Kurt Hensel à la bibliothèque de Strasbourg

Tribune libre
Écrit par Michèle Audin
Publié le 21 octobre 2009

Les bibliothèques « papier » ont une histoire. Celle de l’IRMA à Strasbourg en particulier.

Kurt Hensel (1861-1941) est le mathématicien qui a inventé, aux alentours de 1900, les nombres \(p\)-adiques6Voir l’article de Sylvain Barré. . Il était allemand. Je ne sais pas s’il est venu à Strasbourg. Il a étudié à Bonn et à Berlin, avec Weierstrass et avec Kronecker. Il a été professeur à Marburg presque toute sa vie.

Il a été éditeur du Journal für die reine und angewandte Mathematik 7Ce qui veut dire « journal pour les mathématiques pures et appliquées » et que l’on abrège souvent en « journal de Crelle », parce qu’il a été fondé par Crelle en 1826 (ce qui en fait le plus ancien journal vivant de mathématiques)., à la suite du fondateur du journal, August Leopold Crelle, de Borchardt, de Weierstrass et de Kronecker. Son âge et surtout la politique antisémite nazie l’ont fait quitter ce journal en 1936.

Après sa mort en 1941, plus d’une centaine de livres de sa bibliothèque mathématique, de beaux volumes reliés en cuir fauve, ont été achetés par le Reich8Pour le Reichsminister für Wissenschaft, Erziehung und Volksbildung (« de la science, de l’éducation et de la culture nationale »), la fonction de l’éducation était de former des nazis. , qui en a fait profiter la bibliothèque de la Reichsuniversität Strassburg.

La bibliothèque a eu une histoire mouvementée : évacuée à Clermont-Ferrand dès 1939 avec l’université de Strasbourg, elle est revenue à Strasbourg après l’annexion de l’Alsace par le troisième Reich (sur ordre des autorités allemandes d’occupation), elle a ensuite été évacuée à Tubingen puis à Oberwolfach, sans doute pour échapper aux bombardements.

Beaucoup de livres ont disparu pendant ces transferts.

Les livres de Hensel sont aujourd’hui toujours dans les rayons de la bibliothèque. Ils sont reconnaissables, en plus de leur belle reliure, à leur ex-libris, que j’ai utilisé comme logo de cet article et dont on voit ici un détail agrandi. La lampe, la plume, les livres, la fenêtre ouverte sur un paysage montagneux, le lever de soleil que l’on devine et puis, une courbe elliptique (regardez bien, il y a un dessin de courbe elliptique)

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Les courbes elliptiques sont une de ces notions qui sont utilisées par beaucoup de mathématicien.e.s, en théorie des nombres, en géométrie ou même en mécanique. Cette note est trop courte pour que j’explique ce dont il s’agit. Repérez celle de l’ex-libris parce qu’elle ressemble à celle-ci… sauf que Hensel a dessiné quelques petits traits en plus, qui indiquent, pour ceux qui savent, que la courbe est un groupe — mais je vous assure, je n’ai pas la place.

Courbe



et un violon. Sans doute Kurt Hensel, en plus d’être mathématicien, jouait-il du violon… il était d’ailleurs un petit-fils de Fanny Mendelssohn

 

 

10Avant d’être la grand-mère de Kurt Hensel, la compositrice Fanny Mendelssohn avait été, outre la sœur de Felix Mendelssohn, et la femme d’un peintre connu, la belle-sœur de Dirichlet et la cousine de Kummer, pour nous limiter aux mathématiciens. Une famille où l’on devait avoir une autre conception de la culture que celle du Reichsminister

ÉCRIT PAR

Michèle Audin

Mathématicienne et oulipienne - Université de Strasbourg et Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo)

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