De la connexité des lapins

Tribune libre
Version espagnole
Publié le 20 juin 2011

 

On verra comment une erreur rigolote peut mener à s’interroger sur la connexité des lapins.

A la fin des années 1990, je fis mes premiers exposés mathématiques en espagnol. Je me souviens encore de l’une de mes erreurs, qui déclencha le rire de l’assistance. En voulant dire qu’un certain ensemble (conjunto) était connexe 2C’est-à-dire d’un seul tenant, comme un point, un segment, un cercle., j’affirmai :

Este conjunto es conejo.

Je pense que les hispanisants auront au moins souri. Pour les autres, voici une explication de mon erreur : j’avais confondu conexo (connexe) et conejo (lapin). Pour excuser mon erreur, je voudrais préciser que les mots qui contiennent un X se prononcent parfois avec la Jota, comme Mexico au Mexique, et que ce qui s’écrit avec X en français peut avoir un J en espagnol, comme complexe/complejo, axe/eje ou luxe/lujo.

En y repensant récemment, je me suis souvenu d’un lapin mathématique, le lapin de Douady, et je me suis demandé s’il n’était pas, en fait, connexe. Et bien, c’est le cas, ce qui permet d’affirmer avec sérieux le théorème suivant :

El conejo de Douady es conexo

Mais qu’est-ce que ce lapin ? La manière la plus simple de le présenter, c’est d’en montrer une image. La suivante provient d’un article de Tan Lei sur ce site, dans lequel le lecteur intéressé apprendra beaucoup sur le contexte qui vit naître cet objet mathématique :

Lapin

Selon les auteurs, le lapin est soit l’ensemble figuré en noir dans le dessin précédent, soit sa frontière, représentée dans le logo. Les deux sont connexes !

Grâce au talent d’Arnaud Chéritat, le lecteur pourra aussi voir le lapin pratiquer une danse du ventre. Et même le Maître lui-même en parler, dans le film « La dynamique du lapin ».

Connexité du lapin de Douady

Voici une preuve de la connexité du lapin de Douady, telle qu’elle m’a été envoyée par Arnaud Chéritat. Hélas, nul ne la comprendra qui n’est géomètre. Mais cela n’empêche pas de constater le sens du théorème sur l’image.

Le lapin de Douady est l’ensemble de Julia du polynôme \(P(z)=z^2+c\), où \(c\) est choisi ainsi : on veut que le point critique \((z=0)\) soit périodique de période 3. Il y a trois valeurs de \(c\) solution, une réelle et deux complexes conjuguées, on prend celle qui a la partie imaginaire positive.

Notons que son paramètre est dans le membre 1/3 de l’ensemble de Mandelbrot  \(M\), c’est en fait le « centre » de la copie hyperbolique (le domaine ressemblant à un disque) attachée au bord de \(M\).

La connexité se démontre ainsi : \(J\) est la frontière de \(K\) qui est le complémentaire du bassin d’attraction de l’infini. Pour un polynôme, \(K\) est connexe si et seulement si \(J\) est connexe, ou encore si et seulement si aucun point critique ne s’échappe à l’infini. Ça se démontre en prenant les préimages successives d’un grand disque. L’unique point critique du lapin est périodique, donc \(J\) est connexe.

Soyons plus précis. Soit \(D\) un disque assez grand pour contenir \(K\).
Si tous les points critiques ont une orbite bornée, alors elle reste dans \(D\).
La préimage d’un ouvert connexe qui contient toutes les valeurs critiques est connexe.
\(K\) est l’intersection décroissante des compacts connexes \(adherence(f^{-n}(D))\) et donc est connexe.

Si au moins un point critique s’échappe, il faut voir que la préimage a, à partir d’un certain rang, au moins deux composantes connexes (et alors plus on va tirer en arrière, plus il y en aura). Ce rang est le premier
auquel au moins un point critique n’est pas dans la \(n\)-ième préimage \(f^{-n}(D)\). En effet, la \((n-1)\)-ème préimage est connexe. Ensuite, par le principe du maximum, la préimage d’un ouvert simplement connexe est une union (finie) d’ouverts simplement connexes. La formule de Riemann-Hurwitz donne qu’il y en a plus d’un.

Faire des erreurs peut donc être joyeux et source d’apprentissage, pourvu qu’on n’en ait pas honte, mais qu’on soit curieux. C’est l’une des choses les plus importantes que j’essaye d’enseigner à mes étudiants.

Post-scriptum

Mes remerciements les plus chaleureux vont à Arnaud Chéritat, pour ses renseignements détaillés sur le lapin de Douady.

ÉCRIT PAR

Patrick Popescu-Pampu

Professeur - Université de Lille

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