Ibni Oumar Mahamat Saleh, « disparu » il y a quatre ans

Hommage
Écrit par Charles Boubel
Publié le 3 février 2012

Le 3 février 2008 était enlevé, à son domicile de N’Djamena, Ibni Oumar Mahamat Saleh (photo), par des soldats de l’armée tchadienne. Cela fera donc quatre ans demain. Il était professeur de mathématiques à l’université de N’Djamena, et une personnalité de l’opposition politique dans son pays. Il avait aussi créé plusieurs liens avec des universités ou écoles françaises, au service de l’enseignement des sciences dans son pays.

Pour un résumé de cette histoire et de la recherche de la vérité, je vous renvoie à mon billet de 2009 et pour la suite de cette recherche, inaboutie, à ceux de 2010 et 2011.

Dans cette recherche, l’avancée la plus importante reste celle de 2008. Suite à une pression du président français, le président tchadien avait institué une Commission d’Enquête sur les événements survenus au Tchad du 28 janvier au 8 février 2008, comprenant dans son mandat une enquête sur les « disparitions de personnes ».

Le rapport de cette commission (texte intégral, extraits sur les enlèvements) prouve qu’Ibni Oumar Mahamat Saleh a bien été enlevé par des soldats tchadiens, et qu’il est impossible que « cette action soit le fait d’une initiative personnelle d’un quelconque militaire subalterne n’ayant reçu aucun ordre de sa hiérarchie ou des instances supérieures de l’État ». Elle déclare « permis de penser qu’il serait désormais décédé », « suite à mauvais traitements [ou] par assassinat politique ».Pour le Tchad, Ibni est cependant toujours « disparu ».

Depuis, le président tchadien Idriss Déby bloque toute avancée. En France, depuis l’an dernier, un sénateur a demandé la déclassification des documents diplomatiques français relatifs à cet enlèvement. La réponse du ministre, verbalement positive, ne s’est jamais concrétisée. Un autre sénateur s’est enquis des conclusions, toujours pas parues, de la mission Union Européenne/Organisation Internationale de la Francophonie qui s’est rendue sur place et a auditionné des témoins.

Il est difficile d’empêcher un potentat de laisser attenter, ou d’attenter tout court, à la vie de qui il veut chez lui. On peut cependant l’empêcher de le faire dans le silence puis l’oubli, et demander la vérité.

Une « action urgente » de l’ACAT

En ce sens, j’apprends que l’ACAT lance un « appel urgent » pour demander à nouveau la déclassification des documents diplomatiques français relatifs à cette affaire. Comme toute avancée est malheureusement impensable sans action de la France, la pression de citoyens français sur ce point de l’affaire est très opportune. Cet appel est à signer le 6 février prochain au plus tard et se trouve ici.

Le prix Ibni Oumar Mahamat Saleh

Une contribution de la communauté mathématique pour empêcher l’oubli et rendre hommage à Ibni Oumar Mahamat Saleh est la création d’un prix.

En 2009 les trois sociétés mathématiques françaises : la SFdS, Société Française de Statistique, la SMAI, Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles, et la SMF, Société Mathématique de France, ont créé un prix Ibni Oumar Mahamat Saleh. Celui-ci est attribué chaque année à un(e) jeune mathématicien(ne) africaine, « pour que la mémoire [d’Ibni Oumar Mahamat Saleh] reste vivante et pour poursuivre son engagement en faveur des mathématiques en Afrique ».

Le prix 2011 a été attribué, en janvier 2012, à Solym Mawaki Manou Abi « pour lui permettre d’effectuer un séjour scientifique à l’Institut de Mathématiques de Toulouse dans le cadre de son doctorat », voir les détails ici.

Ce prix est financé, chaque année, par un appel à dons. Cette souscription était jusqu’ici techniquement gérée par la SFdS, la SMAI et la SMF, mais sera désormais gérée de façon autonome. Si vous souhaitez être tenu au courant des ouvertures de cette souscription dans les années à venir, signalez-vous auprès de Marie-Françoise Roy (page web) ou Aline Bonami(page web), qui assurent cette transition.

Une conférence à Orléans

Une conférence en hommage à Ibni Oumar Mahamat Saleh se tiendra le 3 février 2012 à l’université d’Orléans, où il avait passé sa thèse. Le programme est par exemple ici.

ÉCRIT PAR

Charles Boubel

Maître de conférences - Université de Strasbourg

Partager