Conversation autour de l’araignée et de la chauve-souris

Tribune libre

Des lycéens se confient suite à un exposé de Cédric Villani donné à Strasbourg début novembre 2012

Publié le 13 décembre 2012

Six novembre 2012 : « De l’araignée à la chauve-souris », exposé de Cédric Villani à l’UFR de math-info de Strasbourg. Malgré les vacances de la Toussaint, six cents personnes, majoritairement des lycéens, assistent à cet exposé, parmi lesquelles, trois lycéens sont revenus nous parler de cette journée mémorable.

Il ne s’agit pas ici de faire un compte-rendu exhaustif de cet exposé mais plutôt de s’intéresser au public.

Un public nombreux

Le public était si nombreux qu’il fut réparti dans les deux amphis de maths, ainsi que dans la salle de conférence de l’institut de recherche mathématique de Strasbourg. Aurélien et Eleuthériane, deux élèves de terminale S du lycée Camille Sée de Colmar, ainsi que Chloé, élève de seconde du lycée Pasteur de Strasbourg nous ont fait la gentillesse de venir nous parler de cette journée mémorable. Myriam et Camille, élèves à l’Ecole européenne étaient excusées, pour une bonne raison puisqu’en même temps elles avaient cours de maths … Elles ont donc répondu par mail à notre questionnaire.

Chloé, Aurélien, Eleuthériane

L’occasion d’un échange informel autour de cet exposé, de discussions autour des mathématiques, des aspirations des élèves. Un échantillon non représentatif, mais dont l’avis nous importe cependant beaucoup.

Les motivations

Mais alors : pourquoi tous ces lycéens ont-ils pris sur leurs vacances pour venir écouter cet exposé où il était question de mathématiques ? Bien sûr, le rectorat a fait de la publicité autour de cet événement, bien sûr, les professeurs de mathématiques se sont organisés, certains s’occupant du déplacement de toute une partie de leur classe, parfois de loin. Ainsi des lycéens de Thann, une ville des Vosges alsaciennes à 1h30 de Strasbourg, sont venus pour cet exposé. Mais cela n’explique pas tout.

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Un début d’explication, donnée par Chloé, Eleuthériane, et Aurélien, tourne autour du personnage de Cédric Villani, plutôt médiatique, qui est décrit comme attirant, voire « fascinant », même si finalement, « dès qu’il parle, il est tout à fait normal ». Et plus sérieusement, c’est un savant, un vrai savant, lauréat de la médaille Fields, qui vient parler à des adolescents, qui sont très loin du monde de la recherche en général et de la recherche en mathématiques en particulier. Non seulement, ils en sont honorés mais cela attise aussi leur curiosité. Et nous disent-ils, trop peu de scientifiques font l’effort d’aller vers les lycéens. Enfin le titre « les mathématiques de la chauve-souris » m’ont interpellé par son originalité et son mystère … ajoute Myriam.

Et surtout, notre jeune public nous confie que les maths sont une matière qui plaît encore aux lycéens, même s’ils ne veulent pas forcément en faire une carrière.

A toutes ces raisons, ajoutons aussi que Cédric Villani possède de vrai(e)s fan(e)s, avec ce que cela peut avoir d’un peu irrationnel.

Les impressions

« La joie, le bonheur de faire des maths » : voilà ce qui ressort de l’exposé. Au point que même à ceux qui n’ont pas forcément envie de faire des maths (comme Aurélien qui veut faire de l’informatique ou Camille intéressée par le métier d’ingénieur), « il donne envie ». Quant à Eleuthériane, qui avait déjà envie d’aller faire des maths, cela la conforte tout à fait dans son idée. Chloé, en seconde est plus incertaine sur son orientation future, quoiqu’elle se voie volontiers professeur de mathématiques, mais, elle aussi, est conquise par la présentation qu’a faite Cédric Villani de l’activité de mathématicien. Tous s’attendaient aussi à un exposé « pur et dur » de maths, et Cédric Villani n’a pas parlé que de « la mathématique », mais de comment cette matière s’est construite, comment cette science permet de mieux comprendre le monde, comment travaille un chercheur. Il s’agissait de « la mathématique » au sens large et aussi des mathématiciens, « qui ne travaillent pas que pour eux » comme le constate Camille.

