Une correspondance algébrique
Piste rouge Le 13 octobre 2016 Voir les commentaires (1)
La médaille d’or du CNRS a été décernée à Claire Voisin le mercredi 21 Septembre 2016. Claire Voisin est spécialiste de géométrie algébrique. Dans ce texte, nous allons entrevoir une des constructions géométriques qu’elle a employées.
(A voir aussi l’article de François Charles paru dans la même rubrique)
Cet article commence en piste rouge et évolue petit à petit en piste noire.
Le cercle et son équation
Le cercle de rayon $R$ et de centre $O$ est l’ensemble des points du plan
situés à distance $R$ du point $O$ ; c’est un objet géométrique fondamental,
bien connu des élèves, qui pointe son nez dans le ciel les soirs de pleine lune, qui modélise la roue, etc. Mais, au lieu d’y penser géométriquement, nous pouvons le décrire par une équation. Pour cela, introduisons un système de coordonnées cartésiennes $(x,y)$ dont l’origine est située au centre du cercle ;
la distance entre l’origine et un point de coordonnées $(x,y)$ est égale à
$\sqrt{x^2+y^2}$, et donc les points du cercle sont caractérisés par la relation
\[
x^2+y^2=R^2.
\]
Ainsi, un point est sur le cercle si et seulement si ses coordonnées satisfont à la relation « algébrique » (ou « polynomiale ») $x^2+y^2=R^2$.
Cette relation algébrique est celle qui apparaît dans le théorème de Pythagore pour un triangle dont l’hypoténuse serait de longueur $R$, et les deux autres côtés de longueurs $x$ et $y$. De fait, si $(x,y)$ est un point du cercle de rayon $R$ centré à l’origine, le triangle de sommets l’origine $(0,0)$, le point $(x,y)$ et le projeté $(x,0)$ de ce point sur l’axe des $x$ est bien un triangle à angle droit ; et les longueurs des trois côtés de ce triangle valent respectivement $R$, $\vert y\vert$ et $\vert x\vert$ (la notation $\vert \cdot \vert$ désigne la valeur absolue).
Le cercle et ses points rationnels
Maintenant, cherchons à résoudre l’équation du cercle $x^2+y^2=R^2$ avec des triplets $x$, $y$, et $R$ qui soient des nombres entiers (positifs ou négatifs) ; les triplets ainsi obtenus sont traditionnellement appelés triplets pythagoriciens. Une fois $R$ fixé, il s’agit de trouver les points du plan qui sont situés sur le cercle et dont les coordonnées $x$ et $y$ sont des nombres entiers ; les valeurs possibles prises par $x$ et $y$ sont comprises entre $-R$ et $R$ car $x^2\leq R^2$ et $y^2\leq R^2$ : il n’y a donc que $2R+1$ choix offerts pour chaque coordonnée. Mais parmi ces $(2R+1)\times(2R+1)$ points concernés, seuls quelques-uns sont sur le cercle : puisque la distance entre deux points à coordonnées entières est toujours supérieure ou égale à $1$ et que le périmètre du cercle vaut $2\pi R$, il y a au plus $2\pi R$ points à coordonnées entières sur le cercle.
L’exemple le plus célèbre est le triplet pythagoricien $(3,4,5)$, avec la relation
\[
3^2+4^2=9+16=25=5^2
\]
qui montre que le point de coordonnées $(x,y)=(3,4)$ est bien sur le cercle de rayon $R=5$. Cet exemple est mis en pratique dans la corde à treize nœuds, celle utilisée par les charpentiers ; elle comporte un nœud à chaque bout et onze nœuds intermédiaires qui délimitent donc douze portions : les noeuds sont régulièrement espacés, si bien que les douze segments de corde ont la même longueur. Cette corde permet alors de tracer des angles droits ! Pour cela, fixez les deux bouts de la corde à un même clou, puis tendez la corde en tirant simultanément sur le troisième et le septième nœuds : vous obtiendrez un triangle donc les côtés valent $3$, $4$ et $5$ segments de cordes, si bien qu’un angle droit apparaît au sommet fourni par le troisième nœud.
