
« Les équations que nous considérons ici sont du type
De telles équations ont une histoire intéressante. » C’est ainsi, délibérément replacé par son auteur au sein d’un courant de pensée déjà ancien (Gauss et Jacobi) que commence ce court article article d’André Weil, paru en 1949 au Bulletin of the Americal mathematical society, un article qui en à peine 12 pages, va profondément changer le cours de la géométrie algébrique.
De quoi s’agit-il ?
C’est un lieu commun que de dire que les mathématiciens s’intéressent aux équations — c’est souvent sous cette forme qu’ils expriment les problèmes qui se posent à eux, la question étant alors de les résoudre (expliciter leurs solutions) ou, plus généralement, de fournir des informations sur leurs solutions.

Carl Friedrich Gauss (1777-1855). Retour ligne automatique
Portrait fait en 1840 par Christian Albrecht Jensen
On étudie par exemple au lycée les équations du second degré en une inconnue, de la forme
Dans le cas d’André Weil, les inconnues sont des éléments d’un «corps fini», c’est-à-dire d’une sorte de nombres que l’on peut additionner, soustraire, multiplier et diviser, de sorte que les règles usuelles du calcul soient satisfaites, et tels que cette sorte de nombres n’ait qu’un nombre fini de représentants. L’exemple le plus simple d’une telle structure est fourni par le calcul binaire: deux nombres
Reprenons l’équation du second degré en une inconnue, mais dont les paramètres
Pour préciser ce fait, considérons, pour fixer les idées, une équation à coefficients entiers, disons
Revenons à l'article de Weil

Première page de l’article de Weil — Number of solutions of equations in finite fields.Retour ligne automatique
Bulletin of AMS, 55 (1949), 497-508
Fixons maintenant un nombre premier,
écrite dans le chapeau. Les éléments
La première partie de l’article de Weil démontre un encadrement du nombre~
où
Il y a déjà deux leçons à tirer d’un tel encadrement. Tout d’abord, le terme « principal » dit que
est
D'autres corps finis
Mais on sait, depuis les travaux de Gauss et Galois au début duxx<sup>e</sup> siècle, qu’il existe d’autres corps finis, construits à partir de ceux-là par adjonction de solutions d’équations polynomiales, exactement de la même façon que les nombres complexes sont obtenus en ajoutant une « racine carrée de
La seconde partie de l’article de Weil étudie alors comment varie le nombre~
A priori, cette série est juste une façon compacte et algébriquement efficace de regrouper tous les entiers~
Via des techniques de théorie algébrique des nombres (sommes de Jacobi, sommes de Gauss), Weil démontre~:
-# que cette série s’exprime comme une fraction rationnelle à coefficients entiers, ce qui signifie que les entiers~
-# que cette fraction rationnelle est essentiellement inchangée lorsque
-# que les zéros et les pôles de cette fraction rationnelle sont tous des nombres complexes dont le module est de la forme~
Les conjectures de Weil

André Weil (1906-1998). Photographie prise en 1956 par Konrad Jacobs
Ce n’est que parvenu à la dernière page de son article qu’André Weil propose les trois énoncés qui sont encore connus du nom de «~{conjectures de Weil}~». Sur la base des exemples qu’il avait pu traiter, Weil fait aussi la suggestion que les degrés des polynômes qui apparaissent seraient des «nombres de Betti». Sans en donner la définition précise, disons juste qu’en topologie, les nombres de Betti sont des nombres entiers qui décrivent grossièrement la topologie d’un objet géométrique, tel le nombre de trous qu’on aurait fait dans une sphère en caoutchouc. C’est ainsi une idée vraiment révolutionnaire que propose ici André Weil, que des questions de théorie des nombres soient régies par des quantités géométriques analogues à celles qui, au début du xxe siècle, ont permis à la topologie tant de progrès.
C’est cette suggestion que Grothendieck poursuivra dans les années~50-60, par la construction d’une «cohomologie de Weil» dont les propriétés (dont une formule des traces à la Lefschetz) lui permettront de prouver, en toute généralité, la rationalité et l’équation fonctionnelle de la fonction zêta de Weil. C’est Deligne qui complétera l’histoire en 1974, en établissant la localisation des zéros et des pôles, analogue de l’hypothèse de Riemann.
Aujourd’hui, les conjectures de Weil apparaissent encore comme une propriété fondamentale des équations diophantiennes dans les corps finis dont les applications dépassent d’ailleurs le strict cadre posé par Weil. Pour ne donner qu’un exemple, mentionnons que c’est en comparant le nombre de solutions d’équations sur des corps finis que Victor Batyrev a pu démontrer en 1995 que certaines variétés algébriques complexes ont mêmes nombres de Betti.
Post-scriptum
Le lecteur ou la lectrice qui désirerait entreprendre l’étude de ces questions pourra débuter par la page de l’encyclopédie en ligne Wikipedia consacrée aux conjectures de Weil (et ses références) même si le cas des courbes (établi par Artin, Hasse en genre 1, et Weil lui-même en genre quelconque) n’y est que trop rapidement évoqué. Beaucoup d’ouvrages de géométrie algébrique exposent d’une manière ou d’une autre ce cas, qu’il suivent la preuve de Grothendieck, Mattuck, Tate (reposant sur la géométrie d’une surface produit), ou celle de Stepanov (plus élémentaire, en ce qu’elle n’utilise « que » le théorème de Riemann–Roch, voir cette [présentation au séminaire Bourbaki->http://www.numdam.org/item/SB_1972-1973__15__234_0/] par Bombieri).
Un article de Serre, {Analogues kählériens de certaines conjectures de Weil) (Annals of mathematics, 1960), met en évidence comment elles découlent d’une propriété « hermitienne » qui inspira à Grothendieck une de ses « conjectures standard » sur les motifs.
Je mentionne aussi l’exposé d’Hélène Esnault à la Bibliothèque nationale de France dans la série Un texte, un mathématicien, {M. Weil, est-ce bien rationnel ?}.
Je remercie Clément Caubel pour ses suggestions précises.
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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .
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