En visite officielle en Algérie, François Hollande a rendu hommage le 20 décembre 2012 au mathématicien communiste Maurice Audin, arrêté et torturé jusqu’à la mort par des parachutistes français en 1957, en pleine guerre d’Algérie, ce qui n’est à ce jour toujours pas officiellement reconnu.
L’affaire Audin
En juin 1957, en pleine bataille d’Alger 8voir le film « La bataille d’Alger » de Gillo Pontecorvo alors aux mains des parachutistes des généraux Massu et Bigeard, disparaissait Maurice Audin, un jeune militant indépendantiste de 25 ans, mathématicien à la faculté d’Alger. Maurice Audin, qui était membre du PCA 9Parti communiste algérien pro-indépendantiste, fut torturé, comme en témoigna Henri Alleg, 10journaliste à l’Alger Républicain, auteur de « la question » paru aux éditions de minuit, et assassiné par un militaire français 11ce qui n’est à ce jour pas reconnu par l’Etat français. Il était marié à Josette Audin, et père de trois jeunes enfants 12dont l’aînée, Michèle Audin, est mathématicienne à l’Université de Strasbourg et auteur sur ce site.. Etudiant brillant, il avait commencé une thèse en analyse fonctionnelle à l’Université d’Alger sous la direction de René de Possel, qu’il terminait sous la direction de Laurent Schwartz. La disparition de Maurice Audin fut emblématique des trois mille disparus de la sinistre bataille d’Alger.
Quelles sont les circonstances de la mort de Maurice Audin ?
Telle est inlassablement la question posée par sa veuve, Josette Audin, depuis plus de cinquante-cinq ans, et qu’elle a posée en août dernier à François Hollande :
Monsieur le Président de la République,
Je vous écris au sujet de mon mari, Maurice Audin. En 1957, nous vivions à Alger, avec nos trois enfants (3 ans, 20 mois et 1 mois). C’était la guerre d’Algérie.
Comme beaucoup d’autres Algériens, Maurice était engagé dans la lutte pour la libération de l’Algérie. Comme beaucoup d’autres Algériens, il a été arrêté par les parachutistes français, responsables « du maintien de l’ordre ». C’était le 11 Juin 1957, pendant la bataille d’Alger. Comme beaucoup d’autres Algériens, il a été atrocement torturé, torturé jusqu’à la mort.
Comme pour beaucoup d’autres Algériens, les militaires français, responsables de son assassinat, ont prétendu qu’il s’était évadé au cours d’un transfert. Les autorités civiles, militaires, juridiques, françaises s’en sont toujours tenues à cette thèse. Pourtant, des historiens, dont Pierre Vidal-Naquet, ont établi que mon mari était mort sous la torture. Une journaliste, Nathalie Funès, a trouvé récemment, dans les archives d’une université américaine, des éléments nouveaux.
Il est temps, plus de 50 ans après la fin de la guerre d’Algérie, que la vérité soit connue et reconnue. […]
Josette Audin demande aussi au Président de la République
une condamnation ferme de la torture et des exécutions sommaires commises par la France pendant la guerre d’Algérie.
La réponse de François Hollande
Dans une réponse adressée à Josette Audin, le président de la République assure que la France
doit faire face à ses responsabilités et au devoir de vérité qui lui incombe envers vous et votre famille d’abord, mais également envers l’ensemble des citoyens.
Il lui indique aussi qu’il lui fera remettre les archives et documents disponibles au ministère de la défense relatifs à la disparition de son mari. Les historiens restent cependant sceptiques quant au fait que cette mesure suffise à faire éclater la vérité, si longtemps après les faits. L’historienne Raphaëlle Branche, spécialiste de la guerre d’Algérie, souligne dans un article au « Monde » qu’il est extrêmement important d’interroger les témoins encore vivants de cette histoire, seuls à même de dire ce qui s’est passé.
En visite officielle en Algérie, François Hollande s’est rendu le jeudi 20 décembre place Maurice Audin à Alger pour rendre hommage au mathématicien communiste, où il a déposé une gerbe de fleurs sous la plaque commémorative déposée à la mémoire de ce dernier en mai 2012. L’endroit, situé près de l’Université d’Alger était bondé.
Le prix Maurice Audin
Cet hommage du 20 décembre doit beaucoup à la détermination de Josette Audin et aussi à tous ceux qui se sont impliqués pour que la vérité soit reconnue. Dès 1957, un comité Maurice Audin dont furent par exemple membres Pierre Vidal-Naquet et Laurent Schwartz, fut constitué pour réclamer au pouvoir politique la vérité sur la disparition de Maurice Audin. En décembre 1957, Laurent Schwartz et René de Possel organisèrent à la Sorbonne une soutenance de la thèse de Maurice Audin « in abstentia » [voir aussi] en hommage au mathématicien disparu. L’événement sera célébré quarante ans après en 1997 à l’IHP.
En outre, la communauté mathématique française rend hommage, chaque année, au mathématicien disparu, par l’attribution d’un Prix de Mathématiques Maurice Audin, parrainé par la SMF 13société mathématique de France et la SMAI 14société de mathématiques appliquées et industrielles, promouvant une collaboration mathématique franco-algérienne.
Post-scriptum
Je remercie Pierre Audin pour m’avoir autorisée à utiliser la photo de Maurice Audin et Ernest Pignon Ernest pour m’avoir autorisée à utiliser une photo du parcours Maurice Audin à Alger.