Ce dessin est extrait du Blog abstrusegoose.

La mathématique

Quelle est la perception de la mathématique après cet exposé ? Rien de plus concret qu’une chauve-souris et une araignée. Mais les maths, est-ce concret ? Aurélien note que c’est la science du calcul et des statistiques, et donc c’est bien concret. Et puis, une figure géométrique, comme un triangle ou un parallélogramme, c’est aussi du concret, qui a des conséquences pratiques en architecture. Chloé parle alors de toutes les applications concrètes des mathématiques, avant qu’Eleuthériane ne tienne des propos un tantinet provoquant qu’au fond, les applications, on s’en moquait un peu. Myriam, en revanche, est très impressionnée d’avoir vu comment les mathématiques étaient utilisés pour classer les différentes espèces d’araignée l’araignée et pour expliquer comment la chauve-souris repère ses proies 4Pour en savoir plus, il faut regarder la vidéo.. En tout cas, la cause est entendue : il y a des mathématiques partout.

Et le rappel de la mention par l’orateur du paradoxe de d’Alembert 5 Les lecteurs avertis pourront consulter à ce sujet ce très bel article sur la modélisation mathématique du vol (d’un avion), qui démontra qu’un oiseau ne pouvait pas voler, fait de nouveau rire tout le monde….

La beauté des formules

Il y avait de jolies formules et même de jolis dessins dans cet exposé, de quoi quitter le monde concret pour pénétrer celui, plus mystérieux de l’abstraction, qui confère à la mathématique leur « universalité » pour citer Myriam. Et comme Chloé nous l’a dit, « je n’ai pas tout compris » 6que tous les lecteurs se rassurent : l’auteur de ce billet non plus. Mais était-ce si grave de ne pas tout comprendre ? En fait non. Grâce aux efforts de l’orateur, à son humilité, à son respect pour le public, on pouvait facilement reprendre le fil de l’exposé, « quand les choses devenaient plus faciles ».

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Quant aux formules, tout le monde est d’accord pour dire qu’elles sont [très esthétiques] : ces jolies formules excitent la curiosité, donnent envie d’en savoir plus. Aurélien en profite même pour confesser que la chimie ce n’est pas toujours très parlant non plus…

Et au fait, est-ce que vous trouvez que les maths, c’est amusant ?

Réponse : « oui », pour Eleuthériane, « parfois » pour Aurélien … Et le cri du cœur de Camille : « Dès qu’on a un problème il est super intréressant d’essayer de trouver une solution. »

Et la suite ?

Après le succès de l’exposé de Cédric Villani, l’UFR de math-info propose de retrouver les lycéens en janvier pour un nouvel exposé, fait par un jeune ou une jeune mathématicienne de Strasbourg. L’occasion de découvrir la recherche mathématique sous un autre angle, présentée par un jeune collègue. Sur quel thème ? Si vous avez la chance d’être lycéen en Alsace, c’est à vous de choisir en suivant ces indications à partir de cette page.

Post-scriptum

Je remercie Marounia Kremer-Schmitt pour avoir organisé la venue de Cédric Villani à Strasbourg, ainsi que pour ses conseils de rédaction de ce billet.

Je remercie chaleureusement Chloé, Aurélien, Eleuthériane, Myriam et Camille, pour leur participation à cet interview.

Je remercie Cédric Villani d’avoir accepté que j’utilise les images de son exposé à Strasbourg.

ÉCRIT PAR

Christine Huyghe

Directeur de Recherche CNRS - l'Université de Franche-Comté (Besançon)

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