Dan Quillen (1940-2011)

Hommage
Publié le 17 mai 2011

Spécialiste de topologie algébrique, décédé il y a quelques semaines, Daniel Quillen a laissé une œuvre mathématique importante et d’une extrême élégance. Pour les lecteurs d’Images des mathématiques, nous évoquons ici quelques traits de sa personnalité.

Dan Quillen nous a quittés le 30 avril 2011, il avait 70 ans. Il y a plusieurs années les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer firent leur apparition, le contraignant à arrêter son activité scientifique, puis ses activités musicales avant de l’emporter définitivement.

Américain, ayant fait des séjours en France, professeur à Oxford en Angleterre, il était spécialiste de topologie algébrique et de K-théorie. Ses travaux ont été distingués par de nombreux prix, dont la Médaille Fields en 1978.

On dit parfois qu’il y a deux sortes de mathématiciens : ceux qui planchent sur des conjectures pointues et ceux qui élaborent de vastes théories. Quillen excella dans les deux registres3Je ne citerai pas ici tous ses travaux, mais pour ce qui est des conjectures il a, entre autres, donné une démonstration simple pour le calcul du groupe de cobordisme, démontré une conjecture d’Adams, répondu positivement à une question de Serre (sur la liberté des modules projectifs de type fini sur un anneau de polynômes). Et, pour ce qui est des théories il est l’architecte de la K-théorie algébrique supérieure, l’algèbre homotopique, la théorie de l’homotopie rationnelle (avec D. Sullivan). .

Ce n’est pas le lieu de décrire l’œuvre mathématique de Quillen. Je renvoie ceux des lecteurs qui sont mathématiciens à un article plus long. Je me contenterai ici d’évoquer sa personnalité.

Discret et souriant. Socialement Quillen était quelqu’un de très discret, peu expansif, même s’il arborait toujours un sourire bienveillant. Je l’ai rencontré pour la première fois à Seattle en 1972. A mon arrivée à l’aéroport, il y avait tout un groupe de mathématiciens américains. Un de mes collègues m’indiqua lequel était Quillen. Ce fut un choc pour moi, car il était déjà dans notre univers un très très grand mathématicien et l’homme qui était là ressemblait à un adolescent, même si ses cheveux étaient déjà poivre et sel.

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Économie et concision. Il eut peu d’étudiants, peu de co-auteurs 4L’auteur de ce billet a travaillé avec Quillen sur l’homologie cyclique dans les années 1980., mais énormément de lecteurs et de continuateurs (« followers »). Une fois devant le tableau noir, on le sentait vivre, vibrer, c’était un feu d’artifice devant nos yeux. Sa pensée et ses écrits avaient toujours une grande qualité de concision : pas de mots superflus, pas de « baratin », pas de sauce inutile, il allait toujours au cœur de la question avec une économie d’outils et de mots extraordinaire. L’un des exemples les plus frappants est son tout premier article : il fait 2 pages dans lesquelles il démontre un théorème d’Artin et Mazur. L’article de ces derniers fait 40 pages.

Gentillesse. Une autre facette importante de la personnalité de Quillen est son extrême gentillesse et son humilité. Je ne rapporterai qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. Dans la fin des années soixante, il élabora une théorie avec toutes ses propriétés, qui donna lieu à une prépublication. Peu après cette rédaction il eut connaissance des travaux de Michel André sur le même sujet. Au lieu de se dépêcher d’envoyer son article pour le publier, il le garda sous le coude et rédigea un autre article dans lequel il fit la synthèse de ses travaux avec ceux de Michel André. Cette théorie est maintenant connue sous le nom de « théorie cohomologique d’André-Quillen ».

Les mathématiques m’ont apporté beaucoup de choses dans la vie, et croiser le chemin de Dan Quillen a été un très grand enrichissement et un réel bonheur.

 

ÉCRIT PAR

Jean-Louis Loday

Directeur de recherche (1946-2012) - Université de Strasbourg

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