Mais revenons à nos moutons. Nous avons trouvé un point à coordonnées entières sur le cercle de rayon $5$, à savoir le point $(3,4)$. Il y en a trois autres évidents : le point $(4,3)$, qui se déduit du précédent, et les points $(0,5)$ et $(5,0)$ situés sur les axes. Et il n’y en a pas d’autres à coordonnées positives (par exemple, $(3,3)$ ne convient pas). Nous avons donc quatre points à coordonnées entières positives, et douze points à coordonnées entières positives ou négatives.
Au lieu de chercher les solutions de l’équation du cercle pour lesquelles $x$ et $y$ sont des nombres entiers, on peut ensuite chercher celles à coordonnées rationnelles : ce sont les points du cercle pour lesquels $x$ et $y$ sont quotients de nombres entiers. Bien sûr, les solutions en nombres entiers sont des solutions rationnelles. Mais il y en a d’autres. Ainsi, $(55/61, 300/61)$ est aussi situé sur le cercle de rayon $5$ :
\[
\left(\frac{55}{61}\right)^2+\left(\frac{300}{61}\right)^2=\frac{93025}{3721}=25.
\]
Le comportement des solutions devient tout de suite très différent :
- le cercle de centre $(0,0)$ et de rayon $5$ contient une infinité de points à coordonnées rationnelles.
- mais le cercle de centre $(0,0)$ et de rayon $5$ contient exactement $12$ points à coordonnées entières (positives ou négatives) ;

Points rationnels sur le cercle
Les douze points verts sont les points à coordonnées entières sur le cercle de rayon 5. D’autres points à coordonnées rationnelles sont obtenus en intersectant les droites passant par le point (5,0) et les points (0,m) avec le cercle, avec ici m entier entre -6 et 6.
On obtient tous ces points à coordonnées $x$ et $y$ rationnelles en traçant les
droites passant par le point $(5,0)$ (lui-même sur le cercle) dont la pente est un nombre rationnel puis, pour chacune de ces droites, en prenant le second point d’intersection du cercle avec la droite [1]. Une autre façon de dire la même chose est de considérer la droite auxiliaire formée de l’axe des $y$. Pour chaque point de cet axe à coordonnée $y$ rationnelle, tracez la droite joignant ce point au point $(5,0)$ : le point d’intersection avec le cercle est aussi à coordonnées rationnelles, et tous sont obtenus par ce procédé géométrique. Nous voyons donc comment la résolution de l’équation
\[
x^2+y^2=25
\]
en nombres entiers ou rationnels est liée à des considérations et constructions géométriques. [2]
Les courbes cubiques.
Quittons maintenant le monde des cercles et, au lieu de partir de la géométrie, partons de l’algèbre. Un exemple sera suffisant pour comprendre le type d’idées en jeu. Considérons donc l’équation
\[
5(y^3-y)=6(x^3- x).
\]
Les points du plan dont les coordonnées $x$ et $y$ satisfont à cette relation forment une courbe ; elle est représentée ci-dessous.

Une courbe cubique
On voit déjà neuf points à coordonnées entières sur cette courbe. Peut-on décrire l’ensemble de tous les points à coordonnées rationnelles ? La réponse est oui.
Il s’agit de la théorie arithmétique des courbes elliptiques !
C’est un sujet d’une grande beauté, mais difficile d’accès avant quelques années d’études universitaires. Par contre, l’un des outils clés de la
théorie peut être interprété et décrit simplement en langage géométrique.
