Des cours remarquables !

Tribune libre
Écrit par Michèle Audin
Publié le 23 septembre 2015

Ouagadougou, 22 septembre 2015

Oui, oui, nous sommes toujours à Ouagadougou (voir le billet précédent). Comment faire autrement ? Il y a eu encore un violent orage la nuit dernière, mais ce n’est pas ce qui empêche les avions d’atterrir puis de redécoller, ce n’est pas ce qui nous empêche de quitter le pays… Ce n’est pas non plus ce qui fait que nous sommes « confinés » dans notre hôtel depuis… sept jours.

Nous (plusieurs mathématiciens européens dont cinq Français, et encore beaucoup d’étudiants africains) continuons à faire des mathématiques, bien entendu, car que faire en un gîte à moins que l’on ne songe ?

Depuis hier ou avant-hier, afflux de journalistes dans cet hôtel : les hôtels plus centraux n’avaient plus rien à manger. Beaucoup de cris dans des téléphones et de contentement de soi : « J’ai fait un direct remarquable ! Ah ! Je suis bien content. Ça, c’est de la bonne radio ! » Nous avons essayé d’intéresser un de ces journalistes au fait que, bien que coincés là, nous continuons à travailler. Sans succès. Nous dédions donc ce scoop aux lecteurs d’Images des mathématiques.

Ce que nous faisons ? Nous avons travaillé tous les jours, samedi et dimanche aussi bien sûr. Nous donnons des cours, plus ou moins improvisés, plus ou moins à la demande.

Quelques commentaires « d’ambiance ». On m’a demandé de ne plus prononcer le mot « espace quotient » dans mes cours. Il paraît que cela provoque des catastrophes (un coup d’État, mercredi, la fermeture de l’aéroport avant-hier…). On m’a suggéré de proposer un stage aux militaires : « tu leur expliques que, quand quelque chose te gêne dans un espace, tu le tues » (oui, c’est ça, faire un quotient) « sans faire de mal à personne ».

Nous avons eu des cours remarquables, souvent improvisés, des uns et des autres, dans des conditions matérielles difficiles – nous ne sommes pas dans une salle de conférence, nous avons un ersatz de tableau de taille ridicule…

Sans parler du moral – moi qui croyais partir aujourd’hui, je vais encore rester cinq jours enfermée dans cet hôtel ? Chacun de nous attend des nouvelles, de son vol, de sa famille… Et les Burkinabè, combien de temps vont-ils avoir à supporter ce régime ?

Que ceux qui ont déjà vu une rue d’une capitale africaine aussi vide que celle de la photographie nous écrivent !

ÉCRIT PAR

Michèle Audin

Mathématicienne et oulipienne - Université de Strasbourg et Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo)

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