Note technique 05 pour la Commission Torossian/Villani

CQFD : Libérez-nous de l’évaluation, de la gouvernance, du management… et de tous les enfants légitimes de la technocratie

Débat
Écrit par Michel Delord
Publié le 18 décembre 2017

Artisanal ou industriel

J’ai connu d’abord comme élève entre 1956 et 1967 puis comme professeur au début des années 70 une époque de l’enseignement, époque qui était d’ailleurs sur sa fin, dans laquelle « on ne pilotait pas le système éducatif » on ne parlait ni de management ni de gouvernance ni d’évaluations et dans laquelle aucun chef d’établissement ou directeur d’école n’aurait eu l’idée de faire intervenir le taux de passage dans la classe supérieure, taux local départemental ou national, pour savoir si l’élève X de CE1 devait passer directement en CM1, aller en CE2 ou redoubler.

Comment décidait-on ? L’instituteur qui n’avait pas besoin de regarder les notes de l’élève X, d’ailleurs assez peu nombreuses, disait : « Il doit sauter une classe car il va s’ennuyer en CE2 », « Il doit passer dans la classe supérieure » ou « Il doit redoubler car il ne pourra pas suivre avec profit les cours de CE2 ». J’ai encore vu quelques conséquences de cette attitude en conseil de classe quand j’étais jeune professeur car ceux qui avaient les avis les plus pertinents sur les élèves étaient ceux qui ne regardaient pas leurs cahiers de notes, ce qui était plus facile que maintenant car les profs avaient individuellement moins d’élèves (en gros, classes de 20 au lieu de 30) et pour un temps plus long (j’ai fini à 3h par classe de sixième alors que j’avais le double au début de ma carrière).

Je tiens également à préciser que contrairement à ce qu’on croit, on avait très peu de notes, seulement pour les compositions :

  • en primaire j’avais une note par mois et par matière (je suis arrivé en primaire à la fin du « cahier mensuel », qui était le cahier dans lequel il n’y avait que les compositions)
  • au lycée, on n’avait qu’une note par trimestre, soit trois notes par an et par matière.
    Et qui plus est, il existait un texte du RLR (Recueil des Lois et Règlements) dont je ne me rappelle pas l’énoncé exact qui disait en que l’on ne pouvait pas opposer l’argument de la moyenne à l’avis de l’enseignant sur le passage dans la classe supérieure.

Mais ce système a été considéré comme possiblement injuste et l’on a introduit sous le nom de « contrôle continu » la prolifération galopante des notes, qui n’est donc pas une caractéristique de l’ancienne école mais de celle des réformes d’après 68. Son défaut n’a pas seulement été de favoriser le « travailler pour la note » mais aussi de parcellariser la connaissance puisque l’on a ainsi encouragé la tendance à ne poser au nouveau contrôle que des questions qui portent sur ce qui a été étudié depuis le contrôle précédent.

Et quant au rôle des statistiques dans la gouvernance de l’éducation nationale, la partie II – Petite histoire du niveau qui monte – en donne un résumé qui n’est certes pas très avantageux pour les organismes officiels d’évaluation mais qui aurait pu être beaucoup plus sévère mais tout aussi argumenté si j’avais eu plus de temps pour rédiger.

Concluons par une remarque : les métiers de mathématicien et d’enseignant sont des métiers d’artisan et en ce sens leurs fonctions profondes ne sont pas la réalisation de produits de grandes séries standardisées*. Or l’évolution dont je décris supra quelques aspects est une véritable industrialisation – souhaitée – de l’enseignement. Tant que l’enseignant sera sommé de passer plus de temps à évaluer qu’à enseigner et tant que l’on considérera que l’on peut remplacer « l’avis de l’enseignant qui connait ses élèves et les disciplines qu’il doit enseigner » par des analyses statistiques et des logiciels optimisés par l’utilisation de datas encore plus big que les datas précédentes, on optimisera la dégradation des restes de rationalité que possède encore l’enseignement.

 

*A propos des « grandes séries standardisées » : Sans aucune exagération on peut dire que l’offre pédagogique simule de plus en plus les grandes surfaces dans lesquelles le client professeur fait le tour des rayons pour trouver diverses activités qui lui permettant d’introduire, sans aucun préalable mathématique puisqu’il n’y en a pas en rayons, qui les décimaux, qui la proportionnalité, qui les parallélogrammes … En répétant régulièrement cette pratique, on peut arriver au but suprême : remplir l’esprit de l’enfant d’un amas hétéroclite de conceptions sans aucune organisation qui lui rendent odieux dans l’immédiat et à long terme tout ce qui se présente comme mathématique.

Petite histoire du niveau qui monte

SUITE DU TEXTE LONG  [Parties A B C D ]

 

E – Confiance ?

Le ministre insiste beaucoup sur « la confiance » : il explique qu’il a confiance dans tous les acteurs de l’éducation et qu’il souhaite que les enseignants aient confiance dans leur hiérarchie et en eux-mêmes.

Ce dernier point me semble important mais comme on vient de le voir tous les appareils chargés de l’évaluation ont pendant quasiment 50 ans passé leur énergie et leur temps à montrer aux enseignants qu’ils ne devaient pas avoir confiance en leur jugement et qu’ils devaient au contraire suivre les positions de manipulateurs statistiques qui les contredisaient systématiquement. Or si le ministre a confiance en tous les acteurs de l’enseignement, il a donc – malheureusement ?– confiance dans le Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO) et la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP)

Que doit-il faire s’il veut que ceux qui connaissent les élèves, c’est-à-dire les enseignants, aient confiance dans leur ministre ? Et encore plus important, puisque les ministres passent, que peut-il faire pour que ces mêmes enseignants aient confiance dans leurs hiérarchies pédagogiques et administratives, qu’ils voient beaucoup plus souvent que leur ministre et dont on ne peut pas dire qu’elles ont montré des capacités critiques exacerbées par rapport à leurs propres supérieurs ?

TEXTE COMPLET

Lectures complémentaires

(sur « le niveau », le CEP, les statistiques, PISA, Le modèle de Rasch, etc.)

1980 – André Revuz : La didactique des mathématiques in André Revuz, Est-il impossible d’enseigner les mathématiques ?, PUF, 1980, p.127 à 129

1996 – La brochure de la DEP : Connaissances en français et en calcul des élèves des années 20 et d’aujourd’hui

1996 – Connaissances en français et en calcul des élèves des années 20 et d’aujourd’hui. Note d’information de la DEP 96.19 – Avril 1996.

2003 – MD – Commentaires sur l’étude de la DEP de 1996.

2003 – MD – Et propter vitam, vivendi perdere causas

Oct. 2005 – MD – Programmes de mathématiques de la scolarité obligatoire : Quelques conceptions historiques. Exposé au Colloque Franco-Finlandais « L’enseignement des mathématiques à partir de PISA »,

27/02/2014 – MD – Vaccination contre le PISA-Choc.

27/04/2014 – MD – PISA : L’exception française.

30/04/2014 – Luc Cédelle – Doutes sur PISA dans la presse internationale.

07/05/2014 – MD – PISA : L’exception française confirmée.

2014 – PISA : Lettre ouverte au Dr. Schleicher, OCDE, Paris.

ÉCRIT PAR

Michel Delord

Professeur Certifié à la retraite -

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Commentaires

  1. Secrétariat de rédaction
    janvier 5, 2018
    9h27