Prenez deux points $(x,y)$ et $(x’,y’)$ situés sur la courbe et dont les coordonnées sont rationnelles ; tracez la droite joignant ces deux points
(par exemple en traçant la droite entre les points $(-1,1)$ et $(0,-1)$ sur
la figure précédente). Cette droite coupe la courbe en un nouveau point dont les coordonnées se trouvent être également des nombres rationnels [3] : la donnée de deux points en produit
donc un troisième. Si le point $(x’,y’)$ était très proche du point $(x,y)$, la droite tracée serait très
proche de la tangente à la courbe passant par $(x,y)$. Cette construction fournit donc un second procédé : prenez un point $(x,y)$ sur la courbe, et tracez la droite tangente à la courbe passant par ce point ; cette droite coupe la courbe en un unique autre point. Et si le point initial est à coordonnées rationnelles, cet autre point aussi. Partant d’un point, on peut
donc appliquer la construction de la tangente pour en construire un nouveau, puis partir de ce nouveau point pour en construire un troisième, etc.
Nous avons ainsi deux processus géométriques qui utilisent
des points préalablement connus pour en fournir de nouveaux.
Un théorème de Louis Mordell et André Weil affirme que l’on peut trouver un ensemble fini de points initiaux à coordonnées rationnelles sur la courbe tel que tous les autres points à coordonnées rationnelles soient obtenus à partir des points initiaux
en répétant les constructions géométriques précédentes. On peut donc à nouveau produire les points à coordonnées rationnelles par des constructions géométriques.
Géométrie algébrique et points rationnels
Comprendre la structure des ensembles algébriques, c’est-à-dire définis par des équations polynomiales, comme les cercles, la courbe cubique d’équation $y^2=x^3+10x+1$, mais aussi l’ellipsoïde $x^2+5y+3z^2=12$ ou
la surface d’équation $x^6+y^4+z^2=1$, comprendre ces ensembles « algébriques », c’est le but de la géométrie algébrique.
On peut chercher à décrire la forme des objets ainsi définis, ou l’agencement des solutions (des points) à coordonnées rationnelles, ou les relations
entre deux tels ensembles (existe-t-il un changement de coordonnées qui transforme le premier ensemble algébrique en le second ?), …
Toutes ces questions correspondent à différentes ramifications de la géométrie algébrique : théorie de Hodge, géométrie diophantienne, théorie des invariants, … C’est le domaine de recherche de Claire Voisin.

Claire Voisin et Katia Amerik
Claire Voisin est professeure au collège de France, Katia Amerik à l’université Paris-Sud Orsay.
Dans l’un de ses articles, elle étudie avec Ekaterina Amerik une construction géométrique qui permet, comme dans le cas des courbes cubiques ou celui du cercle évoqués ci-dessus, de produire de nouveaux points — de nouvelles solutions aux équations — à partir d’anciens. C’est cette construction
que je voudrais présenter, mais attention, il va falloir « voir en grande dimension ».
Avant de commencer, juste quelques mots de l’intérêt de la construction. Il y a des ensembles algébriques pour lesquels on sait qu’il y a, quasiment automatiquement, beaucoup de points à coordonnées rationnelles.
Il y en a d’autres pour lesquels on s’attend à ce que les points à coordonnées rationnelles forment une partie finie de l’ensemble algébrique, alors que les solutions à coordonnées réelles forment un espace de grande dimension (une courbe est de dimension 1, une surface de dimension 2, …). Et puis il y a une gamme intermédiaire, une zone floue, pour laquelle on ne dispose pas vraiment de conjecture satisfaisante. Ou plutôt si, il y a quelques conjectures
bien formulées, mais on manque d’exemples venant soutenir ces prédictions. L’article de Katia Amerik et Claire Voisin auquel je faisais référence plus haut apporte l’un des premiers exemples réellement novateur dans cette « gamme intermédiaire », cette « zone floue », presque terra incognita. [4]
Variétés de Fano, hypersurfaces cubiques, construction de Voisin
Voici donc la bête. Commençons par regarder, dans l’espace à cinq dimensions dont les coordonnées sont notées $(x_1, x_2,x_3,x_4,x_5)$, une équation cubique, par exemple
\[
x_1^3+x_2^3+x_3^3+x_4^3+x_5^3=1.
\]
Les points dont les coordonnées sont des nombres réels qui satisfont à cette équation forment un ensemble à quatre dimensions que nous noterons $C$.
