Des jeux pour vos vacances

Tribune libre
Écrit par Stéphane Lamy
Version espagnole
Publié le 20 août 2010

Janvier 1980. Yannick Noah n’avait pas encore gagné Rolland Garros ; la cinquième république n’avait jamais connu un gouvernement de gauche ; la micro-informatique n’en était qu’à ses balbutiements (la marque à la pomme créant déjà la sensation avec son Apple II…). J’avais 5 ans… Le premier numéro de la revue Jeux et Stratégie voyait le jour.

Certaines séries télé ont statut de série culte ; je crois que J&S est légitimement candidate au label de « revue culte ». A feuilleter de nouveau la collection complète acquise numéro après numéro par mon père, et soigneusement conservée depuis, je réalise combien j’ai été influencé par ces articles, maintes fois relus depuis.

Ah ! la chronique de go de Pierre Aroutcheff, les labyrinthes démoniaques de Philippe Fassier, les jeux pour calculette programmable de Michel Brassinne, les critiques de jeu vidéo pour Oric Atmos ou ZX Spectrum… Mais surtout, que de mathématiques dans cette revue ! Dès le numéro 1, une interview de George Perec évoquait le mathématicien Claude Chevalley, certes spécialiste des groupes de Lie, mais également pionnier du jeu de go en France et dont on apprend qu’il y initia Jacques Roubaud en 1965… Mais les mathématiques étaient présentes au détour de chaque page : les étés 1982, 83 et 84 avaient par exemple vu paraître des numéros spécial vacances (No 16, 22 et 28). Je ne suis pas sûr que tout le monde considèrerait les jeux proposés comme particulièrement délassants… Voici quelques extraits du numéro 16 (dont la couverture illustre ce billet) :

  • En page 13 on trouvait le résultat du concours annuel, et en particulier la réponse à la question subsidiaire qui départagea les centaines d’ex aequo. Voici le type d’énoncé dont il fallait se dépétrer : « Les ex aequo à l’issue des questions précédentes seront départagés par le nombre qu’ils auront inscrit dans la case question subsidiaire. Ce nombre doit être entier, positif et inférieur à un milliard. Nous ferons la moyenne des nombres proposés par les ex aequo. Les gagnants seront dans l’ordre, ceux qui seront les plus proches des deux tiers de cette moyenne ». Hum… Alors, quel nombre auriez-vous proposé ?
  • L’une des rubriques régulières s’intitulait « la page du matheux (ludique) ». Dans ce numéro, un casse-tête (les anneaux hongrois) était le prétexte à un petit exposé de théorie des groupes, un peu raide à mon avis (pages 30-32) ;
  • Un peu plus loin (pages 43-45), une autre rubrique régulière : « questions de logique »…
  • … suivie de deux pages de bandes dessinées à thème intergalactique, émaillées d’énigmes telles que : « Voici deux inscriptions dont une seule est vraie :

1) Il y a un ordinateur à bord de l’astronef, et l’astronef est à propulsion atomique ;

2) L’astronef est en orbite autour de Pluton, et il y a un ordinateur à bord de l’astronef.

Question : y-a-t’il un ordinateur à bord de l’astronef ? »

  • Sans compter d’innombrables autres énigmes, casse-têtes, labyrinthes ou nombres croisés : page 58, après une introduction lapidaire (UN PEU D’ALGEBRE : Pour les fanas de math, les passionnés d’algèbre, voici une grille de nombres croisés…), suivaient 13 équations à 7 inconnues permettant de remplir une grille 5 par 5. 

    2
    Si jamais vous êtes « fana de math, voire passionné d’algèbre »,
    je vous recopie les définitions:

    Horizontalement

    A. \(def + 2e +f; cd.\) (3 puis 2 chiffres)

    B. \(ce + d -e; bg +2b + d.\) (2 puis 3 chiffres)

    C. \(fc^4.\)

    D. \(4d^2-d; fg -d.\) (3 puis 2 chiffres)

    E. \(2f(c+d)^3-1.\)

    Verticalement:

    I. \(d^5+d.\)

    II. \(abcd + 2efg.\)

    III. \(b^4+ab -f^2.\)

    IV. \(g^3.\) (4 derniers chiffres)

    V. \(a^4-af(a-1)-(f-1).\)


Evidemment, à côté de ça les sempiternels recueils de sudokus font pâle figure… Pour animer vos fins de vacances, voici donc un petit jeu de duel calculatoire que je pratique souvent avec ma fille : après avoir choisi 4 chiffres (par exemple les 4 premiers chiffres de la plaque d’immatriculation de la voiture qui vous précède sur la route), les joueurs s’efforcent de réaliser tous les nombres entiers successifs suivant le principe du compte est bon (seules les 4 opérations élémentaires sont autorisées, et chaque chiffre est à utiliser au plus une fois). Mister Odd (par exemple) s’occupe des impairs, tandis que Miss Even gère les pairs, et le premier qui sèche a perdu (avec les honneurs si l’on a dépassé 40, ou sous les huées si son adversaire trouve le calcul soi-disant impossible). En Angleterre, les plaques d’immatriculation consistant essentiellement de lettres, il a fallu introduire une variante. Choisissez 4 chiffres à votre convenance, et essayer de parvenir le plus loin possible. Problème offert à votre sagacité : quels sont les 4 chiffres initiaux qui permettent d’aller le plus loin ? Je vous propose trois pistes de résolution :

1) La méthode « artisanale » : prendre 4 chiffres à l’air prometteur, et vérifier qu’ils permettent d’aller au-delà de 51, que j’ai atteint (ainsi que tous les nombres précédents bien sûr) à partir de 3, 5, 6, 8 ; ceci après 4 ou 5 essais moins concluants ;

2) La méthode « technologique » : écrire un programme informatique opérant une recherche exhaustive ;

3) La méthode « bibliographique » : retrouver le numéro (de J&S ? Tangente ? Pour la Science ?) dans lequel je suis sûr d’avoir déjà vu ce problème, accompagné de sa solution…

La méthode 2 n’est pas la moins intéressante, j’y reviendrai sans doute dans un prochain billet…

En attendant, je pose la question : où se cache la revue actuelle qui fera l’objet d’un billet mathématico-ludo-nostalgique dans Images des Maths en août 2040 ?

ÉCRIT PAR

Stéphane Lamy

Professeur - Université Paul Sabatier, Toulouse 3

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