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Le trimestre sous-riemannien a débuté le 1er septembre 2014 à Marseille. Comment cela se fait-il ? Le Quartier Latin ne suffirait-il pas au bonheur des congressistes qui se rassemblent autour des thèmes retenus par le comité de programmation scientifique de l’Institut Henri Poincaré (IHP) ?
Écoles saisonnières
Depuis quelques années, la plupart des trimestres de l’Institut Henri Poincaré (IHP) démarrent par une école d’été (ou d’hiver, ou de printemps) d’une ou deux semaines. Le terme école d’été désigne une réunion destinée particulièrement aux débutants (entendez, étudiants en cours de thèse, ou l’ayant soutenue depuis peu), avec au programme des mini-cours présentant les rudiments d’un sujet. Histoire de faciliter leur intégration dans la communauté d’experts qui, dès les semaines suivantes, va leur imposer un rythme soutenu d’exposés et de cours spécialisés.
Pourquoi à Marseille ?
C’est là que se tient le Centre International de Rencontres Mathématiques (CIRM), un établissement (co-géré par le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et la Société Mathématique de France (SMF) qui accueille des colloques et autres réunions mathématiques1Voir l’article de Paul Vigneaux.. Il comporte une infrastructure hôtelière, un grand auditorium, une bibliothèque, un personnel discret et efficace qui assiste les organisateurs de rencontres et les participants avant, pendant et après leur séjour. Rares sont les mathématiciens français qui n’y ont jamais mis les pieds. Une bonne part des mathématiciens du monde entier y sont passés et en gardent un excellent souvenir.
Écoles buissonnières
Pourquoi déplacer au CIRM ces gens qui vont se retrouver dès la semaine suivante à Paris ? Parce que le CIRM est loin, juste assez isolé des tracas du monde, et que là-bas, les participants peuvent se concentrer, échanger et nouer des contacts comme nulle part ailleurs. La vie y est confortable mais un peu monacale : on vit ensemble jour et nuit, on prend les repas ensemble, les loisirs se limitent à des promenades dans la nature. Il y a bien une télévision, quelques journaux ; les participants ne peuvent s’empêcher de consulter leurs téléphones et leur courrier, mais ces instruments ne parviennent que brièvement à capter leur esprit qui reste là, sous les platanes et les vieilles pierres de la bastide. Car le CIRM, c’est beau.
Jeunes chercheuses
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Dulce Mary de Almeida
J’ai interrogé quelques participants, un peu au hasard des rencontres autour des tables de la salle à manger. La beauté du cadre, Dulce Mary de Almeida y a été sensible. Elle se dit post-doctorante, mais elle a depuis plusieurs années un poste permanent à l’Universidade Federal de Uberlândia, dans l’état de Minas Gerais, au Brésil. Son gouvernement lui a accordé deux années de bourse postdoctorale pour faire de la recherche à Paris 6 dans le domaine de la géométrie sous-riemannienne, son séjour se termine à l’Institut Henri Poincaré, elle devra rentrer et reprendre ses fonctions dans son université au début d’octobre.
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Annunziata Loiudice
Pour Annunziata Loiudice, maître de conférences à l’Università degli studi di Bari en Italie depuis un an, le trimestre IHP est un crève-coeur. Sa lourde charge d’enseignement ne lui permet pas de rester longtemps, alors elle est venue à l’école d’été, qui a lieu avant le démarrage des enseignements, et elle espère pouvoir revenir une semaine, pour l’un des colloques de l’automne. Pour elle, l’école d’été est une occasion d’approfondir les aspects géométriques d’un sujet qu’elle a abordé jusqu’à présent sous l’angle des équations aux dérivées partielles.
Les juniors
Annunziata et Dulce font plutôt partie des seniors de cette école d’été, vraiment très jeune. La majorité des participants étaient des doctorants, comme Guilherme Mazanti, polytechnicien brésilien, qui a saisi l’occasion de consolider sa culture dans un domaine qui n’est pas exactement celui de sa thèse, mais en est très proche.
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Guilherme Mazanti
- J’ai rencontré aussi plusieurs étudiants qui n’ont pas encore commencé leur thèse. Adrien Boulanger, élève de l’École Normale Supérieure de Lyon, trouve qu’il a tiré un grand profit des cours. Bien sûr, beaucoup de choses lui ont échappé, mais il est maintenant motivé pour compléter par des lectures. Il a bénéficié des subsides de la Fondation Sciences Mathématiques de Paris.
