Accéder à distance aux congrès et séminaires ?

Tribune libre
Publié le 25 juin 2021

Le texte qui suit a été écrit il y a un peu plus d’un an. Depuis, les conférences à distance ont été généralisées, mais ce que j’y écrivais mérite toujours d’être discuté : je n’y ai donc fait que des retouches mineures. Avant de reproduire ledit texte, je me permets d’aborder la question du vocabulaire : les expressions « en présentiel » et « en distanciel », probablement inventées par des technocrates prétentieux, du genre à se vautrer dans les délices de la novlangue managériale, n’existent pas en bon français. Ils peuvent être avantageusement remplacés par « en présence » et « à distance ». [Ceci me fait penser à un président de la République qui, il y a plus de quarante ans, trouvant sans doute que l’expression « différence d’inflation » n’était pas assez snob, inventa le « différentiel d’inflation ».]

Les confinements et impossibilités de voyager qu’entraîne l’épidémie actuelle ont poussé les collègues qui organisent des séminaires et congrès à proposer des sessions « à distance ». D’autres exemples me sont alors revenus en mémoire. Ainsi, lors d’une audition pour le choix d’un directeur de l’IHP en 2009 (« on » m’avait convaincu de postuler, mais je pense que j’étais loin d’être le candidat idoine pour ce poste ; c’est C. Villani qui fut choisi), je suggérai de « jumeler » à distance certaines des semaines de conférences à l’IHP avec le CIRM, mais aussi avec le MFO (Oberwolfach), ou le Centre de recherche de Banff (Canada) : on pouvait imaginer des conférences simultanées (en tenant bien sûr compte du décalage horaire). Il me fut rétorqué qu’il était compliqué et relativement cher d’organiser des vidéo/visio-conférences. Ma suggestion d’utiliser des outils plus accessibles comme Skype me fit probablement passer pour un bricoleur du dimanche… Et si l’on reprenait cet embryon de réflexion indépendamment des circonstances présentes et de toute restriction sanitaire ?

De quoi s’agirait-il ? Commençons par un caveat : il n’est absolument pas question de supprimer séminaires et conférences tels qu’ils existent actuellement, mais d’en proposer une extension. Pour certains (beaucoup de ?) congrès, conférences ou séminaires, on proposerait un accès à distance. Je laisse aux spécialistes de la sécurité le soin de choisir le logiciel le plus « sûr » (notons que pour beaucoup de tels logiciels les « clients » peuvent se connecter via une simple page web). Pour éviter toute saturation, il faudrait demander une inscription à l’avance pour maîtriser le nombre d’accès extérieurs. L’organisation de la conférence prévoirait que les personnes connectées à distance puissent voir non seulement les collègues faisant les exposés, mais aussi les supports des exposés (que ces derniers soient écrits au tableau ou projetés sur écran), et pourquoi pas un peu la salle de conférence. Quels seraient les avantages et les inconvénients d’une telle extension des conférences traditionnelles ?

— Dans les inconvénients et points négatifs, il y a bien sûr… la distance. Les discussions informelles et autres apartés sont une part très importante de ces manifestations (peut-être la plus intéressante diraient certains), et les collègues à distance perdraient cet aspect des choses. Des problèmes techniques pourraient venir perturber les choses, par exemple une connexion capricieuse (mais serait-ce pire qu’une place au fond d’un amphi bondé juste derrière un poteau ?), un piratage de la liaison (cela ne me paraît pas être une menace terrifiante pour la majorité des conférences). Il faudrait aussi accepter l’idée que, à cause des décalages horaires, tout le monde ne pourrait peut-être pas assister à tous les exposés en direct, et que certains d’entre eux ne pourraient être accessibles qu’en différé : les choix que l’on aurait alors à faire seraient du même genre que pour des congrès avec sessions parallèles. Un autre inconvénient que certains considéreront comme majeur est que l’un des aspects des conférences « physiques » est le… confinement : beaucoup pensent que réunir beaucoup de monde dans un endroit en général isolé engendrera nécessairement des interactions, et ce d’autant plus que les collègues sur place n’auront ni obligations professionnelles ou personnelles, ni distractions extérieures, susceptibles de diminuer leur consécration à la conférence. Un peu comme pour le télétravail, il est plus difficile d’être concentré vers un seul but si l’on est chez soi (voire, dans le cas décrit ici, dans un bureau à son université). Un autre inconvénient, mineur, serait que l’on serait tenté de manière boulimique, d’assister à « trop » de conférences, et donc de pitonner (comme on dit au Québec) frénétiquement entre plusieurs conférences.

— Et quels avantages ? notons d’abord qu’on peut assez facilement remédier à certains des inconvénients cités plus haut. Par exemple, la difficulté d’interactions informelles pourrait être en partie compensée par des créneaux « pause café commune » avec des terminaux dédiés où il serait possible de discuter à juste quelques personnes. Pour les organisateurs, plus besoin de prévoir exactement la taille de l’amphi, de peur d’être obligé d’en changer en catastrophe, puisqu’il suffira de prévoir un nombre de places physiques a priori : il sera toujours plus facile d’augmenter éventuellement le nombre de places à distance. Par voie de conséquence il sera plus facile de dimensionner les repas, le nombre de petits gâteaux pour les pauses café, voire… la logistique pour la demi-journée traditionnelle d’excursion qui pourrait être retransmise en temps réel (oui cela sera plus difficile et un peu plus coûteux peut-être que du Skype ou équivalent professionnel dans la salle de conférence). Beaucoup de collègues intéressés par la conférence et même certains conférenciers, provisoirement empêchés de se déplacer, pourraient alors éviter des voyages souvent longs et relativement coûteux. D’autres qui n’auraient pas envisagé d’assister en chair et en os à la conférence pourraient être tentés par un accès à distance. L’impact écologique et financier, pour les équipes organisatrices comme pour les membres participant à distance, ne serait pas négligeable. D’ailleurs, les moins jeunes d’entre nous, qui ont connu le temps où il n’y avait évidemment jamais de frais d’inscription à une conférence, ne seraient pas fâchés que cela redevienne le cas pour les inscrits en ligne (on voit déja au moins des frais d’inscription réduits pour l’accès à distance).

Pour les collègues qu’une telle perspective pourrait effrayer déjà, nous insistons encore une fois sur le fait qu’un « vrai » congrès ou une « vraie » conférence sont des outils irremplaçables, et que toute la partie off , y compris les pauses café, les repas en commun, les discussions non directement professionnelles, est absolument nécessaire et qu’elle disparaît (ou est largement dégradée) dans les interactions à distance. Il ne s’agirait donc ni de rendre nécessairement hybrides (en face à face et à distance) tous les séminaires et conférences, ni de (risquer de) décourager les gens de se déplacer, mais de proposer la possibilité supplémentaire mais pas forcément systématique d’accès à distance, en réalisant une sorte de métissage entre les conférences et séminaires classiques et les « wébinaires » qui existent déjà par ailleurs.

Post-scriptum

Je remercie V. Girardin et O. Ramaré pour leurs suggestions à la lecture de la toute première version de ce texte, en particulier pour m’avoir mis en garde contre un danger que je n’avais pas vu clairement : le développement des accès à distance risquerait de convaincre quelques technocrates que les « vrais » congrès seraient inutiles, ce qui serait à mes yeux évidemment aussi absurde, toutes proportions gardées, que, par exemple, remplacer toutes les consultations médicales par des téléconsultations.

ÉCRIT PAR

Jean-Paul Allouche

Directeur de Recherche émérite - CNRS - Institut Mathématique de Jussieu-PRG

Partager