Hommage bref à Rudolf Bkouche :

Débat

« C’est logique, Ferdinand Buisson n’était pas un imbécile »

Écrit par Michel Delord
Publié le 18 février 2017

Le texte infra est un résumé d’un texte plus long, plus détaillé et qui donne notamment de nombreux éléments historiques inédits portant sur l’enseignement du calcul au niveau primaire au moment de « l’école de Jules Ferry » et au moment de la réforme des « maths modernes ». Le texte long est ici.

Rudolf Bkouche est décédé le 6 décembre 2016. Nous avions l’habitude d’échanger régulièrement au téléphone sur de nombreux sujets mais je me concentrerai ici, en guise d’hommage à ses idées, sur une seule question, celle de l’intuition. D’abord parce qu’elle a été au centre de la dernière conversation téléphonique que j’ai eue avec lui et ensuite parce qu’elle est, en elle-même, une question fondamentale surtout si l’on pense qu’il faut d’abord régler théoriquement la question de l’enseignement primaire et de ses débuts. De ce point de vue, la référence qui vient immédiatement à l’esprit est celle de la « méthode intuitive » défendue par Ferdinand Buisson, sujet sur lequel notre conversation avait essentiellement porté.

i) Dans le cours de cette dernière conversation nous avions parlé tout d’abord de la formule « Il faut donner du sens » qui est au moins malheureuse selon plusieurs points de vue

  • S’il faut donner du sens à ce que l’on enseigne c’est que ce que l’on n’enseigne n’en a pas, ou plus précisément n’en a pas au niveau auquel il est enseigné. Alors pourquoi l’enseigne-t-on ?
  • Dans la majorité des cas, « donner du sens » à une question théorique revient à en donner des exemples pratiques ou concrets, c’est-à-dire revient à prétendre que le sens vient toujours de la pratique : or ceci n’a rien de vrai en général puisque le progrès dans la compréhension peut provenir au contraire d’une perte de sens comme le montre l’exemple du passage du calcul numérique au calcul algébrique.

ii) Nous avions ensuite remarqué que, si Ferdinand Buisson recommande la méthode intuitive pour le primaire et un enseignement plus rationnel et construit pour le secondaire, les réformateurs de 70 reconvertis dans la didactique des mathématiques ont fait successivement exactement le contraire de ce qu’indique Ferdinand Buisson en mettant au premier plan le rationnel en primaire et l’intuitif dans le secondaire :

  • en primaire, ils ont d’abord imposé un curriculum primaire conçu comme transposition didactique d’une conception axiomatique – et donc non intuitive par essence –,
  • ils ont ensuite tenté et réussi à imposer dans le secondaire une conception qui, au prétexte de « donner du sens » au sens entendu supra – c’est-à-dire qui ne se trouverait que dans les applications des mathématiques –, échoue, d’autant plus d’ailleurs qu’elle ne le cherche pas, à donner aux élèves une vision un tant soit peu formalisée des mathématiques .

iii) A la fin de ce dernier échange téléphonique avec Rudolf, où nous avions donc parlé d’intuition notamment à propos de la méthode intuitive de Buisson, la conversation est venue sur un problème classique qui est celui de l’importance à accorder aux méthodes dans la définition de ce que l’on appelait un « plan d’études ». Je fais donc remarquer que ce problème se posait aussi pour la méthode intuitive d’autant plus qu’un certain nombre d’auteurs reprochaient à Buisson de ne pas définir suffisamment la méthode intuitive. Et là Rudolf me coupe la parole et dit en souriant « C’est logique, Ferdinand Buisson n’était pas un imbécile ». Il est effectivement indispensable d’avoir en permanence à l’esprit un certain nombre d’axes méthodologiques mais il est sûrement illusoire de penser pouvoir définir en détail des protocoles décrivant l’acte d’apprendre. Et il est d’autant plus dangereux d’en faire un système que son contenu est pensé indépendamment de la discipline concernée, comme – pour reprendre un exemple que Rudolf employait fréquemment – lorsqu’on présente les difficultés de la discipline à enseigner comme « difficultés des élèves ».

Merci Rudolf !

ÉCRIT PAR

Michel Delord

Professeur Certifié à la retraite -

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