Il y a quinze ans aujourd’hui «disparaissait» Ibni Oumar Mahamat Saleh, professeur de mathématiques à l’université de N’Djamena, enlevé par l’armée tchadienne. Je rappelle les éléments de cette affaire, les légers progrès depuis 2008 dans le long silence, et je relaie la dernière attribution du prix Ibni et l’appel à financer ce prix.
Ibni Oumar Mahamat Saleh
Il y a quinze ans, le trois février 2008, Ibni Oumar Mahamat Saleh était enlevé par des soldats de l’armée tchadienne à son domicile de la capitale N’Djamena, et «disparaissait».
Il était professeur de mathématiques à l’université de N’Djamena et avait œuvré à promouvoir l’enseignement des mathématiques en Afrique et l’établissement de liens avec des universités européennes pour cela, notamment celle d’Orléans où il avait passé son doctorat. Il était aussi devenu un leader de l’opposition démocratique au Tchad. Au moment même de son enlèvement, une intervention militaire française empêchait in extremis la prise de N’Djamena par des rebelles armés, sauvant par là le régime du président de l’époque, Idriss Déby Itno.
Si vous avez l’habitude de me lire, vous connaissez bien ce billet annuel. Si vous ignorez cette histoire, j’avais en particulier raconté:
- en 2009 l’enlèvement et ses circonstances, et les conclusions de l’enquête internationale menée sur pression française, sans doute aussi claires qu’elles pouvaient l’être dans ce cadre: Ibni Oumar Mahamat Saleh est très certainement mort dans une prison du palais présidentiel très peu de temps après son enlèvement; il ne s’agit pas d’une initiative de subalternes, et «la preuve [de sa mort] sera vraisemblablement impossible à trouver sans une volonté des plus hautes autorités de l’État». La suite a prouvé l’absence inflexible de ladite volonté. Des mobilisations ont suivi, de la communauté mathématique mondiale, de parlementaires français, d’Amnesty International, attirant aussi l’attention sur les «disparitions» qui constituent une pratique récurrente au Tchad, de l’ACAT (voir quelques détails dans mon billet de 2011)
- en 2013 le dépôt d’une plainte en France l’année précédente, et le blocage politique accentué par le début de l’engagement de l’armée française au Mali, rendant stratégique l’appui tchadien,
- en 2021 la mise à jour de nouveaux témoignages, par le travail pugnace du journaliste du Média Thomas Dietrich (son article, très fourni, est ici).
- en 2022 la mort du président Idriss Déby en avril 2021 et sa succession, adoubée par la France, par un «conseil de transition» présidé par son fils, qui n’a eu aucune incidence sur le blocage de l’enquête, ainsi que la brève présence en France d’un suspect de premier plan, Mahamat Ismaël Chaïbo, brièvement interviewé par Thomas Dietrich et qui a pu ensuite s’enfuir de France.
Je n’ai rien aperçu de nouveau depuis février 2022.
Quand obtiendra-t-on la vérité et la justice?
Le prix Ibni Oumar Mahamat Saleh
En 2009 les trois sociétés savantes françaises de mathématiques, la SMF, la SMAI et la SFdS ont créé un prix à la mémoire d’Ibni Oumar Mahamat Saleh. D’abord annuel, il est devenu biennal en 2017. Il est attribué à deux jeunes mathématiciens ou mathématiciennes d’Afrique Centrale ou d’Afrique de l’Ouest. Il est aujourd’hui également soutenu par l’Union Mathématique Internationale (IMU), l’Union Mathématique Africaine (UMA), la London Mathematical Society, et le CIMPA.
Les lauréats 2022 sont Ousmane Koutou, burkinabé, assistant à l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, et Winnie Ossete, congolaise, vacataire à l’université Marien Ngouabi de Brazzaville.
Leurs sujets de recherche respectifs:
- bio-mathématiques: modélisation, analyse mathématique et contrôle optimal des maladies transmissibles, cas du paludisme, de la bilharziose et de la COVID-19,
- géométrie complexe: a new insight on Ronkin functions or currents.
Informations sur les modalités de candidature et d’attribution du prix: https://www.idpoisson.fr/prix-ibni/
Le prix est financé par des dons, à présent recueillis par l’Association pour la Promotion de la Science en Afrique (préciser « Prix Ibni » comme motif du don ; 66 % est déductible des impôts). Le prix a besoin de financement et les institutions qui l’animent vous appellent à le soutenir