Je suis arrivé juste à l’heure ce matin, et il n’y avait pas de queue à l’inscription, j’ai pu faire un tour au salon des exposants (voir le stand MathInFrance, encore vide). C’est un exploit de la part des organisateurs, car un incendie a détruit un des pavillons du centre de congrès Rio Centro il y a deux jours, forçant à réinstaller le salon des exposants dans d’autres bâtiments. J’ai pu aussi bavarder avec des volontaires. Il s’agit d’étudiants brésiliens qui, en échange de quelques heures de service (guider les participants en gros à mi-temps), ont eu une inscription gratuite au congrès.
Je suis entré dans la grande salle des conférences plénières en même temps qu’un groupe nombreux de lycéens reconnaissables à leur T-shirt bleu. J’ai appris ensuite qu’ils étaient près de 600, lauréats à différents niveaux des compétitions mathématiques brésiliennes (ces compétitions, qui concernent plus de 18 millions d’élèves, ont fait l’objet d’un billet dans Images des Maths en 2011). On leur a donné à chacun un casque audio qu’ils ont immédiatement mis en place, je pense qu’une traduction simultanée des discours leur a été prodiguée durant la cérémonie.
La salle n’est pas tout à fait pleine lorsque la cérémonie commence. Le déroulement rappelle les cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques : il s’agit avant tout d’un spectacle, son et lumière. Le thème choisi est celui de la continuité entre les cultures autochtones du Brésil et les théories mathématiques : images de dessins, de tissus, de vanneries traditionnelles rapprochées de figures géométriques, danseurs en costumes traditionnels d’Amazonie, chanteuse évoquant l’apport de l’Afrique à la culture brésilienne.
Les discours soulignent la montée en puissance des mathématiques brésiliennes (Marcelo Viana, président du comité d’organisation, rappelle que lors du premier ICM, en 1897, il n’y avait aucun département de mathématiques au Brésil). Avec 5 délégués à l’assemblée générale de l’Union Mathématique Internationale, le Brésil est désormais au niveau des grands pays développés. On parle beaucoup des efforts faits au Brésil pour la diffusion de la culture mathématique dans le public, notamment scolaire, de l’espoir que ce mouvement va permettre à l’enseignement scolaire de s’améliorer, et donc contribuer à l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre.
La cérémonie proprement dite commence par la lecture, par le président de l’Union Mathématique Internationale, Shigefumi Mori, de la liste des récipiendaires des prix Gauss, Leelavati et de la médaille Chern. Les lauréats n’étaient pas présents, ils auront la parole plus tard. Le prix Gauss, récompensant des découvertes ayant eu un impact large, y compris en dehors du champ des mathématiques, a été décerné à David Donoho, statisticien dont les travaux jouent actuellement un rôle important en analyse des données massives. Le prix Leelavati, récompensant des actions de popularisation des mathématiques, a été décerné à Ali Nesin, qui a été notamment l’animateur d’un village mathématique dans son pays, la Turquie. La médaille Chern a été décernée à Masaki Kashiwara, qui a introduit des méthodes algébriques dans l’étude des équations aux dérivées partielles.
La présentation des lauréats des médailles Fields et du prix Nevanlinna est le morceau de bravoure de la cérémonie. Pour chacun de ces jeunes gens (ils ont moins de 40 ans), un petit film de quelques minutes a été réalisé par la Simons Foundation. On peut les trouver sur internet. Il s’agit d’interviews illustrées par des prises de vues du lauréat dans son environnement quotidien, souvent dans sa famille, mises en scène de façon assez sophistiquée.
Caucher Birkar (Cambridge) est récompensé pour des travaux de géométrie algébrique, concernant la classification des variétés algébriques, dans la lignée de Shigefumi Mori, médaille Fields 1990. Birkar est kurde, fils de paysans dont l’existence a été perturbée par la guerre. Instruit par son frère aîné, il a pu faire des études à Téhéran, puis en Angleterre où il a trouvé la paix. Dans le film, il explique de façon imagée les parts d’accumulation (lire les travaux des autres) et de prise de recul personnel (apercevoir des liens) qu’on rencontre dans la recherche.
