7 juin, tricentenaire de Jacquier

Tribune libre
Écrit par Pierre Crépel
Publié le 7 juin 2011

C’est aujourd’hui, 7 juin 2011, le tricentenaire de la naissance de François Jacquier (à Vitry-le-François, petite ville de Champagne entre Paris et Nancy). Ce nom ne dit probablement rien à la majorité d’entre vous, mais …

Vous êtes-vous déjà demandé combien de personnes dans l’histoire avaient lu de A à Z les célébrissimes Principia de Newton ? Très peu, je laisse les spécialistes de ce grand homme proposer un nombre (que je crois inférieur à 10).

En tout cas, je me suis posé la question pour le Traité de dynamique de D’Alembert et je suis arrivé à la conclusion que n=3. Ce sont Bézout (annotateur de la 2e édition, à la demande de l’auteur, 1758), Korn (traducteur-annotateur en allemand, 1899) et Egorchine (traducteur-annotateur en russe, 1950). J’ai interrogé à peu près tous les spécialistes vivants de D’Alembert et ceux-ci m’ont avoué qu’ils étaient loin d’avoir suivi tous les calculs. Le quatrième sera Christophe Schmit, en charge de l’édition critique et commentée dans le cadre des Œuvres complètes (avec Alain Firode et un collectif, d’où sortiront peut-être un cinquième ou un sixième) : il en est, pour le moment, à peu près à la moitié. Bien sûr, je peux en avoir manqué un ou deux, mais guère plus. Pourquoi ?

Je vois quatre catégories de prétendants.

  • Les grands savants de l’époque : ils sont trop créatifs et trop pressés de faire valoir et de diffuser leurs propres découvertes et idées, pour aller jusqu’au bout de la lecture et des calculs : un ouvrage comme les Principia ou le Traité de dynamique est pour eux un point de départ, une source d’inspiration, un accélérateur de la pensée personnelle, non un objet d’érudition.
  • Les scientifiques plus normaux, plus besogneux, d’alors : la nouveauté des idées, le style (souvent difficile et non conçu pour l’enseignement) de l’auteur, la nécessité de gagner leur vie par ailleurs, ne leur permettent pas d’aller au bout. On a quelquefois des documents concrets : par exemple, la BU Médecine de Montpellier conserve l’exemplaire du Traité de dynamique de P.J.P. Barthez, le célèbre médecin de l’école vitaliste de Montpellier qui, à vingt ans, voulait sérieusement faire des mathématiques et qui s’est lancé dans l’étude de ce traité ; on voit un peu, par ses notes marginales, jusqu’où il va, ce qu’il comprend, ce qui l’arrête.
  • Les scientifiques des siècles suivants : il est certain que beaucoup d’entre eux ont lu, et même crayon en main, une bonne partie de ces grands ouvrages, mais les ont-ils lus de A à Z ? En général, aucun document n’en témoigne et je ne le crois pas. D’abord, leur lecture est usuellement anachronique et leur objectif n’est pas de tout lire et comprendre, mais d’en tirer les leçons : pourquoi alors s’acharner sur tel détail ou tel calcul ?
  • Enfin, les historiens des sciences : je ne parle même pas de ceux qui sont superficiels, mais des plus profonds. Ceux-ci cherchent à résoudre des problèmes historiques souvent transversaux et, s’ils ne se livrent pas à l’exercice formel et contraignant d’une édition critique et commentée de l’œuvre en question, à quoi leur sert de sécher pendant des jours ou des mois sur tel obstacle de la page 53, 112 ou 256 ? Ils tentent de comprendre les grandes lignes et d’approfondir quelques exemples cruciaux.

Revenons à François Jacquier. Ce Père minime, né le 7 juin 1711, qui fit l’essentiel de sa carrière à Rome, comme professeur d’un peu tout et comme intermédiaire culturel, a publié en trois volumes (1739-1742) avec son ami le Père Le Seur (1703-1770), également minime, né à Rethel dans les Ardennes, une édition latine des Principia, augmentée de nombreuses notes explicatives (également en latin), visant à éclairer et à détailler les calculs. A l’époque, les élèves apprenaient beaucoup de latin avant même de commencer les mathématiques, cette langue n’était donc pas un obstacle en général. L’édition Jacquier et Le Seur a été un véhicule important (aujourd’hui sous-estimé), non seulement des calculs newtoniens, mais aussi plus largement du « newtonianisme », lequel s’est évidemment construit et diffusé par bien d’autres canaux. Jacquier a séjourné à Cirey en 1744 et y a aidé la marquise du Châtelet (de même que Clairaut) pour sa traduction française des Principia.

Mais si vous voulez en savoir plus sur Jacquier, sur les couvents de minimes et sur la chambre du perroquet, venez les 14-15 octobre prochains à Vitry-le-François où se déroulera le colloque du tricentenaire.

Crédits images

Image à la une – Benoît Pécheux (?) d’après Laurent Pécheux, Portrait du Père François Jacquier, premier tiers du XIXe siècle, technique mixte sur papier, Lyon, musée des Beaux-Arts (Wikipedia).

ÉCRIT PAR

Pierre Crépel

Chargé de recherche, retraité - CNRS

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