Indice de masse corporel et moyennes

Tribune libre
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Publié le 9 avril 2010

Je viens de lire un petit article de La Recherche sur la dernière analyse de la taille et du poids de la population française menée par les laboratoires Roche, et il contient une jolie illustration des questions que j’avais essayé de soulever dans les précédents billets sur les moyennes 23 billets sur les moyennes, ici, et..

Les résultats

Ce qui m’intéresse dans cette étude, ce sont les données suivantes : la taille moyenne de la population française (ou plutôt de l’échantillon sélectionné pour l’étude, mais ne chicanons pas) est d’environ \(1,685\) mètre, son poids moyen d’environ \(72,0\) kilogrammes, et son IMC (indice de masse corporelle) moyen de \(25,3\).

L’indice de masse corporelle

L’IMC est un indicateur servant à mesurer le surpoids ou la maigreur en tenant compte de la taille de l’individu et pas seulement de son poids. Sa définition est la suivante : l’IMC d’un individu est égal à son poids (exprimé en kilogrammes), divisé par le carré de sa taille (exprimé en mètres)
\[IMC = \frac{\mathrm{poids}}{\mathrm{taille}^2}.\]

D’abord, une petite remarque : il est assez logique de ne pas diviser par la taille, car si une personne est une fois et demi plus grande qu’une autre, elle a de bonnes chances d’être aussi plus large. Mais on peut penser qu’elle devrait aussi être plus épaisse, de sorte que, pour tenir compte des trois dimensions, on pourrait vouloir diviser par le cube de la taille plutôt que par son carré. J’avoue ne pas savoir exactement d’où provient le choix de l’exposant \(2\)dans l’IMC, mais on peut imaginer que les grands soient en général proportionnellement moins épais que les petits.

Le problème des moyennes

Revenons à nos moyennes. Si on calcule l’IMC d’un individu de \(1,685\) mètre et \(72\) kilos, on trouve bien environ \(25,3\). Normal, non ? Sauf que l’IMC est tout à fait « non linéaire », c’est-à-dire que l’IMC moyen peut être très différent de celui calculé à partir des tailles et poids moyens. J’aurais envie de dire que ça se voit assez bien sur la formule, mais je risque de n’être pas très convainquant. Prenons plutôt un exemple, le plus simple possible.

Un exemple

Considérons une population fictive à étudier, formée de deux individus (disons : Abel et Bilal). Abel mesure \(1\) mètre et pèse \(20\) kilos, alors que Bilal mesure \(0,5\) mètre et pèse \(5\) kilos (ils sont jeunes, comme vous l’aurez deviné).

Ainsi, ils ont tous les deux un IMC de \(20\) kilos par mètres carrés donc leur IMC moyen est de \(20\). Pourtant, leur taille moyenne est de \(0,75\) mètre, leur poids moyen de \(12,5\) kilos, et l’IMC qui correspond à ces moyennes est d’environ \(22,2\) kilos par mètres carrés, soit plus de \(10%\) d’écart avec l’IMC moyen.

Un paradoxe ?

Mais on peut faire encore plus surprenant. Considérons maintenant une deuxième population, formée de Caïn et David. Caïn mesure \(0,88\) mètre et pèse \(22\) kilos, alors que David mesure \(0,6\) mètres et pèse \(4\) kilos. Ainsi, calculatrice en main Caïn a un IMC de \(28,4\) environ, et David d’à peu près \(11,1\) (je vous rassure, ces exemples sont fictifs !).

On obtient pour cette deuxième population une taille moyenne de \(0,74\) mètres, un poids moyen de \(13\) kilos et un IMC moyen d’à peu près \(19,8\). L’IMC calculé à partir des taille et poids moyens est de \(23,7\) environ, donc on voit que l’écart est encore plus grand que dans le premier exemple. Mais le plus amusant n’est pas là : alors que l’IMC est censé mesurer l’embonpoint, notre deuxième population a, par rapport à la première, une taille moyenne plus petite, un poids moyen plus grand, et un IMC moyen plus petit !

Une solution

Si on veut éviter ce genre de paradoxe, il faut choisir une moyenne différente de la moyenne habituelle (voir ce billet précédent), qui « passe bien » à la multiplication et à la division, qui fera en sorte que l’IMC moyen sera le même que celui calculé à partir des taille et poids moyens. Une telle moyenne existe, c’est la moyenne géométrique.

