Faut-il tout laisser passer ?

Débat
Publié le 18 novembre 2014

La fracture des maths ou les enseignants de maths fracturés par la presse : faut-il laisser passer, tout laisser passer ?

Dans le Nouvel Observateur du 21 août 2014, page 51, dans l’article « La fracture des maths » d’Arnaud Gonzague on peut lire l’accroche suivante : « La France triomphe à former des cracks des équations. Elle a plus de mal avec les élèves ordinaires. »

Pendant une bonne moitié de l’article, le journaliste souhaite, plus ou moins bien, mais cela ça se discute, mettre à l’honneur le 12ème Français, « spécialiste de l’évolution des systèmes mathématiques dans le temps » (citation), à avoir décroché une médaille Fields.

Puis, dans l’autre moitié de l’article, M. Gonzague présente une « démonstration » de la proposition : « ce qui vaut pour l’élite ne vaut pas pour la masse » notant au passage que les Français ont de nombreux problèmes avec la « numératie » (capacité à utiliser des concepts numériques et mathématiques) (parmi les plus basses de 24 pays (Enquête Piacc 2013 de l’OCDE)) et le mauvais classement dans l’enquête PISA (OCDE). Les faits sont là, certes. Et l’explication ? Simple ! Pour M. Gonzague « Contrairement à ce qu’on pense, ce n’est pas parce que le niveau général décline, mais parce que le nombre d’élèves faibles a bondi ». Pour conclure ensuite : « Autrement dit, nos profs de maths fabriquent des cancres. » Fin de la « démonstration » !

Pour appuyer ses propos, M. Gonzague interpelle Stella Baruk, présentée comme mathématicienne et pédagogue ayant inventé une méthode pour « réparer » les élèves en souffrance : « Trop d’enfants se sentent exclus de la planète mathématique du fait d’archaïsmes » et plus loin « L’école accepte mal l’erreur et sa langue n’est pas assez accessible », du coup « On se prive de beaucoup de talents. » On peut aisément partager les affirmations de Mme Baruk tirées de sa propre expérience et de ses recherches sur les difficultés dans l’enseignement de notre discipline. Ce qui est largement regrettable dans cet article, et dans la presse en général, c’est cette tendance à pointer constamment ce malaise dans l’enseignement des mathématiques sans jamais mener une véritable enquête sur les causes !

Alors, chers collègues, faut-il laisser passer de telles affirmations dans la presse, écrite ou non (quoique : Verba volant, scripta manent ! disaient les latins), laisser passer tout ce que nous assènent les médias sans nuances, sans recul ou bien demander systématiquement un droit de réponse ?

Si les journalistes estiment que les mathématiques jouent un rôle primordial dans nos sociétés, pourquoi ne suivent-ils pas régulièrement les colloques organisés périodiquement sur l’état de la recherche sur l’enseignement et la formation en mathématiques ?

ÉCRIT PAR

Valerio Vassallo

Mathématicien - Université Lille 1 et Cité des Géométries - Gare numérique de Jeumont

Partager