Cette année, on fête le bicentenaire de la mort de Joseph-Louis Lagrange (Giuseppe Luigi Lagrangia), 1736-1813, cela donne lieu à un grand nombre de manifestations.
Quelques dates à noter
Voici les manifestations que j’ai recensées (avec l’aide de Christian Gilain).
- Journée Lagrange à L’Accademia delle Scienze de Turin, le 8 avril. 3 vidéos sont disponibles
- Colloque Lagrange à Pise, du 15 au 18 avril : capture vidéo disponible sur le site de la Scuola Normale Superiore.
- Journée Lagrange à l’Institut Henri Poincaré à Paris, le 17 mai (dans le cadre du séminaire d’histoire des mathématiques), capture vidéo disponible sur youtube.
- Journée annuelle de la Société Mathématique de France à l’Institut Henri Poincaré à Paris, le 28 juin (voir ci-dessous).
- Exposition à l’Ecole Polytechnique, du 23 septembre au 15 décembre.
- Deux journées Lagrange au CIRM, les 18 et 19 octobre.
- Journée à l’Institut Henri Poincaré à Paris, le 6 décembre (dans le cadre du trimestre Dynamique Gravitationnelle).
Deux Exposés
Lors de la journée annuelle de la Société Mathématique de France, deux contributions de Lagrange ont été présentées :
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- le calcul des variations, par Sylvia Serfaty ;
- un théorème de stabilité en mécanique céleste, par Jacques Féjoz.
Les conférenciers ont rédigé des textes rassemblés en un petit opuscule qui était distribué gratuitement le 28 juin, mais qu’on peut acheter désormais en ligne.
Lagrange est une sorte d’autodidacte en mathématiques : il lit seul, dès l’âge de 14 ans. A 18 ans, il obtient son premier résultat, qu’il envoie à Euler. Celui-ci ne répond qu’à sa deuxième lettre, qui est le point de départ d’une correspondance régulière, au cours de laquelle la théorie du calcul des variations (le choix du vocable revient à Euler) s’élabore.
Dès la fin du XVIIème siècle, des problèmes de minimum ont été résolus. C’est le cas du problème de Newton : trouver la forme d’un solide de révolution qui offre la moindre résistance à un fluide, dans la direction de son axe. La solution de Newton (1695) est géométrique. Et aussi, du problème de la brachistochrone : trouver le profil d’une glissière qui amène le plus vite un point matériel d’un point à un autre sous l’effet de la gravité. Bernoulli (1699), Leibnitz, Newton, donnent des solutions ad hoc. Euler cherche une méthode systématique, qui s’applique à une large classe de problèmes de minimum. En 1744, il obtient l’équation appelée de nos jours équation d’Euler-Lagrange.
Lagrange trouve la méthode d’Euler trop géométrique, il souhaite l’affranchir de toute géométrie, ne garder que le calcul. Il y parvient, sa formulation est très générale, elle inclut les problèmes avec contrainte, comme le problème isopérimétrique, les géodésiques en présence d’obstacles, et les problèmes à plusieurs variables (e.g. surfaces minimales). Parmi les réussites précoces de la théorie, il y a son application à l’intégrale d’action (intégrale de la différence entre l’énergie cinétique et de l’énergie potentielle), on retrouve le principe fondamental de la dynamique. C’est la première démonstration du principe de moindre action de Maupertuis. Dès 1756, Lagrange perçoit la portée de l’opération (origine variationnelle des équations de la physique), mais n’y attache aucune signification métaphysique. Sylvia Serfati souligne que le slogan de Lagrange sera la substitution de l’analyse, vue comme application mécanique de règles de calcul, à la géométrie. Dur à entendre, pour un géomètre comme moi.
Au cours de sa carrière, Lagrange a reçu 6 fois le grand prix de l’Académie des Sciences française, chaque fois sur des questions de mécanique céleste. C’est dire si ce sujet a été présent dans ses préoccupations. Jacques Féjoz a choisi un résultat de stabilité du système solaire que Lagrange et Laplace ont mis des décennies à obtenir. On voit les équations qui gouvernent le mouvement des planètes comme une perturbation du système képlérien (dans lequel l’attraction mutuelle de deux planètes est négligée). Lagrange et Laplace ont découvert une approximation des équations, qui conserve certains des premiers termes du développement mais néglige les termes d’ordre plus élevé, et trouvent pour ce système approché de nouvelles intégrales premières (grands axes des ellipses osculatrices des orbites). De plus, pour les solutions du système approché, ils prouvent que les oscillations des excentricités (des ellipses osculatrices) et des inclinaisons sont de moyenne nulle. Autrement dit, il existe un système dynamique très proche de celui de la mécanique céleste qui est stable.
On peut montrer que si on est loin des petites résonances, l’approximation de Lagrange et Laplace est justifiée. Résonance signifie que les fréquences képlériennes sont linéairement dépendantes sur les rationnels. En présence d’une petite résonance, les planètes retrouvent périodiquement les mêmes positions relatives, l’attraction mutuelle agit toujours dans le même sens, les perturbations s’accumulent, le rôle du reste ne peut plus être négligé. Est ce que cela peut conduire à des collisions ou des éjections de planètes, dans un délai inférieur à la durée de vie du Soleil ? Les simulations numériques effectuées par Jacques Laskar depuis les années 80 indiquent que oui. Un résultat récent de J. Féjoz, M. Guardia, V. Kaloshin et P. Roldan décrit un mécanisme (pistage de variétés stables et instables d’un cylindre invariant normalement hyperbolique) qui produit des trajectoires le long desquelles les excentricités ne restent pas bornées, dans un cas simple. Autrement dit, il est possible que le système solaire soit instable.
Post-scriptum
2 articles sur le sujet :
- La brève MPT2013 sur Lagrange, parue le 10 avril, comporte une courte bibliographie
- Lagrange dans Images des Mathématiques : Théorie du contrôle, points de Lagrange, et exploration spatiale.