C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris la disparition de notre collègue et ami Jean-Christophe Yoccoz, survenue samedi 3 septembre 2016. Immense mathématicien, il a porté à son plus haut niveau le domaine des systèmes dynamiques.
Né en 1957, après une scolarité exceptionnelle à l’École normale supérieure, il a travaillé à l’École polytechnique comme chercheur CNRS entre 1979 et 1988 et a soutenu sa thèse d’État en 1985 sous la direction de Michel Herman. Il a exercé comme professeur au département de mathématiques d’Orsay (Université Paris-Sud) de 1988 à 1996. Depuis, il occupait la chaire « Équations différentielles et systèmes dynamiques » au Collège de France. Il a été élu membre de l’Académie des sciences en 1994.
Les travaux de Jean-Christophe ont profondément marqué les différentes branches des systèmes dynamiques. Ils lui ont valu de nombreuses distinctions, dont la médaille Fields en 1994 au congrès international des mathématiciens de Zurich. Il impressionnait par son aisance de calcul et par la puissance de son analyse combinatoire (c’était un excellent joueur d’échecs).
Voici quelques-unes de ses contributions majeures, qu’il a toujours rédigées dans un style extrêmement clair et concis :
- Les petits diviseurs en dimension 1. Il s’agit de comparer certains systèmes dynamiques à des rotations du cercle. Une partie de ses résultats de thèse dans ce sujet 5Il a obtenu les conditions arithmétiques définitives pour lesquelles un difféomorphisme du cercle se ramène à une rotation, après un changement de coordonnées infiniment dérivable ou analytique. Il a également obtenu la réciproque du théorème de Siegel et Brjuno sur la linéarisation des germes de difféomorphismes holomorphes de ℂ est parue dans ce mémoire, devenu classique :
Il a caractérisé certaines propriétés dynamiques par des conditions arithmétiques et la fonction de Brjuno-Yoccoz :
- La dynamique complexe. Il a étudié les propriétés fines de l’ensemble de Mandelbrot, en direction d’une conjecture de A. Douady et J. Hubbard 6Selon la conjecture MLC, l’ensemble de Mandelbrot est localement connexe.. Il a introduit pour cela les fameux « puzzles de Yoccoz ».
- La dynamique non-uniformément hyperbolique. En dimension plus grande que 1, les difficultés pour décrire la dynamique sont considérables, en raison notamment de l’instabilité apparaissant près de bifurcations appelées tangences homoclines. À la suite des travaux de Benedicks et Carleson, il a beaucoup travaillé sur les attracteurs non-uniformément hyperboliques de Hénon. Il a coécrit avec Jacob Palis un imposant volume (plus de 200 pages denses) sur les dynamiques de type « fer à cheval ».
Ces travaux permettent de traiter de fers à cheval un peu plus « gros » 7 Leur dimension de Hausdorff est légèrement plus grande que 1. que ceux qui apparaissent en dimension 1. Jean-Christophe aurait aimé pouvoir décrire un jour la dynamique de fers à cheval non-uniformément hyperboliques remplissant (presque) une surface. Mais il reconnaissait que, dans l’état actuel de nos connaissances, ce n’était qu’un rêve.8Il décrit son problème favori dans une courte vidéo.
- Les échanges d’intervalles. Plus récemment, Jean-Christophe s’était tourné vers un sujet en pleine ébullition et aux multiples facettes (échanges d’intervalles, billards polygonaux, surfaces de translation, flot de Teichmüller,…).
Il entretenait des liens très étroits avec la communauté mathématique brésilienne. Il avait effectué son service militaire comme coopérant scientifique à l’Instituto de Matemática Pura e Applicada (IMPA) de Rio de Janeiro, où depuis il se rendait régulièrement. Il a accueilli régulièrement des chercheurs brésiliens en post-doctorat, dont Artur Ávila.
Jean-Christophe accordait une grande importance à l’enseignement. Il a encadré une quinzaine de doctorants pour lesquels il se montrait toujours très disponible. Tous ceux qui ont fréquenté Jean-Christophe (amis, élèves, collaborateurs, collègues,…) garderont le souvenir de sa personnalité : simplicité, gentillesse, optimisme et surtout une passion débordante pour sa discipline qu’il ne manquait jamais de faire partager. Jusqu’à la fin, il conservait près de lui un carnet pour mener ses calculs et « expériences ».
Une vie entièrement dédiée aux mathématiques…
Post-scriptum
Je remercie pour les photographies et les images A. Chéritat, M. Viana et l’IMPA, ainsi que le Collège de France. Merci aussi à Jérôme Buzzi pour ses remarques sur la première version de ce texte.