Ouagadougou, jeudi 17 septembre 2015
C’est la saison des pluies. Il pleut tous les jours. Parfois quelques gouttes. Parfois des trombes d’eau. C’est bref. Il y a d’abord du vent. La poussière et les sacs plastiques tournent dans l’air. Parfois du tonnerre. Puis de la pluie.
Je suis arrivée dimanche soir. J’ai assisté à ce spectacle lundi matin, depuis la fenêtre de ma chambre. J’ai regardé la rue fourmilière. Les branches des arbres et les détritus dans le vent. L’énorme averse dont la plupart des passants ne se protégeaient même pas.
Mardi soir il est tombé trois ou peut-être quatre gouttes, alors que je revenais, avec quelques collègues et jeunes mathématiciens, du restaurant de La Paix où j’avais découvert l’alloco et l’attiéké.
Mercredi soir, une vraie courte averse précédée de vent. Je n’ai pas entendu de tonnerre. J’étais dehors, la rue était vide. Il était sept heures. Les restaurants étaient fermés.
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Opérateurs intégraux de Fourier, telle est la raison de ma présence ici, avec quelques autres mathématiciens. Cinquante jeunes chercheurs, presque tous francophones, venus de douze pays africains, s’initient à ces opérateurs en suivant nos cours. Mercredi après-midi, au lieu de temps libre, je propose une séance d’exercices. Moyen indispensable de savoir comment ce public comprend, suit, reçoit, ce que nous lui racontons. Il est deux heures et demie lorsque je m’aperçois d’un truc vraiment simple qui leur manque et je le leur explique. Nous sommes tous concentrés sur nos mathématiques et aucun de nous ne se doute que, au même moment, des militaires (qui ne connaissent pas non plus ce truc) s’emparent du conseil des ministres et du pouvoir. Je finis la séance d’exercices et rentre à l’hôtel assez fatiguée. Il n’est que trois heures et demie mais il y a une circulation intense (les gens rentrent chez eux). Je m’apprête à faire une sieste lorsque le téléphone sonne. Ce sont les organisateurs locaux de l’école d’été qui m’appellent (et appellent, un par un, les conférenciers étrangers) pour nous informer de l’ « événement ». Ainsi est nommée, ce jour-là, cette chose dont personne ne sait très bien s’il s’agit d’une prise d’otages ou d’un coup d’État.
Jeudi. J’ai passé la journée dans mon hôtel, selon les recommandations de tous. Il y a un restaurant, la climatisation et même, assez souvent, du wifi. Et quelques collègues sympathiques. Il y a aussi une piscine, mais je ne l’utilise pas. Je peux travailler comme à la maison, envoyer des nouvelles à mes proches, etc. Évidemment, je pourrais sortir – avant 19 heures en tout cas – mais pour aller où ? Et puis, si dans l’hôtel nous sommes, disons, confinés, dans le pays nous sommes vraiment enfermés.
Sylvie Paycha, qui est à l’initiative de cette école et a beaucoup travaillé à son organisation, s’est rendue dans un hôtel proche où sont logés presque tous les « élèves », et y a fait faire deux séances de cours. En revenant, elle me dit : les mathématiques, ça aide. À ne pas s’angoisser, dans ce cas. Encore une réponse à la question « À quoi ça sert ? »
Jeudi soir. Il est six heures, il n’y a presque personne dans la rue. Les rares passants se pressent. Pour échapper à la pluie ou pour être rentrés avant sept heures, début du couvre-feu. L’hôtel n’est pas très éloigné du lieu où ont eu lieu des affrontements. La nuit dernière et encore dans la journée, ce sont des tirs qu’on entendait. Tonnerre, ce soir.