Givrage des avions

Tribune libre

Maths et Industrie

Écrit par Paul Vigneaux
Version espagnole
Publié le 8 janvier 2013

Ce billet fait partie d’une série sur les « Success stories » européennes liant Mathématiques et Industrie. Ces histoires ont été recueillies dans le cadre du projet intitulé Forward Look « Mathematics and Industry » coordonné scientifiquement par le Comité de Mathématiques Appliquées de l’EMS et financé par l’ESF. Nous les remercions, ainsi que les auteurs pour nous avoir autorisés à traduire ces textes en français. La traduction a été réalisée par Paul Vigneaux.

Auteur de la version originale : Tim Myers

Résumé

Le dépôt de givre sur les avions est un phénomène dangereux lors du vol. D’importants efforts ont donc été déployés pour éviter l’accumulation de glace. Comme le test de nouveaux matériaux est très onéreux et long, des modèles mathématiques plus précis et des codes de calculs étaient nécessaires pour raccourcir les temps de développement et réduire les coûts.

L’objectif

Les gouttes d’eau liquide qui constituent les nuages atmosphériques sont souvent surfondues (sans site de nucléation, les gouttes peuvent être dans cet état jusqu’à -40°C). Si un avion rencontre un tel nuage, les gouttes percutant sa surface rencontrent un site de nucléation et commencent ainsi à geler. L’accumulation de givre peut alors rapidement dégrader la performance aérodynamique. Par conséquent, presque tous les avions commerciaux et quelques hélicoptères sont munis de systèmes antigivrage. Toutefois, ils sont onéreux à utiliser et il n’est pas toujours clair de savoir où la glace va se former.

Le but de ce projet était de développer un code pour simuler le processus de givrage sur les avions, en 3 dimensions, utilisable pour les futures conceptions de composants aéronautiques. Le projet a été mené en collaboration avec BAe Systems, Rolls-Royce, GKN Westland Helicopters, DERA et Cranfield University. Dunlop Aerospace et Airbus UK ont aussi été impliqués ultérieurement.

Fine tranche de glace créée dans un tunnel de givrage. On distingue la structure du cristal de glace. Cet échantillon a été utilisé pour vérifier le modèle basique unidimensionnel de changement de phase. (Avec l’aimable autorisation d’Elsevier : tiré de Int. J. Heat Mass Trans. 42 2233-2242, 1999)

Le problème

La partie académique du travail a été le développement d’un modèle de croissance du givre, couplé à l’écoulement d’une mince couche d’eau. Nous avons aussi implémenté et testé des solvers destinés à être inclus dans un code de givrage complet.

Mathématiquement, cela signifiait coupler un modèle de changement de phase à un modèle d’écoulement en film mince. La présence de deux frontières libres fait que l’analyse et la résolution numérique sont délicates. Un challenge supplémentaire était que nos solvers ne devaient pas augmenter significativement le temps de calcul du code complet déjà existant.

Résultats

Les modèles développés ont été incorporés dans différentes bibliothèques qui furent ensuite liées au code principal (développé par Rolls-Royce) pour calculer l’écoulement de l’air et des trajectoires des gouttes d’eau. Le code complet a été testé rigoureusement grâce à des comparaisons avec des codes en 2D existants et des résultats expérimentaux dans des tunnels de givrage.

Le succès peut être estimé grâce au fait que tous les partenaires industriels utilisent aujourd’hui ce code dans leur processus de conception et que des projets ultérieurs ont été financés. Pour une seule étude de cas, il a été annoncé que le code ICECREMO 3NdT : de l’anglais « ICE », « acCREtion » et « MOdeling », soit « modélisation pour l’accumulation de givre ». a permis d’économiser jusqu’à 1 million de livres 4 NdT : environ 1.2 million d’euros.. ICECREMO a depuis été vendu à des entreprises à l’étranger. Il y a aussi eu nombre de projets dérivés en lien avec l’écoulement d’eau au travers de turboréacteurs à double flux ou avec l’accrétion sur des surfaces en rotation.

Forme du mince film d’eau sur une surface croissante de glace, soumis à la gravité (dirigée vers la gauche) et au cisaillement de l’air (vers la droite). (Avec l’aimable autorisation d’AIP : tiré de Phys. Fluids 14(1) 240-256 2002)

Contact

Pr. Tim Myers (tmyers@crm.cat). Centre de Recerca Matemàtica, Campus de Bellaterra, Edifici C, 08193 Bellaterra, Barcelona. Espagne.

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Post-scriptum

Pour plus d’informations sur ces « Success Stories » et quelques éclairages sémantiques sur certains termes en italique, on pourra consulter ce billet.

ÉCRIT PAR

Paul Vigneaux

Professeur - Université de Picardie Jules Verne, LAMFA, CNRS

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