Cet ensemble contient des droites. Et c’est en fait l’ensemble de toutes ces droites qui nous intéresse. Nous le noterons $X$ : c’est l’ensemble de
toutes les droites tracées dans $C$. Par exemple, la droite formée des points
de coordonnées
\[
(x_1,x_2,x_3,x_4,x_5)=(s,-s,1,0,0) \,\, {\text{avec}}\, s\, {\text{un nombre réel quelconque}}
\]
est contenue dans $C$ ; elle correspond donc à un point de $X$. Il se trouve que cet ensemble $X$ est lui même algébrique. C’est-à-dire qu’on peut le voir comme un sous-ensemble défini par des équations polynomiales dans un espace de grande dimension. L’ensemble $X$ est appelé variété de Fano des droites de $C$, car ces ensembles de droites ont été étudiés par Gino Fano au début du vingtième siècle. Comme l’avaient observé Arnaud Beauville et Ron Donagi en 1985, cette variété de Fano $X$ tombe justement dans le « monde intermédiaire » où à la fois la géométrie de l’ensemble $X$ et la structure de ses points rationnels sont mystérieuses.
Il est difficile d’imaginer des droites tracées dans un espace de dimension cinq, et astreintes à être entièrement contenues dans un tel ensemble $C$. Le logo de cet article est un dessin dans un espace de dimension $3$ : l’objet représenté en plâtre est aussi défini par une équation cubique, c’est une surface cubique ; on y voit vingt-sept droites. [5]
Nous allons décrire une application de $X$ dans $X$, c’est-à-dire un procédé qui prend un point de $X$ comme donnée initiale et produit un autre point de $X$. Puisqu’un point de $X$ est une droite de $C$, il s’agit d’un algorithme qui, en entrée, prend une droite $\ell$ contenue dans $C$ et, en sortie, fournit une autre droite $\ell'$.

Espaces tangents
A gauche, deux droites tangentes à une courbe. A droite, la surface est un hyperboloïde. Un plan tangent est tracé : il coupe la surface le long de deux droites contenant le point de tangence. Ces deux droites dépendent du plan.
On se donne donc une droite $\ell$ tracée dans $C$. Si $p$ est un point de $\ell$, alors $p$ est un point de $C$, et l’on peut regarder l’espace tangent à $C$ en ce point $p$, que l’on note $T(p)$. Ici, $C$ est un sous-ensemble de l’espace de dimension $5$ qui est défini par une équation ; $C$ est de dimension $4$ et l’espace tangent à $C$ en le point $p$ est un sous-espace de dimension $4$. Puisque $\ell$ est contenue dans $C$, $\ell$ est contenue dans $T(p)$. Voici maintenant les points clés :
- Lorsque $p$ varie le long de $\ell$, nous obtenons une famille d’espaces tangents $T(p)$ qui contiennent tous $\ell$ mais « tournent autour de $\ell$ ». Il se trouve que l’intersection de ces espaces $T(p)$ est un sous-espace de dimension $2$ ou $3$, suivant le choix de la droite $\ell$ ; il est de dimension $2$ pour la plupart des droites $\ell$, et pour simplifier nous allons faire comme s’il était toujours de dimension $2$ : nous noterons $P(\ell)$ le plan ainsi obtenu.
- L’intersection de $P(\ell)$ avec l’ensemble $C$ est constitué de deux droites : la droite $\ell$ et une autre droite $\ell'$ [6]
- Nous obtenons donc une nouvelle droite $\ell'$ associée à la droite initiale $\ell$.
Ce processus qui associe une droite $\ell'$ à la droite initiale $\ell$ est la transformation que nous cherchions. Il détermine une transformation de l’ensemble $X$ dans lui-même que nous noterons $\Phi$. Ainsi, partant d’un point $\ell$ de $X$ nous en obtenons un autre $\ell'=\Phi(\ell)$, puis un autre
$\ell''=\Phi(\ell')$, etc. Un point initial en produit d’autres en cascade en répétant le procédé.
Et les points rationnels
Tout ceci peut vous paraître subtil, mais ce n’est que le tout, tout début de l’histoire. C’est la partie la plus facile (mais il fallait y penser !).