Alessio Figalli (Zürich) est distingué pour son travail sur les propriétés du transport optimal, et pour les conséquences qu’il en a tirées en géométrie (inégalité isopérimétrique) et en mécanique des fluides. Formé en Italie, il a fait sa thèse sous la direction de Cédric Villani, médaille Fields 2010. Le film explique le problème isopérimétrique de façon plaisante. Il se termine sur le souhait le plus cher du lauréat : pouvoir vivre dans la même ville que son épouse Mikaela, elle-même mathématicienne, mais en poste en Angleterre.
Peter Scholze (Bonn) est le plus jeune des lauréats. Il a apporté une contribution marquante à la géométrie algébrique, faisant apparaître un nouveau lien entre théorie des nombres et géométrie. Il accorde une grande valeur aux concepts, pour lesquels il utilise modestement le terme de définition. Le film montre son attachement aux paysages verdoyants de l’Allemagne et à la petite ville de Bonn, haut lieu des mathématiques. Il reconnaît avoir beaucoup appris de Gerd Faltings, médaille Fields 1986, bien qu’ayant l’impression de ne rien comprendre sur le champ à ses cours.
Akshay Venkatesh (Stanford) a apporté un développement considérable aux applications des systèmes dynamiques à la théorie des nombres, dans la lignée de Grigorii Margulis, médaille Fields 1974, et d’Elon Lindenstrauss, médaille Fields 2010. Le film raconte les premières émotions mathématiques du lauréat, aux prises avec la numération binaire. Né en Australie, il a été un enfant prodige, qui a terminé le lycée à l’âge de 12 ans. De nos jours, il trouve sur les campus américains la tranquillité nécessaire à sa concentration, heureusement tempérée par sa famille (2 enfants).
Le prix Nevanlinna récompense des travaux mathématiques en lien avec l’informatique. Cette année, il a été décerné à Constantinos Daskalakis (MIT), pour ses travaux sur la complexité des algorithmes d’optimisation en économie. John Nash, prix Abel 2015, a démontré l’existence de positions d’équilibre en théorie des jeux, mais s’approcher de ces positions nécessite parfois des calculs dantesques. Le film explique en termes simples un problème d’optimisation à plusieurs enchères, puis le lauréat décrit de façon éclairante le lien qui le relie à la culture de son pays d’origine, la Grèce.
À l’issue de la cérémonie, le ministre de l’Éducation brésilien a annoncé qu’une cérémonie analogue aurait lieu le lendemain : cette fois, ce seraient des lycéens qui recevraient les médailles des olympiades nationales brésiliennes. Avec le concours d’Artur Avila, médaille Fields 2014. Le message est clair : le Brésil compte bien sur sa jeunesse pour dépasser ses aînés.
Je trouve que la présence des lycéens a donné un sens à l’ensemble de la cérémonie. La place démesurée accordée à la remise des prix irrite pas mal de mathématiciens. Que cette mise en scène ait pour principale fonction d’attirer l’attention des médias sur notre discipline (la mésaventure de Caucher Birkar, dont la médaille a été volée pendant la cérémonie, a fait le tour de la planète en quelques heures) ne constitue pas une réponse totalement satisfaisante. En revanche, faire rêver les jeunes, leur donner envie de se lancer dans des études de mathématiques et de se frotter à la recherche, cela mérite un peu de décorum, et cela justifie le travail de toutes les personnes impliquées : instances de l’Union Mathématique Internationale, jury, équipe d’organisation.
8h42
« […] depuis lors le C.N.R.S. a réinventé les médailles, pour la plus grande satisfaction, semble-t-il, de tous les intéressés. » (André Weil).
Petite précision : Alessio Figalli a fait sa thèse sous la codirection de Luigi Ambrosio et de Cédric Villani. Voir par exemple l’un des liens suivants :
https://www.genealogy.math.ndsu.nodak.edu/id.php?id=126306
http://cvgmt.sns.it/paper/629/
16h52
Merci pour ces précisions. En voici une autre : à Rio Centro, c’est le bâtiment initialement prévu pour les conférences plénières qui a brûlé C’est donc la cérémonie d’ouverture, avec toutes l’infrastructure technique qu’elle nécessite, qui a dû être déplacée en urgence.