Bon anniversaire Mr Darwin !

Tribune libre
Publié le 4 février 2009

Les mathématiciens qui cohabitent avec un chat me comprendront sûrement. A force, on se sent un peu honteux de ne jamais faire figurer son nom sur les publications en remerciement de sa participation intense et fructueuse… En effet y-a-t’il collaborateur plus fidèle, plus enthousiaste, plus prêt à vous emboîter le pas pour travailler : tous les jours, samedi et dimanche compris, à toute heure du jour et de la nuit, le chat est là, sur la table de travail. Il se love avec délectation sur les démonstrations un peu longues, vous en interdisant l’accès et vous obligeant ainsi à réécrire en plus concis, plus clair. Il vient, d’un air innocent mais d’une patte ferme, et en un passage sur le clavier trouve le moyen d’effacer cette formule qui finalement n’était pas si juste et que vous n’aviez pas encore sauvegardée… Il miaule pour réclamer sa pitance quand il sent bien que vous êtes en train de vous égarer. Certes, il dort souvent… Mais ne vous est-il jamais arrivé d’être agacé par un collègue qui s’endort à votre séminaire et pose, à la fin, suprême indélicatesse, une question pertinente ?

Ce matin, j’étais en train de réfléchir sans grande conviction à une question importante quand j’ai entendu mon chat penser tout haut. Bien sur, on peut me rétorquer qu’il s’agit là d’une hallucination, et c’est bien possible. Mais elle se produit de temps en temps et je n’ai pas jugé bon d’en parler à mon psychanalyste…

Voici ce que le chat pensait.

« C’est l’anniversaire de Darwin… Dans le fond, la blessure infligée par Darwin au narcissisme des Chats n’est toujours pas cicatrisée. Ce que dit Darwin c’est que le Chat n’est rien d’autre ni rien de mieux que les autres espèces animales, il est issu de la série animale, apparenté de près à certaines espèces, de plus loin à d’autres. Ses acquisitions ultérieures ne sont pas parvenues à effacer les témoignages de cette équivalence, présents dans son anatomie ainsi que dans ses dispositions psychiques. Darwin a vexé le Chat. Vexation biologique qui prend place entre la vexation cosmologique dont Copernic est l’auteur et la vexation psychologique que constitue la découverte de l’inconscient. Est-ce l’amour propre des Chats qui continue à résister à la vision Darwiniste ? On peut même parler de traumatisme. En vérité ce n’est pas tellement le fait que le Chat ait des ancêtres communs avec d’autres espèces qui est perturbant, c’est plutôt le fait que l’évolution est sans finalité, le fait que l’être Chat, « émergence contingente, aveugle et tardive » n’est pas le couronnement, ni un aboutissement, il est venu par hasard !! Et cette purgation de la croyance en la finalité me semble beaucoup plus éprouvante que l’abandon du créationnisme.

Entendant cela, j’ai bondi de ma chaise si violemment que j’ai renversé ma tasse de thé. Il s’en est fallu de peu que l’ordinateur ne fut noyé…

Le chat m’a regardé avec un sourire. Il pensait « ces humains sont vraiment touchants, bien maladroits, mais touchants, vraiment… Et puis si on parle d’évolution, ils forment une espèce assez évoluée. Certains, à force de dressage arrivent même à balbutier quelques éléments de mathématique. »

Post-scriptum

Les pensées du chat sont librement inspirées de l’émission « Répliques », du samedi 31 janvier 2009 : Darwin et le bouleversement du monde, sur France Culture

ÉCRIT PAR

Dominique Picard

Professeur émerite - Sorbonne Université, Paris

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