Remarque de conclusion

On peut remarquer que pour exhiber le paradoxe ci-dessus, j’ai dû choisir des tailles et des poids assez invraisemblables. Dans une population réelle, les effets étranges décrits dans ce billets semblent très faibles. Je me demande si on sait d’une certaine manière décrire les distributions de taille et de poids pour lesquelles le choix de la moyenne arithmétique est raisonnable, dans le sens où il ne fait pas apparaître de paradoxe trop flagrant.

ÉCRIT PAR

Benoît Kloeckner

Chercheur associé - Laboratoire d’Analyse et de Mathématiques Appliquées - Université Paris-Est Créteil Val de Marne

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Commentaires

  1. Yvan Velenik
    avril 9, 2010
    9h36

    J’avoue ne pas savoir exactement d’où provient le choix de l’exposant 2 dans l’IMC […]

    Tiré de la page wikipedia (anglais) sur cet indicateur :

    The exponent of 2 in the denominator of the formula for BMI is arbitrary. It is meant to reduce variability in the BMI associated only with a difference in size, rather than with differences in weight relative to one’s ideal weight. If taller people were simply scaled-up versions of shorter people, the appropriate exponent would be 3, as weight would increase with the cube of height. However, on average, taller people have a slimmer build relative to their height than do shorter people, and the exponent which matches the variation best is between 2 and 3. An analysis based on data gathered in the USA suggested an exponent of 2.6 would yield the best fit for children aged 2 to 19 years old.[26] The exponent 2 is used instead by convention and for simplicity.

  2. Rémi Peyre
    avril 9, 2010
    15h54

    Cette histoire d’exposant 2 dans la définition de l’IMC m’a également toujours intrigué… En tout cas, il existe un indice similaire où l’exposant est 3, qui est utilisé dans certains cadres (source). Mais d’après une étude (Indices of relative weight and obesity, par Keys, Findazat & al.), ce ne serait pas un indice pertinent pour évaluer l’obésité stricto sensu (càd. le pourcentage de matière grasse dans l’organisme). Cela me surprend beaucoup, mais après tout Quételet, qui inventa cet indice, était loin d’être un imbécile, donc s’il a choisi l’exposant 2 c’est qu’il devait y avoir une raison !

    • Jean-Paul Allouche
      avril 11, 2010
      12h28

      Je me trompe ou bien dans l’article cité Keys, Fidanza, Karvonen, Kimura et Taylor concluent que l’indice de masse corporelle (body mass index) est au contraire le plus pertinent des indices qu’ils étudient (c’est-à-dire en remplaçant l’exposant 2 par 1 ou 3) ?

      • Rémi Peyre
        avril 16, 2010
        11h37

        Nous sommes bien d’accord : c’est ma tournure qui était ambiguë. Quand j’écrivais « ce ne serait pas un indice pertinent », « ce » référait en fait à l’indice avec l’exposant 3…

  3. Rémi Peyre
    avril 9, 2010
    16h26

    Bon, quand on a un doute, il est parfois bon de faire le travail soi-même. C’est ce que j’ai fait : je suis arrivé à trouver — non sans difficulté — la distribution du couple (taille, poids) de la population [française], sur cet article, et j’ai fait les calculs à partir de ces données… Je tombe [en admettant que la corpulence ne dépend pas de la taille] sur un exposant empirique de… 1,7 chez les hommes, et 1,5 chez les femmes. Étonnant… mais imparable !

  4. Jean-Paul Allouche
    avril 9, 2010
    17h46

    Je n’ai pas (encore) lu l’article dans La Recherche, mais s’ils ne parlent pas de Quetelet, je le fais ici. Il semble que ce soit lui qui ait essentiellement proposé ce qui s’appelle maintenant l’IMC (ou indice de Quetelet, ou BMI pour les anglophones) dans un livre qui date de 1835. Il n’est pas inintéressant de constater qu’il indique que l’exposant 2 choisi convient pour les adultes mais qu’il faut mettre 5/2 pour les enfants. Bien sûr cela n’enlève rien à la jolie question sur les moyennes, cela modifie juste un peu les exemples choisis.
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