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Adrien Boulanger
Il y avait même un étudiant qui commence sa deuxième année de master. Ville Kivioja a une histoire singulière. Étudiant en physique théorique à la Jyväskylän Yliopisto (université de Jyväskylä), en Finlande, il a eu en 2012 la curiosité de suivre un cours de géométrie différentielle qui l’a convaincu que c’étaient les mathématiques qui l’intéressaient le plus. Il a persévéré en 2013, puis, en fin d’année, il a convenu avec un enseignant de Jyväskylä d’un sujet de mémoire de master. Avec le soutien financier de l’IHP, il va passer tout l’automne à Paris, et y suivre les cours du trimestre qui seront validés par son université d’origine. L’IHP l’a aidé à trouver un studio qu’il va partager avec un autre étudiant de la même université.
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Ville Kivioja
Qu’y a-t-il sous la tombe de Riemann ?
De quoi était-il donc question lors de cette école d’été ? De géométrie différentielle ? Oui, mais pas seulement. Au départ, il y a les besoins de la commande de machines. Avez-vous déjà conduit une voiture ? Vous avez à votre disposition deux commandes, l’accélération (ou le freinage), et la direction des roues. Or l’état de la voiture est caractérisé par trois paramètres, les coordonnées (latitude et longitude) du centre de la voiture, et l’orientation de l’axe de la voiture (N, NE, E,…). Pourtant, on montre qu’on peut toujours, à l’aide de ces deux commandes seulement, amener le véhicule d’une position à une autre. C’est encore vrai, et plus frappant, pour un véhicule à remorques, qui a davantage de degrés de liberté mais pas plus de commandes. Vous savez que faire un créneau en économisant ses forces ne va pas de soi. L’énergie minimale à fournir pour amener la voiture d’un état à un autre définit une distance sur l’ensemble des états. Ce sont les propriétés souvent surprenantes de ces distances qui font l’objet de la géométrie sous-riemannienne. De façon inattendue, ces distances jouent un rôle dans un grand nombre de domaines des mathématiques, ce qui était reflété dans les sujets des cours de l’école d’été. Il a été question de contrôle optimal, de géométrie hyperbolique, d’équations aux dérivées partielles et de calcul stochastique. La même diversité caractérisait les colorations mathématiques des jeunes participants.
Télé-CIRM
Chaque fois que je reviens au CIRM, il y a eu beaucoup de changements. Il y a de nouveaux bâtiments sur le campus de Luminy, certes, mais le CIRM aussi évolue très vite. J’ai découvert la « maison Jean Morlet » et la « salle de billard », deux petits bâtiments perdus dans la chênaie. J’ai fait la connaissance de l’équipe qui filme, monte et indexe les exposés. Le lendemain du mien, j’ai pu voir le montage qu’en avait fait Guillaume Hennenfent. Pour un débutant (c’est la première fois que je me vois à la télévision), c’est une épreuve, les défauts de ma prestation m’ont sauté aux yeux. Avec Guillaume et Émilie Cornillaux, nous avons procédé à l’indexation : il s’agit de choisir une liste de mots-clés et de les attacher chacun à un moment du film, à une fraction de seconde près. Le spectateur pourra ensuite faire des recherches par mots-clés dans la vidéothèque et accéder à la séquence pertinente dans une vidéo sans avoir à la visualiser en entier. Ceci devrait constituer un nouvel outil pour les chercheurs. Quand ? On dirait que le CIRM accumule ces documents et les garde secrets… plus pour longtemps : le pot aux roses sera révélé le 28 octobre. Internautes, soyez vigilants !
Une semaine de grand beau temps à trente minutes à pied de la calanque de Sugiton. Ouvrir ses volets le matin sur le soleil qui se lève derrière les falaises blanches du Mont Puget. Vivre en plein air les pauses, dans la lumière éclatante de la Provence, et les soirées à l’abri du mistral. Je reviendrai au CIRM, c’est certain. D’ici là, je vais tâcher de venir le plus souvent possible à l’IHP participer aux activités fourmillantes du trimestre intitulé Géométrie, Analyse et Dynamique sur les variétés sous-riemanniennes. Je promets de vous en donner bientôt un second compte-rendu.
Post-scriptum
Je remercie les relecteurs Jean Lefort et Gilles Damamme pour leurs critiques.
Article édité par Uzan, Jean-Philippe
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Par exemple, on pourra écrire que sont les deux solutions complexes de l’équation .
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