Ibni Oumar Mahamat Saleh « disparu » : depuis huit ans, rien d’autre qu’un non-lieu.

Hommage
Écrit par Charles Boubel
Publié le 4 février 2016

Le 3 février 2008, Ibni Oumar Mahamat Saleh, professeur de mathématiques à l’université de N’Djamena et opposant politique dans son pays, était enlevé par des soldats tchadiens à son domicile de N’Djamena. Cela a fait huit ans hier.
Depuis, pour le Tchad, il est toujours « disparu » alors qu’une enquête internationale a conclu à sa mort rapide dans une prison présidentielle.
Un prix en sa mémoire est décerné tous les 3 février par les trois sociétés savantes françaises de mathématiques ; c’est Valaire Yatat Djeumen, doctorant camerounais, qui l’a reçu cette année

Vous lecteurs d’Images des mathématiques le savez, mais puisque le Tchad continue de se taire, je continue de le répéter : Ibni Oumar Mahamat Saleh a été enlevé le 3 février 2008 par le pouvoir tchadien, au moment où l’armée française sauvait ce dernier in extremis d’une attaque de rebelles. Il est ensuite rapidement mort en détention, comme l’a révélé une enquête menée sur pression internationale (autrement dit de la France, seul pays pouvant peser dans cette affaire). Voyez mon billet de 2009 pour le récit de cette histoire. Depuis, sa famille et de nombreuses personnes et organisations réclament la vérité et la justice mais Le Tchad comme la France bloquent par tout moyen. Voyez par exemple mes billets de 2011 et 2014. Vous pouvez aussi consulter les récits et documents de la page internet du prix Ibni Oumar Mahamat Saleh.

Seule une pression française pourrait faire bouger le Tchad. Il n’y en aura pas pour le moment, notamment depuis que le Tchad, après avoir été un appui essentiel dans l’opération Serval de la France au Mali, héberge dans sa capitale le commandement de l’opération Barkhane. Au Tchad lui-même, la justice a conclu à un non-lieu dans cette affaire en 2013. En outre, en Afrique même, le président tchadien a été élu à la présidence (tournante) de l’Union Africaine. Il est donc en position de force.

Vu cette situation, même les sénateurs Jean-Pierre Sueur et Gaétan Gorce, actifs sur ce dossier, n’ont à ma connaissance plus agi depuis plus d’un an. Seul ce dernier a effectué une communication au Sénat il y a dix mois (faire une recherche ’Gorce’ dans la page, le texte est noyé dans la masse) et a publié un billet sur son blog hier, anniversaire de l’enlèvement d’Ibni.

Cette immobilité ne doit pas faire oublier que le président tchadien, Idriss Déby, s’est agacé en décembre 2012 à la sortie de l’Élysée, où il était reçu : « J’en ai assez qu’on me rebatte les oreilles avec la disparition d’Ibni ». Contrairement aux apparences il n’est pas sourd. Continuer de demander la vérité contribue donc à l’entretien de ses facultés auditives.

Prix Ibni Oumar Mahamat Saleh 2015

Ibni avait créé plusieurs liens avec des universités ou écoles françaises. Aussi la Société Française de Statistique (SFdS), la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI) et la Société Mathématique de France (SMF) ont créé en 2009 un prix Ibni Oumar Mahamat Saleh, « attribué à un(e) jeune mathématicien(ne) d’Afrique Centrale ou de l’Ouest [pour] financer un séjour scientifique de quelques mois » dans un lieu de son choix. Ce prix est aussi soutenu par le CIMPA (Centre International de Mathématiques Pures et Appliquées) et l’IMU CDC (Comité pour les pays en développement de l’Union Mathématique Internationale).

Le prix 2015 a été attribué hier à Valaire Yatat Djeumen, doctorat camerounais, parmi douze candidatures soumises.

Il travaille sur la modélisation de systèmes écologiques, encadré par Jean Jules Tewa, de l’École Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé, et Yves Dumont, de l’Unité Mixte de Recherche CNRS AMAP (Botanique et modélisation de l’architecture des plantes et des végétations) de Montpellier. Le prix lui permet un séjour de recherche de trois mois en 2016, qui lui permettra de terminer la rédaction de sa thèse.

Plus de détails sont sur la page internet du prix, sur laquelle vous pouvez aussi souscrire pour contribuer à son financement.

ÉCRIT PAR

Charles Boubel

Maître de conférences - Université de Strasbourg

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