Barbapapa à l’Académie française

Tribune libre
Publié le 21 août 2010

Question à deux sous pour un jour d’été pluvieux : quel est le mathématicien vivant le plus célèbre, en termes de popularité de ses publications ?

Parmi les candidats sérieux, il faut mentionner Talus Taylor. Il aurait été « professeur de mathématiques américain » (je n’en sais pas plus sur cette partie de sa vie — mes seules maigres informations viennent de  19Voir L’illustré on line.), mais il est surtout, avec Annette Tison et depuis 40 ans, auteur des merveilleux livres Barbapapa  20Voir le site de Barbapapa..

Puisqu’il serait temps que l’Académie française se souvienne un peu plus souvent du monde scientifique — et en particulier mathématique — nous proposons respectueusement l’élection de Talus Taylor au statut d’immortel. Il s’agira là de renouer avec une double tradition, louable et parfois oubliée.

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Le premier volet de cette tradition est celui des « grands auteurs français » qui osaient aborder des questions scientifiques (et en étaient capables). Pour mémoire et à titre d’échantillon :

  • Blaise Pascal (1623-1662), inclassable par excellence, fut autant mathématicien et physicien qu’écrivain et théologien. Il a su faire preuve à la fois d’esprit de finesse et d’esprit de géométrie, même s’il a pu écrire à ce sujet une pensée 21On peut la (re)lire ici.souvent citée à bien mauvais escient (selon moi, mais cela mériterait peut-être un autre billet).
  • La marquise du Châtelet (1706-1749) 22Voir le billet Divine Émilie d’Aurélien Alvarez. joua un rôle clé pour la pensée scientifique du XVIIIe siècle, en traduisant en français les « Principes mathématiques ». Ce livre, le plus célèbre de Newton (1643-1727), d’abord publié en latin en 1687, contient les lois du mouvement, et donc le fondement de la mécanique classique, ainsi que la loi de l’attraction universelle. La traduction et les commentaires pertinents de la marquise, remarquables pour l’époque, remplissent deux épais volumes  23Voir ici et ici.. Ils furent publiés en 1759 « avec approbation et privilège du roi », dix ans après la mort de la marquise des suites de son 4e accouchement.
  • Voltaire (1694-1778), sous l’influence de la marquise du Châtelet qui fut longtemps sa compagne, avait déjà fait œuvre de vulgarisateur scientifique, par exemple en publiant « Des éléments de la philosophie de Newton » (1738)  24Voir « La table des éléments de la philosophie de Newton »..
  • Stendhal (1783-1842) s’apprêtait à étudier les mathématiques avant de s’engager dans les armées, comme il en fait état dans son autobiographique « Vie de Henry Brulard »  25Voir ici..
  • Marcel Proust (1871-1922) avait une bonne culture scientifique, due en partie à Georges Colomb, son maître au lycée Condorcet  26Voir le billet Le Savant Cosinus de Jacques Lafontaine..

Bien d’autres écrivains furent exemplairement sensibles aux préoccupations des mathématiciens (parmi lesquels beaucoup le leurs rendent bien), et n’ont pas été élus à l’Académie française. Mentionnons Jules Verne, Jules Vallès  27 Voir Wikisource., Raymond Queneau, Georges Perec et Jacques Roubaud 28Voir le billet Poésie, spirales, et battements de cartes de Michèle Audin.

Henri Poincaré

Emile Picard

Il fut aussi de tradition que des mathématiciens siègent à l’Académie française. Citons deux des plus célèbres :

Henri Poincaré (1854-1912)  29Voir le portrait Henri Poincaré de Philippe Nabonnand., qui domina de si haut toutes les mathématiques de son temps (et d’ailleurs en prime une part importante des mathématiques actuelles), fut élu à l’Académie française en 1908 ; il était déjà membre de l’Académie des sciences depuis 1887. Il fut suivi par l’un de ses contemporains qui a également laissé un immense héritage mathématique, Emile Picard (1856-1941)  30Voir le billet Deux ou trois choses que je sais d’Émile Picard … de Michèle Audin., élu à l’Académie française en 1924, et à l’Académie des sciences en 1889.

Depuis sa création par Richelieu en 1635, l’Académie française a reçu 719 membres, en fonction 40 à la fois (sauf sièges vacants entre la mort d’un membre et l’élection de son successeur). Sur le site officiel  31Voir le site de l’Académie française et plus précisément ici., il y en a 15 sur 719 qui sont répertoriés comme mathématiciens. Parmi eux, Picard et Poincaré sont les derniers élus  32Poincaré et Picard sont incontestablement des mathématiciens de premier ordre. Le site de l’Académie française classe également parmi les mathématiciens deux membres élus après eux, à savoir Louis de Broglie (1892-1987, élu en 1944) et Edouard Le Roy (1870-1954, élu en 1945). Mais Broglie est d’abord un physicien, et Le Roy, dont je ne connaissais pas le nom avant de rédiger ce billet, est apparemment un philosophe des sciences..

Avant Poincaré et Picard, l’Académie française s’illustra notamment en élisant Pierre Louis Moreau de Maupertuis, physicien, mathématicien, etc. (1698-1759), Claude-Gaspard Bachet de Méziriac, auteur de remarquables Récréations arithmétiques (1581-1638), Jean le Rond D’Alembert,mathématicien et encyclopédiste (1717-1783) 33Voir le billet Peut-on vulgariser D’Alembert ? de Pierre Crépel, Nicolas de Condorcet, philosophe, mathématicien et politologue (1743-1794) 34Voir le billet A voté de Louis Funar., Pierre-Simon de Laplace, mathématicien et astronome (1749-1827), Joseph Fourier, mathématicien et physicien (1768-1830), et Joseph Bertrand, mathématicien (1822-1900)  35Voir le billet Mai 1871 : Sophie, Joseph, Charles, Simon, et cinq cent soixante-huit théorèmes de Michel Chasles de Michèle Audin..

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Du tout beau monde, mais pas né de la dernière pluie. Il est temps de penser à couper un habit vert 36Le tailleur devra tenir compte des contraintes d’usage de L’habit vert et l’épée. aux mesures d’une ou d’un membre mathématicien. Pour un tailleur manquant un peu d’exercice récent, les mesures de Barbapapa seraient l’occasion d’une remise en forme à ne pas manquer.

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Post-scriptum

Je remercie Jean-Paul Allouche, Shaula Fiorelli-Vilmart, Jean-Blaise Paschoud et Jean Schmid de plusieurs messages bien utiles à la rédaction de ce billet.

ÉCRIT PAR

Pierre de la Harpe

Professeur - Université de Genève

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Commentaires

  1. Secrétariat de rédaction
    août 21, 2010
    12h56

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