Katia Amerik et Claire Voisin parviennent à construire une multitude de points rationnels sur $X$ en utilisant la transformation $\Phi$. Il se pourrait a priori que chaque point rationnel $\ell$ de $X$ produise une cascade de points $\ell$, $\Phi(\ell)$, ... qui soit finie. Ou alors, il se pourrait que ces points soient tous contenus dans une courbe (algébrique) de $X$. Ce que démontrent Amerik et Voisin, c’est qu’au contraire l’ensemble des points rationnels de $X$ ne sont pas confinés dans un ensemble algébrique strict de $X$.
[7] Elles obtiennent ainsi un théorème de densité potentielle des points rationnels pour des ensembles algébriques $X$ appartenant à ce « registre intermédiaire » pour lesquels les autres méthodes d’analyse connues auparavant ne s’appliquaient guère. Un joli tour de force avec, au passage, plusieurs belles constructions géométriques concrètes, même si elles se situent en dimension $4$.
L’auteur et la rédaction d’Images des Mathématiques remercient les relecteurs
Rémi Coulon, Lison, Pierre Monmarché, Michaël Bages et Paul Laurain pour leur relecture attentive et leurs commentaires constructifs.
Notes
[1] Les points d’une droite peuvent être paramètrés par $(at+b, ct+d)$, $t$ variant parmi les nombres réels. Si cette droite contient deux points à coordonnées rationnelles, on peut choisir $a$, $b$, $c$ et $d$ rationnels. Supposons que, pour $t=0$, le point de la droite $(b,d)$ soit sur le cercle étudié. Pour trouver le second point d’intersection, on reporte $(x,y)=(at+b,ct+d)$ dans l’équation du cercle ; pour le cercle de rayon $5$ on trouve
\[
(at+b)^2+(ct+d)^2=(a^2+c^2)t^2+2(ab+cd)t+b^2+d^2=25.
\]
Mais $(b,d)$ est sur le cercle, donc $b^2+d^2=25$ et l’équation devient
$(a^2+c^2)t^2+2(ab+cd)t=0.$ La solution évidente $t=0$ correspond au point $(b,d)$. L’autre solution est $T=-2(ab+cd)/(a^2+b^2)$. Puisque les coefficients sont rationnels, la solution $T$ l’est aussi, et le point correspondant du cercle $(aT+b,cT+d)$ aussi.
[2] Attention, si l’on considère le cercle de rayon $\sqrt{3}$ l’équation est $x^2+y^2=3$, et l’on peut aussi chercher les solutions en nombres entiers et rationnels : il n’y en a pas !
[3] Cette propriété n’est pas mystérieuse. Si les deux premiers points sont rationnels, la droite les joignant est constituée de points de la forme $(as+b,cs+d)$ avec $s$ qui varie (c’est le paramètre) et $a$, $b$, $c$ et $d$ qui sont rationnels. Ces quatre nombres s’expriment en fonction des points initialement choisis : nous imposerons que le premier point $(x_1,y_1)$ corresponde au paramètre $s=0$, si bien que $b=x_1$ et $d=y_1$ sont les coordonnées de ce point ; et nous imposerons que le second point $(x_2,y_2)$ corresponde à $s=1$, ce qui fournit $a+b=x_2$ et $c+d=y_2$, et $a=x_2-x_1$, $b=y_2-y_1$. Les paramètres $s$ qui correspondent aux intersections de la droite et de la courbe cubique sont obtenus en reportant $x=as+b$ et $y=cs+d$ dans l’équation. On obtient alors une équation de degré $3$ en la variable $s$, dont tous les coefficients sont rationnels (car l’équation cubique est à coefficients rationnels). Par construction, deux solutions rationnelles sont déjà connues, ce sont $s=0$ et $s=1$. L’équation est donc de la forme $u(s-0)(s-1)(s-t)$ où $t$ est la troisième solution. On en déduit que $t$ est aussi un nombre rationnel car tous les coefficients de l’équation le sont. Le troisième point d’intersection a donc aussi ses coordonnées rationnelles ; ce sont $x=at+b$ et $y=ct+d$.
