Les nombres premiers sont les blocs indivisibles qui composent les entiers naturels. Depuis qu’ils ont vu le jour, ils n’ont eu de cesse de fasciner les mathématiciens. Manprasad 2Personnage fictif imaginé pour faire de la lecture de ce poème une petite saynète ! n’y a point échappé. Professeur de mathématiques et homme de culture, il était particulièrement épris de poésie et de musique. Il enseignait de façon singulière et sa pédagogie était hors norme : il ne manquait jamais de motiver ce qu’il racontait et aimait dire les choses avec simplicité, beaucoup de clarté et en les imprégnant souvent d’une petite touche poétique. Un vendredi de printemps, la matinée s’étant annoncée belle et agréable, il a jugé plus plaisant de dispenser son cours en plein air. Il emmena alors ses élèves au bord de l’étang sur le plateau qui surplombe le village. La leçon portait sur les nombres premiers et, ce jour-là, il l’a voulue plus musicale.
Un, deux, trois, quatre, cinq…
Non ! Deux, trois, cinq… !
Pourquoi, cher Maître,
Ne peut-on tout mettre ?
Ces nombres en quantité,
N’ont-ils pas la même qualité ?
Chers enfants, c’est un blasphème
Que de croire qu’ils sont les mêmes !
Une nature héritée à la naissance,
A mis certains dans la bienséance.
Elle en a fait les briques
Qui bâtissent l’arithmétique.
Tout nombre est divisible par un
Point de cela n’est opportun.
Narcissique, il se regarde et s’aime,
Toujours multiple de lui-même.
Et si, par joie et bonheur,
Il n’a que ces diviseurs,
Il est des premiers de la classe
À qui on offre de la place,
Dans un monde intentionné
De mathématiciens passionnés.
Maître ! y en a-t-il encore ?
Pléthore, répondit le mentor.
Mais d’abord, une chansonnette
En guise d’amusette,
Qui nous révélera sans peine
Quels intrus nous gênent !
Et comme de bons vieux amis,
Maître et apprentis s’y sont mis :
Quatre est le double de deux :
Deux fois deux !
Six est un triplet de deux :
Trois fois deux !
Huit est un produit de trois :
Deux puissance trois !
Neuf est spécial :
C’est un carré impérial !
Dix est quintuple de deux :
Cinq fois deux !
Trois premiers attendent sur la pelouse :
Deux, trois et deux pour faire douze !
Quatorze a de la veine :
C’est une double semaine !
Les voix s’éteignent, silence,
Plus que le maître et sa sentence :
Pour éliminer cette suite,
Rien de tel qu’une poursuite,
Bien saccadée en scène
Par le crible d’Eratosthène !
Nos soldats resplendissants
Se rangent en croissant.
Alors, sans complaisance,
La rafle commence.
On garde deux et on cible
Le reste de ses multiples.
Effronté, trois se mêle à la fête
Et subit la même tempête.
Sans prendre de pause,
Cinq défend la même cause.
Et sous les coups de tonnerre,
Ceux où il niche sont mis à terre.
Dès que sept s’est positionné,
Ses multiples se sont fait sonner.
La bataille fait rage,
Et avec tout son courage,
Onze dresse ses deux piliers
Mais n’arrive guère à se multiplier.
Treize, le gentil porte malheur,
Demeura debout, la main au cœur.
D’un coup de soufflet, ceux qu’il divise,
Sont emportés par la brise !
Ainsi, nos soldats composés,
Finirent tous par agoniser.
Mais point de pitié, la mitraille continue
Son interminable chemin vers l’infini !
Ne restent plus en piste
Que les premiers de la liste :
2, 3, 5,… 17…
29, 31,… 47…
53, 61,… 79…
89, 97,…109…
Et beaucoup de tels nombres,
Sont encore dans l’ombre !