}$.
Dans notre contexte, nous considérons le cas où $\mathcal{d} = 2$ (mètres). Cependant, ceci n’est qu’une question d’échelle. Nous supposerons donc que $\mathcal{d} = 1$.
J’invite le lecteur à réfléchir d’où vient la validité du théorème avant de déplier la preuve ci-dessous. Pour donner une piste, j’insisterai sur le fait que nous supposons que les quatre points sont situés sur le même plan. Si cela n’était pas imposé, nous pourrions localiser les points aux sommets d’un tétraèdre régulier de côté $1$ : la distance entre deux quelconques d’entre eux serait alors égale à $1$...
Problème : Montrez qu’il est impossible de placer cinq points dans l’espace tridimensionnel de telle sorte que la distance entre deux quelconques de ces points soit égale à 1.
Très joli, mais... ça sert à quoi ?
Malgré le fait d’être élémentaire, le théorème ci-dessus n’est pas du tout banal. Il nous indique que si l’on veut « projeter » le squelette (ou, simplement, les sommets) d’un tétraèdre régulier sur le plan, alors il y aura toujours une « distorsion » [4]. Sans rentrer dans la définition précise de ce concept, on peut dire sans crainte qu’il est aujourd’hui l’un des plus importants et utiles en géométrie et dans d’autres domaines. Il est utilisé, par exemple, dans la compression de grandes quantités de données pour le stockage, ou dans la représentation graphique des réseaux sociaux. Ceci ne doit pas nous surprendre ; après tout, un tétraèdre régulier peut être considéré comme la représentation d’un réseau de Facebook de quatre individus (les quatre sommets), tous amis les uns des autres. Eh bien, ce réseau ne peut pas être représenté de manière fiable sur le plan : une fois illustré, il y aura toujours des amis qui sembleront « un peu moins amis » qu’ils ne le sont vraiment.
Enfin, on peut découvrir beaucoup de choses intéressantes sur ce sujet dans ce livre passionnant. Pour ma part, je vais continuer à le lire tout en profitant de mes réserves de café pendant ces jours de quarantaine un peu distordus.
Je remercie chaleureusement María José Moreno et Nicolé Geyssel qui ont produit les images de cet article, ainsi qu’Anahí Gajardo pour son beau cadeau (la cafetière octogonale) et ses remarques. Je remercie également Patrick Popescu-Pampu et le relecteur Xavier B. pour ses corrections.
NDLR : Un autre de théorème de distanciation se trouve ici.
Notes
[1] Cela a été explicitement souligné il y a quelques jours par la sous-secrétaire du ministère chilien de la santé : voir ici.
[2] Ceci découle directement de la loi du cosinus, mais peut être établi à l’aide d’une simple inégalité triangulaire (exercice).
[3] Ceci n’est pas complètement évident, mais pas trop difficile à justifier.
[4] Cette notion peut être rendue quantitative ; pour le cas considéré, notre petit théorème montre qu’elle est égale à $\sqrt{2} $.
Partager cet article
Pour citer cet article :
Andrés Navas — «Un petit théorème de distanciation physique» — Images des Mathématiques, CNRS, 2021
Laisser un commentaire
Dossiers
Actualités des maths
-
5 mars 2023Maths en scène : Printemps des mathématiques (3-31 mars)
-
6 février 2023Journées nationales de l’APMEP, appel à ateliers (9/4)
-
20 janvier 2023Le vote électronique - les défis du secret et de la transparence (Nancy, 26/1)
-
17 novembre 2022Du café aux mathématiques : conférence de Hugo Duminil-Copin (Nancy et streaming, 24/11)
-
16 septembre 2022Modélisation et simulation numérique d’instruments de musique (Nancy & streaming, 22/9)
-
11 mai 2022Printemps des cimetières
Commentaire sur l'article