Compétition ou émulation scientifique

Tribune libre
Écrit par Pascal Chossat
Publié le 20 octobre 2009

La compétition est devenue un leitmotiv sacro-saint dans notre société et la science n’échappe pas à la règle. La compétition c’est l’obligation d’excellence, l’élimination dite « darwinienne » des moins performants. Cependant en mathématiques la compétition s’associe dans un jeu subtil à la coopération et elle ne prend pas nécessairement la forme d’une lutte pour la vie. Il serait préférable de la nommer plutôt « émulation scientifique » car son but n’est pas d’éliminer les concurrents mais de garantir les meilleurs résultats possibles par la confrontation des idées. Pour cela le défi scientifique est évidemment important, mais aussi la mise en commun des efforts pour progresser, y compris avec des équipes à l’autre bout du monde. Le fait que les enjeux financiers soient absents ou modestes (en général) n’est pas étranger à ce fonctionnement plutôt coopératif de la recherche mathématique. Cela dit, l’émulation prend parfois un tour inattendu ou amusant. Je me souviens d’un défi qui a opposé un mathématicien français à un mathématicien hollandais lors d’un colloque il y a une vingtaine d’années. Le premier avait joué un rôle décisif dans la mise au point d’une méthode aussi simple qu’efficace pour calculer ce qu’on appelle la « forme normale d’un champ de vecteur au voisinage d’une singularité » (il s’agit d’opérer des changements de variables successifs pour rendre le développement polynomial du champ de vecteur le plus simple possible). Le second avait programmé sur ordinateur un algorithme permettant de faire ces calculs à partir du formalisme très sophistiqué des groupes et algèbres de Lie. Bien entendu chacun prétendait que sa méthode était la meilleure et ils se sont lancés des défis : « je te parie qu’avec ma méthode, j’irai plus vite à la main que ta machine pour calculer telle ou telle forme normale ». Cela se passait en fin de journée, après les conférences. Le lendemain matin ils comparaient leurs résultats. La méthode « manuelle » gagnait presque toujours ! Aujourd’hui les progrès de l’informatique changeraient sans doute la donne…

Crédits images

Image à la une – AWeith, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons

ÉCRIT PAR

Pascal Chossat

Directeur de Recherche - CNRS, Université de Nice

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