Devinette de Perec

Tribune libre
Version espagnole
Publié le 8 mai 2010

Plusieurs fois sur ce site déjà, il a été question de Georges Perec. L’un des ses plus célèbres romans, « la vie mode d’emploi » a une structure mathématique complexe usant des carrés gréco-latins.

Georges a tenu à la fin de sa vie, en 1981 et 1982, la rubrique « jeux intéressants » dans la revue « Jeux et Stratégie » aujourd’hui disparue. Je viens d’acquérir un petit (par son format, 10.5cm x 15cm x 1.2cm) livre qui rassemble toutes les énigmes proposées par Perec.

Je ne résiste pas au plaisir de vous soumettre une énigme proposée en août 1981 :

Dans la liste suivante, un mot ne devrait pas logiquement figurer. Lequel et pourquoi ?

écrit, lisible, polysyllabique, court, singulier, masculin, adverbe, orthographiable, intrus, français, substantif, mot, traduisible, prononçable.

Solution : Tous ces mots autologiques : « mot » est un mot, « lisible » est lisible, « court » est court, etc. Mais « adverbe » n’est pas un adverbe, c’est donc lui l’intrus.

Mais quel statut donner à « intrus » :

  • si « intrus » doit être exclu de cette liste, alors « intrus » est intrus et ce mot est autologique, il a sa place dans la liste.
  • de même si « intrus » doit figurer dans cette liste, alors il est autologique et « intrus » est un intrus et doit donc être exclu de la liste.
    Le problème est insoluble.

C’est le paradoxe de Russell : « l’ensemble des ensembles appartient-il à lui-même ? » Il existe une version plus populaire de ce paradoxe : « Le barbier qui rase tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes, peut-il se raser ? »

Post-scriptum

Merci à Pierre Lescanne qui m’a signalé que cette devinette de G. Pérec est plutôt une illustration du paradoxe de Grelling-Nelson.

Les paradoxes de Russell, Grelling-Nelson, Epiménide … ont tous en commun l’autoréférence.

ÉCRIT PAR

Gérard Grancher

Ingénieur de recherche en retraite - CNRS, Université de Rouen

Partager