[4] Pour les courbes, la situation est bien comprise, après des efforts considérables. Les courbes qui ressemblent aux cercles sont les « courbes rationnelles », de genre $0$. Celles qui ressemblent aux courbes cubiques sont les « courbes de genre $1$ ». Ces courbes ont toujours une infinité de points à coordonnées dans une extension finie du corps des nombres rationnels (il faut par exemple remplacer les nombres rationnels par les nombres de la forme $a+b\sqrt{7}$ avec $a$ et $b$ rationnels). Et il y a les courbes de genre $>1$. Ces courbes n’ont qu’un nombre fini de points à coordonnées rationnelles (ou à coordonnées dans une extension finie $K$ du corps des nombres rationnels, quelque soit $K$) : ce résultat est dû à Gerd Faltings ; il date de 1983 et avait été conjecturé par Louis Mordell une soixantaine d’années auparavant.
[5] Lorsqu’on coupe $C$ par un sous-espace affine de dimension $3$, on obtient une surface cubique ; cette surface contient un nombre fini de droites (au plus $27$ en fait), et ces droites bougent lorsqu’on varie le choix du sous-espace affine.
[6] Pour être plus précis, il faudrait dire que lorsqu’on restreint l’équation définissant $C$ au plan $P(\ell)$ on obtient une équation cubique sur un plan. La courbe définie par cette équation est une courbe cubique ; cette courbe correspond à l’intersection $C\cap P(\ell)$. Mais cette courbe cubique est l’union de deux droites : la droite $\ell$ qui vient avec multiplicité $2$, et une autre droite $\ell'$. Il y a donc en fait « trois » droites si on compte $\ell$ deux fois, en accord avec la multiplicité.
[7] J’ai triché à plusieurs endroits.
Ici, il faut en fait passer des points rationnels usuels aux points rationnels dans une extension finie adéquate du corps des rationnels. Pour donner un sens précis à tout cela il faut : (1) partir d’une hypersurface cubique $C$ qui est définie par des équations à coefficients rationnels ; (2) contrôler la géométrie de $X$ (la variété de Fano de $C$) pour s’assurer que son nombre de Picard est égal à $1$ (afin d’être sûr que l’on construit ainsi des exemples pour lesquels les techniques préalablement développées ne s’appliquent pas) ; (3) construire des points rationnels dans $X$ (là on s’autorise une extension finie du corps des nombres rationnels $\mathbf{Q}$ en un corps de nombres $K$) ; (4) montrer que certaines orbites de $\Phi$ vont être Zariski denses (ce n’est pas évident car (i) $\Phi$ a des points d’indétermination qu’on doit éviter et (ii) $\Phi$ a aussi une infinité dénombrable de points périodiques). Et en fait, on ne montre pas (4) ! On utilise des sous-variétés lagrangiennes de $X$sur lesquels on comprend la structure des points rationnels, et l’on montre que l’orbite d’une telle sous-variété bien choisie est Zariski dense.
J’ai bien sûr triché en faisant comme si la construction s’appliquait à toutes les droites : ce n’est pas le cas, il y a celles pour lesquelles l’intersection des espaces $T(p)$ est de dimension $3$. Ces mauvaises droites produisent des points de $X$ en lesquels $\Phi$ n’est pas bien définie (ce sont les points d’indétermination qui viennent d’être évoqués).
J’ai triché parce qu’en fait il vaut mieux travailler à partir de la compactification de $C$ dans l’espace projectif de dimension $5$. Et parce qu’il vaut mieux travailler aussi avec des nombres complexes. Ou encore parce que, dans la cinquième note certaines surfaces cubiques (singulières) pourraient être couvertes par une infinité de droites. Et j’ai certainement triché ailleurs aussi.
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Pour citer cet article :
Serge Cantat — «Une correspondance algébrique» — Images des Mathématiques, CNRS, 2016
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le 14 octobre 2016 à 11:03, par Walabiz