Épilogue ou interlude ?

Tribune libre
Publié le 3 novembre 2017

Nous arrivons au terme de cette série d’articles sur « mathématiques et langages » qui étaient presque tous déjà parus dans la brochure éponyme éditée par la CFEM en mars 2017 à l’occasion du forum Mathématiques vivantes.

De nombreux thèmes ont été abordés, que l’on peut mettre dans quelques larges catégories (cette classification est fort discutable) :

Pourtant, le thème semble inépuisable, tel Le Livre de sable. Pour ne pas refermer ce cycle définitivement, voici quelques sujets qui pourraient, j’espère, inspirer des billets à venir.

  • L’élaboration des notations mathématiques va de pair avec celle des concepts. La façon de nommer les nombres conditionne la faisabilité des calculs et la numération de position ou la virgule flottante ont été des révolutions. L’utilisation systématique de lettres pour désigner des quantités algébriques et tous les objets mathématiques a été décisive pour formuler et résoudre systématiquement tous les problèmes. Plus récemment, comme Michèle Audin le met en évidence dans La formule de Stokes – Roman, pour en arriver à exprimer la formule éponyme comme Ωω=Ωdω, il a fallu réunir plusieurs formules en apparence différentes et cela a pris des dizaines d’années : le choix de bonnes notations s’entremêle avec la formation des concepts. Voir aussi l’article de Jocelyne Ehrel, celui-ci de Bertrand Rémy et celui-là de Christine Huyghe. Étienne Ghys remarque dans cet exposé que les chorégraphes se trouvent face à un problème analogue : comment trouver de bonnes notations pour décrire (transmettre, conserver) une chorégraphie ? Quel langage inventer pour transcrire des concepts ou des mouvements, par nature rétifs à se laisser enfermer en quelques lettres ?
  • Le choix du lexique mathématiques appelle une réflexion analogue. Dans son article, Jean-Pierre Kahane souligne comment le choix de mots évocateurs par Benoît Mandelbrot permet une meilleure diffusion de ses idées mais cela ne fait pas le tour de la question.
  • Comment parler de mathématiques dans la presse généraliste ? Un article récent paru dans la revue américaine 538 2Merci à Pierre-Emmanuel Caprace pour la référence. rappelle le déficit des mathématiques par rapport à la physique quand il s’agit de faire rêver : le boson de Higgs ou les ondes gravitationnelles ne sont pas beaucoup plus concrets que les représentations des groupes de Lie, pourtant ils défraient la chronique quand la sortie de la première version de l’Atlas n’est même pas évoquée. Pire : quand, en 2007, des étapes préliminaires ont été annoncées dans le New York Times, elles ont provoqué la colère de certains commentateurs ! (C’est d’ailleurs incroyable.)
  • La diversité des ressources du langage dans les textes mathématiques anciens a été montrée par l’article de Christine Proust. David Hilbert, en 1900, souhaitait que l’on mette en place un langage géométrique aussi rigoureux que le langage mathématique classique afin d’intégrer dans le processus de preuve la pratique courante des mathématiciens, pour chercher ou pour communiquer. Un siècle plus tard, on peut faire (coder) certains calculs de façon graphique, notamment pour es catégories, la théorie des nœuds et la catégorification : voir par exemple l’exposé de Mikhail Khovanov au congrès international des mathématiciens de 2006. Toutefois, cela reste éloigné du langage que prônait Hilbert.
  • Il serait intéressant d’étudier les textes mathématiques d’un point de vue littéraire, comme un genre à part entière. A priori, on peut imaginer que les articles anciens étaient rédigés en français soutenu, souvent sans trop de symboles, quand les textes récents sont écrits en anglais, souvent médiocre, du moins pauvre, avec un formalisme plus développé et plus systématique. Est-ce bien le cas ?
  • L’Atelier de littérature assistée par les mathématiques et les ordinateurs (ALAMO) et la poésie numérique ne sont pas sans lien avec l’Oulipo et mériteraient qu’on se penche dessus.
  • Plus généralement, les mathématiques fournissent des moteurs de création littéraire très fertiles. Les liens entre mathématiques et littérature ont déjà été explorés dans ce dossier mais le thème reste largement ouvert.
  • Le statut de la vérité dans les mathématiques a un trait commun profond avec la fiction littéraire : certains énoncés sont acceptés comme vrais a priori – « deux droites ont au plus un point commun » ou « aujourd’hui maman est morte » – et la seule exigence de vérité, c’est la cohérence interne du récit.
  • Les outils de traduction automatique ont fait des progrès incroyables en quelques années. La démarche a été bouleversée par l’utilisation de l’intelligence artificielle : cette vidéo récente explique le changement de paradigme (de l’application de règles compliquées à une sorte de mimétisme appris par un réseau de neurones). Plus généralement, l’intelligence artificielle permet à tous de faire un pré-traitement automatique son courrier (analyser les mails, préparer des réponses…). Outre la puissance des machines, cet avènement de l’IA dans la vie courante implique beaucoup de mathématiques.
  • L’intelligence artificielle progresse également de façon prodigieuse dans la reconnaissance de caractères et la reconnaissance vocale. Qui pourrait nous en parler ?
  • Les travaux de Noam Chomsky, fondateur linguistique générative, ont donné entre autres une classification des langages selon leur pouvoir expressif, qui a été fortement et fructueusement exploitée pour les langages informatiques. Joli slogan, mais que recouvre-t-il donc ?
  • La cryptographie et la théorie des codes correcteurs n’ont pas été évoquées : ce sont pourtant deux domaines (différents) où des mathématiques sophistiquées sont utilisées pour transformer le langage.

Post-scriptum

Le site de la conférence PopLang.

Ce texte appartient au dossier thématique « Maths et langage ».

ÉCRIT PAR

Jérôme Germoni

Maître de conférences - Institut Camille Jordan, Université Lyon 1

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