Et pour quelques étoiles de plus

Tribune libre
Publié le 17 juin 2009

Partager, telle était l’ambition de cette rencontre à Challans, en Vendée, dans l’enceinte du lycée François Truffaut.

La journée a commencé par une rencontre avec les élèves de terminale. Ils étaient une centaine assis sur les marches du forum. Avec leur professeure de philosophie, ils avaient travaillé sur la notion d’idée. Et ils m’ont demandé : Qu’est-ce qu’une idée en mathématiques ? À cette question, par provocation, j’ai répondu : J’ai une idée que je voudrais partager avec vous. Voilà, je vous ai tout dit !

Pour moi, une idée se partage, sinon ce n’est pas une idée. Quand on échange une pièce de 1 euro avec quelqu’un, chacun se retrouve avec 1 euro. Pas le même, mais presque. Quand on échange une idée, chacun se retrouve avec deux idées … Mais c’est plus profond que cette boutade ou que cette provocation. C’était l’objet de cette première rencontre de deux heures avec les élèves de terminale.

Après le repas, nous avons fait un peu de topologie algébrique avec les élèves de seconde. Vous les voyez sur la photo en train de travailler ! Pour bien comprendre certains mécanismes de l’ADN, il faut savoir faire la ronde, comme pour le branle de Noirmoutier, par exemple ! Une heure fut juste assez pour découvrir quelques activités typiques de la fête de la science.

Puis vint la rencontre avec les élèves de première. Eux aussi une centaine assis sur les marches du forum. Nous avons réfléchi aux paradoxes liés au partage, à l’individualisme et à la collaboration. Nous avons joué 169 fois à un jeu illustrant ce qu’on appelle le dilemme du prisonnier. On fait des petits groupes et chacun de ces groupes a deux cartes, une rouge et une noire. Un groupe joue en face d’un autre et chacun se montre, simultanément, une carte. Si les deux sont noires, chacun marque 1 point. Si les deux sont rouges, chacun marque 4 points. Si les deux sont différentes, celui qui a joué la carte noire marque 5 points et l’autre rien.

En réfléchissant, on se dit que, quoique fasse l’autre, mieux vaut jouer noir. En effet s’il joue rouge, alors on marque 5 points au lieu de 4, et s’il joue noir on marque 1 au lieu de 0. Mais si les deux raisonnent ainsi ils marquent 1 point seulement à chaque coup, alors qu’en jouant rouge tous les deux ils marqueraient 4 points à tous les coups. On parle de dilemme du prisonnier car la mise en scène est en général une remise de peine (sur une peine de 5 ans), noir étant le fait de passer aux aveux en dénonçant son camarade, rouge étant le fait de se taire.

Les adolescents sont cruels et rendent coup pour coup ! Sur 169 coup, 96 furent noir contre noir ! Seuls 16 d’entre eux furent rouge contre rouge. Il est facile de se mettre à jouer noir par mesure de rétorsion quand l’autre joue noir. Et ce fut le cas à Challans !

Le soir, après un bon repas, le lycée ouvrait ses portes. Le public est venu lui aussi s’asseoir sur les marches du forum. Le proviseur a accueilli l’assistance et a lu deux citations pour présenter la rencontre. La première de Paul Montel et la seconde de Sophie Kovalevskaya. Ces choix judicieux m’ont tout de suite permis de lancer la rencontre.

De quoi s’agissait-il ? Nous avions intitulé la rencontre Les maths, si on en parlait ? et le but était d’illustrer, un peu comme au café, des mots avec un regard de mathématicien. J’ai choisi les deux premiers pour faire prendre l’ambiance. Vu la période (c’était le 26 mai), j’ai choisi : impôts et vote. Ce qui nous a conduits à des débats vifs et intéressants sur les tranches de l’impôt, sur la démocratie et les préférences de groupe.

Puis j’ai laissé l’assistance prendre la main et proposer des mots. C’était un pari. Et une prise de risque. J’avais bien entendu préparé des choses, comme une improvisation en musique, mais j’étais inquiet tout de même. Ce site m’a beaucoup aidé, tout comme mon expérience de la fête de la science. En deux heures, le public et moi avons échangé sur cinq mots. Les trois qu’il a choisis étaient : épidémie, camping et nuage.

Je ne parlerai ici que du dernier. J’ai choisi de commencer par un commentaire poétique. Il y a un lien entre les formes que l’on croit parfois deviner en regardant les nuages et les idées mathématiques… Une fois interprétée la forme dans les nuages, on ne peut plus ne pas la voir. On lui a prêté un sens, même si on est parfois le seul à le voir. Il en va de même pour l’idée mathématique. Ce qu’elle a de commun avec le nuage, c’est cette permanence de l’éphémère.

Et puis j’ai parlé des papillons, de l’effet papillon, de la météo, du climat et du réchauffement climatique.

Je suis ressorti épuisé de cette (longue) journée, mais heureux. Heureux d’avoir vu briller des regards, d’avoir pu partager avec des jeunes gens plein de questions et forts de convictions, et aussi avec des moins jeunes. De ceux qui ont encore la force de croire que tout peut se partager.

Desproges, dont la femme est née à Challans, disait que l’on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui. Je crois qu’on peut faire des maths avec tout, mais peut-être pas non plus avec n’importe qui. Mais ne nous méprenons pas, je ne pense pas à mettre des barrières intellectuelles, ou à réserver un savoir à des élites. Non ! Je parle tout juste des mêmes barrières que Desproges, des barrières morales.

Quoiqu’il en soit, ce soir là, je me suis endormi avec quelques étoiles de plus dans les yeux. Que dis-je, plusieurs centaines d’étoiles… !

ÉCRIT PAR

François Sauvageot

Professeur - Lycée Alain-René Lesage - Académie de Rennes

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Commentaires

  1. Jean-Luc Planès
    juin 22, 2009
    7h00

    De très bons moments de « partages mathématiques » pendant lesquels les élèves, les enseignants et le « grand public » ont pu profiter des connaissances de F Sauvageot et de sa passion à les transmettre … une journée qui a marqué la vie scientifique du Lycée F Truffaut !