a+b=c ?

Tribune libre
Écrit par Pierre Colmez
Version espagnole
Publié le 6 septembre 2012

Shinichi Mochizuki met en ébullition la communauté mathématique…

Si \(A,B,C\) sont des polynômes à coefficients complexes, non constants, sans zéros communs, vérifiant \(A+B=C\), alors le nombre de zéros du produit \(ABC\) est strictement plus grand que les degrés des polynômes \(A\), \(B\) et \(C\).

Malgré sa simplicité 3La démonstration fait un bon exercice de prépa; elle consiste à regarder les zéros du polynôme \(A’B-AB’\), égal au signe près à \(A’C-AC’\) et \(B’C-BC’\), où \(P’\) désigne la dérivée du polynôme \(P\)., ce résultat n’a été remarqué qu’en 1980. On en déduit facilement le théorème de Fermat pour les polynômes: si \(n\geq 3\), et si \(P,Q,R\) sont des polynômes à coefficients complexes, sans zéros communs, vérifiant \(P^n+Q^n=R^n\), alors \(P\), \(Q\) et \(R\) sont constants.

On dispose d’un dictionnaire heuristique, reliant polynômes et entiers,
qui est un guide précieux pour essayer de deviner ce qui peut être vrai en théorie des nombres. Dans ce dictionnaire, le degré d’un polynôme \(P\) devient \(\log |n|\), si \(n\) est un entier non nul, et les zéros de \(P\) deviennent les nombres premiers divisant \(n\). L’énoncé ci-dessus devient: pour tout4Le dictionnaire n’est pas parfait car les entiers sont nettement plus compliqués que les polynômes (en particulier, on ne peut pas les dériver); c’est ce qui explique la présence de ce \(\epsilon\): dans le cas des polynômes on peut prendre \(\epsilon=0\) et \(C(\epsilon)=0\). \(\epsilon>0\), il existe \(C(\epsilon)>0\) tel que, pour tout triplet d’entiers \(a,b,c\) sans facteurs premiers, vérifiant \(a+b=c\), on ait:
\[\max(\log|a|,\log|b|,\log |c|)\leq (1+\epsilon)\log ({\rm rad}(abc))+C(\epsilon),\]
où \({\rm rad}(abc)\) désigne le produit des diviseurs premiers du produit \(abc\). Cet énoncé, connu sous le nom de « conjecture \(abc\) », a été formulé par Masser et Oesterlé en 1985, en partant d’un énoncé plus technique de Szpiro. Si on pouvait rendre explicite la constante \(C(10)\) par exemple, on en déduirait facilement une démonstration du théorème de Fermat, et de tas d’autres énoncés hors d’atteinte actuellement. Il semblait totalement hors de portée (comme quoi l’équation \(a+b=c\) est plus subtile que ce qu’on pourrait penser…), mais Shinichi Mochizuki  a récemment posté un article sur sa page personnelle (c’est le dernier de la liste) contenant l’annonce d’une preuve. Il faut encore s’assurer que cette approche est correcte, mais la toile mathématique est en excitation! Si cela marche, c’est le fruit de plus de 12 ans d’efforts solitaires…

ÉCRIT PAR

Pierre Colmez

Directeur de recherche - CNRS - Sorbonne Université, Paris

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